« Je ne pensais jamais voir ça de mon vivant »: comment verdir et rafraîchir nos villes?
Dans l’attente d’initiatives à grande échelle pour combattre le changement climatique, plusieurs villes ou communes et leurs citoyens passent à l’action en végétalisant leurs rues. Des projets verts très divers.
Le constat est peu réjouissant. A l’horizon 2100, de nombreuses villes belges pourraient connaître chaque année jusqu’à une vingtaine de jours de vague de chaleur, soit des épisodes où la température dépasse 25 °C cinq jours consécutifs ou 30 °C durant trois. Pour limiter leur exposition aux risques liés au réchauffement, les citoyens sont de plus en plus nombreux à agir à leur petite échelle.
En Flandre, ceux de 170 communes participent, depuis fin la fin mars et jusqu’au 31 octobre, au Tegelwippen, une compétition dont le but est d’enlever le plus de dalles de béton possible dans les espaces publics ou privés pour y faire pousser de la végétation.
Des bénévoles formés
A Liège, le Plan canopée a pour objectif de planter 24 000 arbres d’ici à 2030 pour augmenter la couverture végétale de la Cité ardente. La Ville mène certes la danse, mais elle tient à impliquer ses administrés. Elle a donc formé une quarantaine de bénévoles à la plantation et aux réglementations autour de l’arbre. Véritables relais entre les autorités et les habitants, ces «passeurs d’arbres» peuvent répondre aux questions des seconds, les informer sur les meilleures façons de planter et sur les types d’arbres à privilégier.
C’est exactement ça qu’il faut faire, mais je ne pensais jamais voir ça de mon vivant.
Guide nature urbain
Gérard est l’un d’eux. Barbe impeccablement taillée, cet affable quinqua invite dans son quartier de Vennes-Fétinne, lové entre l’Ourthe et la Meuse. «Je suis copain avec tous les arbres du coin depuis gamin, introduit-il. Les premiers qui m’ont marqué sont les trois tilleuls de la cour de mon école maternelle. Chacun à leur tour, les élèves devaient aller y frapper les frotteurs pour nettoyer la craie.»
En tant que tout nouveau guide nature urbain, le Liégeois entend prochainement organiser des balades pour relier et éduquer les gens aux arbres. «Les arbres nous aident à nous ancrer dans un quartier.» Il passera certainement par ce carrefour de l’avenue Reine Elisabeth pour y pointer cet ancien triangle d’asphalte tout récemment déminéralisé puis ensemencé – «C’est exactement ça qu’il faut faire, mais je ne pensais jamais voir ça de mon vivant» – ou bien ce square du quai des Ardennes, reconverti en verger.
«Plutôt que d’entretenir de simples espaces verts où il fera étouffant en été, la Ville a désormais la volonté de placer des arbres qui procureront de l’ombre et constitueront des lieux de rassemblement», se réjouit le passeur, peu nostalgique du temps des pelouses interdites à la Quick et Flupke. «Au début, je me suis demandé si ce Plan canopée n’était pas du greenwashing, mais ce genre de réflexion prouve son sérieux.» Il attend néanmoins de voir l’attention, le renforcement des protections et le suivi sanitaire qui seront consacrés à ces nouveaux lieux semi-naturels.
Pas que des heureux
Gérard est policier. Du moins à l’origine. Quand il a compris qu’il était plus intéressé par le tronc que par l’homme lors de collisions entre arbre et automobiliste, il a rapidement changé de métier.
Aujourd’hui, Gérard est donc guide nature. Au milieu du boulevard Emile de Laveleye, il distingue aisément les tilleuls des platanes et des marronniers, dont les plus récents ont été placés en quinconce pour leur offrir un accès similaire à la lumière.
«Les plantations plaisent autant qu’elles suscitent des inquiétudes auprès de la population, nuance-t-il néanmoins. Certains ont déjà signalé leur allergie au pollen des bouleaux, tandis que d’autres pestent contre la limitation des places de stationnement. Ce sont sûrement les mêmes qui s’insurgeraient face à la menace de voir les arbres du boulevard complètement rasés.»
Sensibiliser le public
Volubile, le Liégeois ne s’interrompt que pour admirer un bourdon en recherche de nid ou du houblon sauvage sur un talus. «Le rôle du passeur d’arbre est d’être en contact avec les comités de quartier pour veiller au bien-être des plantations sur la voie publique, signaler des anomalies et coordonner des initiatives, reprend-il. Après, si je parviens, lors de mes balades, à sensibiliser les gens au rôle purificateur et rafraîchissant de l’arbre, au bien-être qu’il apporte et au final à les convaincre de planter, c’est encore mieux.»
Rêver sa rue réaliste
Marina Rechul a également quelques promenades prévues à son programme. Plutôt dans les Marolles et à Ixelles, où la paysagiste de l’asbl Apis Bruoc Sella (ABS) mène deux campagnes «Végétage» de développement de la nature au cœur de la ville. «On repère avec les habitants les opportunités de végétalisation puis je les guide en fonction des conditions et des possibilités: on peut rêver sa rue, mais on doit rester réaliste.»
Installation de plantes grimpantes, aménagement de pieds d’arbres, déminéralisation de trottoirs pour y créer des jardins… les habitants sont au cœur des projets d’ABS, qui propose de soutenir des passages à l’action tout en restant dans le cadre légal. Parce que chaque commune de la capitale n’a pas le même mot d’ordre: quand certaines se chargent carrément des travaux pour les particuliers, histoire de maintenir une certaine uniformité, d’autres imposent de remplir des formulaires en ligne avant d’engager un débat sur l’octroi ou non d’une autorisation de planter.
Permis de végétaliser
Puis il y a le fameux permis de végétaliser, délivré dans certaines communes aux résidents qui s’engagent à respecter la non-utilisation de pesticides, le choix de végétaux adaptés à l’environnement et au climat ou encore le bon entretien du lieu. Ils peuvent alors occuper et installer des dispositifs de végétalisation divers.
C’est le job de Marina de susciter, assister et mutualiser ce genre d’initiatives. «Ce ne sont pas une ou deux plantes qui rafraîchiront une rue, d’autant qu’elles peuvent facilement être saccagées, souligne la paysagiste. On trouve donc plus intéressant de fixer des objectifs dans une ou deux rues voisines pour avoir un véritable effet esthétique et un plus gros impact.»
Il vaut mieux avancer pas à pas et prendre chaque petit miracle offert par toute feuille.
« Le petit miracle de toute feuille »
Le «grand projet» qui sauvera tout le monde, Bas Smets préconise de toute façon de ne plus trop l’attendre. L’architecte paysagiste, spécialiste du réaménagement des villes, préfère souligner l’importance de chaque feuille qui vient transformer le gaz carbonique en matière organique et rafraîchir l’air par évapotranspiration.
«Comme tout est urgent, il vaut mieux avancer pas à pas et prendre chaque petit miracle offert par toute feuille, soutient-il. Dans les villes où le sous-sol est truffé de métros, égouts, lignes téléphoniques et de gaz, les petites initiatives sont toutes indiquées: on enlève une dalle, on installe une plante grimpante et c’est réglé.»
Par le jeu ou par un projet
L’architecte paysagiste se base notamment sur cette étude, codirigée par l’Institut de santé globale de Barcelone (ISGlobal), qui établit une relation entre la présence de végétation au quotidien et la réduction de la mortalité, pour enfoncer le clou. «Que ce soit par le jeu ou le projet, un travail de sensibilisation est facile à mener et il est aussi importante que le fait de planter: c’est un message d’activisme! Les projets à très grande échelle constituent les seuls moyens d’activer des transformations conséquentes en ville, mais les plus petits sont d’excellents compléments.»
Plantations sociales
Il y a encore trois ans, il n’y avait qu’un talus surélevé et bloqué par un mur de pierre. Une parcelle banale, évasée sur une quarantaine de mètres. Un terrain difficile, rempli de ronces, de gravats et de «brol» au milieu d’un quartier de maisons sociales, à Tournai. «En tant que voisins, on avait le sentiment que l’on pouvait en faire quelque chose», se souvient Dom Moreau, membre de La Pépinière, un carrefour d’initiatives locales.
Avec l’accord du propriétaire, le logement de service public Le Logis tournaisien, l’enseignante et ses complices ont réaménagé les lieux pour en faire un potager partagé en libre accès. «On voulait proposer ce service à un public qui n’a pas l’habitude et ne voit pas l’intérêt de passer du temps à cultiver des carottes alors qu’elles sont à 75 centimes au supermarché.»
Nourrir et jardiner
En plein confinement, mûriers, pommiers, poiriers, groseilliers et autres cassissiers sont plantés tandis qu’une centaine de semis de courges sont précieusement enfouis dans le sol. «Aujourd’hui, le jardin est mirifique, les fruits et légumes poussent puis trouvent preneurs. C’est une merveilleuse façon de nourrir et jardiner la ville», s’enthousiasme Dom.
Le problème consiste désormais à mobiliser les troupes de ce quartier du Vert Bocage, encore trop peu intéressées par les tâches d’entretien. «Notre finalité est de faire du lien social et de transmettre des savoirs perdus ou qui sautent des générations. Si les gens se mettent à entretenir et créer d’autres espaces verts, cela donnera naissance à une certaine forme d’autonomie alimentaire urbaine. A nous, désormais, de trouver les points d’ancrage dans le comité de quartier ou dans les écoles. Il suffit d’une étincelle…» Et d’un rien, d’un geste.
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