Le travail de recensement est titanesque, et doit permettre la rénovation progressive du bâti dans un but d’économies d’énergie. © BELGA

Le défi titanesque du cadastre des bâtiments publics en Belgique: nul n’est en mesure de dire combien il y en a en Wallonie

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

L’Europe impose aux Etats membres de lister tous leurs bâtiments publics. Objectif: les rénover et limiter la consommation d’énergie. Le tout pour octobre prochain… Et quasi rien n’est prêt.

Il reste neuf mois à la Belgique pour transposer en droit national les règles contenues dans la directive européenne relative à l’efficacité énergétique et rendre sa copie. Le texte prévoit qu’«au plus tard le 11 octobre 2025, les Etats membres établissent un inventaire des bâtiments appartenant à des pouvoirs ou organismes publics ou occupés par ceux-ci, pour autant que leur surface au sol soit supérieure à 250 m2». Ce recensement devra être accessible au public et renseigner, a minima, la surface du bâtiment, sa consommation annuelle d’énergie ainsi que son certificat PEB (performance énergétique des bâtiments).

Sacré défi! Neuf mois avant l’échéance, les Régions wallonne, flamande et de Bruxelles-Capitale ont à peine entamé le travail. Comme le fédéral… Répondre dans les temps à la demande européenne, motivée par l’urgence climatique, ne sera pas simple. Le travail est titanesque; les interlocuteurs, disséminés et diversement outillés pour se mettre à la tâche; les niveaux de pouvoir, multiples et parfois en chevauchement. Les Régions, provinces, communes, CPAS, sociétés de logements sociaux, fabriques d’église, écoles et autre Fédération Wallonie-Bruxelles pour ne parler que des francophones, sont concernés: tous possèdent ou occupent des bâtiments que l’on devrait normalement voir figurer dans ce volumineux cadastre.

Dans la capitale, Bruxelles Environnement est en charge de dresser l’inventaire. «Le certificat PEB bâtiment public est l’outil le plus simple pour le réaliser dans le délai imparti. A ce jour, le registre n’est toutefois pas complet», indique sa porte-parole. Le relevé déjà effectué, qui ne porte que sur les bâtiments qui disposent d’un certificat PEB établi il y a moins d’un an, liste un peu plus de 2.000 bâtiments. Mais les lieux appartenant au secteur public et non occupés par lui, tels que les logements sociaux par exemple, n’en font pas partie. Pour se faire une petite idée des habitations à ajouter à ce relevé incomplet, Bruxelles-Capitale comptait 41.043 logements sociaux en 2023. Des logements… mais pas des bâtiments. Or, c’est bien le nombre des bâtiments qui est réclamé dans la directive. Bruxelles Environnement analyse par ailleurs plusieurs autres sources de données pour compléter le cadastre.

L’inventaire n’est pas non plus très avancé en Flandre, où l’Agence flamande de l’énergie et du climat (Veka) est responsable de la mise en œuvre de la directive. Elle collabore avec la Facility Management Company, propriétaire des bâtiments publics flamands, et avec d’autres entités disposant d’un portefeuille immobilier en Flandre. Pour l’heure, aucun chiffre n’est encore disponible. «La Veka est occupée à rédiger le règlement ad hoc, mais la manière dont le dénombrement sera dressé et le profil de qui en assurera la gestion n’ont pas encore été décidés, y précise-t-on. Le gouvernement flamand doit encore le décider.»

Au fédéral? Cela n’avance pas fort. C’est principalement la Régie des bâtiments, pleinement propriétaire de 606 complexes fédéraux (en 2023) qui est à la manœuvre. «L’établissement du cadastre, via les audits énergétiques, était prévu, mais malheureusement, la Régie a pris énormément de retard par rapport aux objectifs fixés en début de législature», soupire une source gouvernementale. Pour pimenter le travail à ce niveau de pouvoir, la Défense et la SNCB/Infrabel possèdent également des bâtiments qui ne sont pas gérés par la Régie des bâtiments.

« La Régie des bâtiments a pris énormément de retard par rapport aux objectifs fixés en début de législature.»

Une pluie de données

En Région wallonne, ce cadastre des bâtiments publics n’existe pas (encore) non plus. Nul n’est donc en mesure de dire combien de bâtiments publics abrite le territoire wallon. «Nous disposons d’un cadastre partiel», indique-t-on au cabinet wallon de l’Energie.

L’administration wallonne dispose en effet déjà d’un début d’inventaire, grâce à plusieurs bases de données, gérées par différentes institutions poursuivant chacune un objectif spécifique et tournées vers un public cible précis. Mais, ne fût-ce qu’en matière de consommation d’énergie, aucun outil ne centralise l’ensemble de ces données pour le secteur public wallon.

Tentons une plongée en apnée dans les chiffres disponibles.

Quelque 3.412 édifices publics wallons, titulaires d’un certificat PEB, sont répertoriés sur un site accessible au public. Toutefois, «un même certificat peut être établi pour plusieurs bâtiments s’ils possèdent des compteurs énergétiques communs», précise Nicolas Yernaux, porte-parole de l’administration wallonne.

Du côté des logements publics, la banque de données alimentée par les 62 sociétés locales qui les gèrent annonce 103.000 logements dans toute la Région wallonne. Mais combien de bâtiments? Nul ne le sait.

Pour alimenter l’inventaire réclamé par les instances européennes, on pourrait aussi utilement piocher dans les données liées à l’exonération de redevance de voirie. De quoi s’agit-il? Tout gestionnaire de réseau doit normalement s’acquitter d’une redevance annuelle auprès des communes, des provinces et de la Région lorsqu’il occupe le domaine public pour effectuer des travaux. Cette redevance n’est toutefois pas due lorsque les communes, les provinces et la Région wallonne sont elles-mêmes les clients finaux de ces gestionnaires de réseau. Ainsi, cette exonération de redevance concerne environ 9.900 bâtiments communaux ayant des compteurs électriques. Quelque 4.750 bâtiments communaux, provinciaux ou régionaux disposant d’un compteur de gaz sont également recensés. Mais un même bâtiment peut figurer dans les deux listes…

Il existe encore la banque de données Immotep, interne à l’administration et en cours de constitution. Elle recense les biens immobiliers publics wallons (dont les terrains) qui dépendent du pouvoir régional et qui sont dévolus au Service public de Wallonie et aux unités d’administration publique. «Actuellement, 6.097 biens immobiliers y sont encodés, précise Nicolas Yernaux. Mais il reste des milliers de parcelles à relier à un bien. Et il faudra encore vérifier si un bien immobilier correspond toujours à un seul bâtiment.»

222.256bâtiments publics étaient établis en Wallonie en 2023, selon les calculs du chercheur liégeois Sébastien Hendrickx (ULiège).

La banque de données Pollec, cette campagne qui vise à aider les communes wallonnes à mettre en place une politique énergie-climat pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, listait de son côté, en 2023, 3.655 bâtiments publics, recensés dans 137 communes.

Enfin, du côté des constructions dévolues à l’enseignement en Région wallonne et à Bruxelles, le réseau WBE est propriétaire d’environ 3.000 bâtiments. Quant à la Fédération des CPAS de Wallonie, elle n’est pas à même de dire combien de biens immobiliers sont concernés par son activité.

Pour pimenter le travail, la SNCB/Infrabel possèdent également des bâtiments non gérés par la Régie des bâtiments. © BELGA

Total? A la grosse louche, des dizaines de milliers de bâtiments publics sont jusqu’ici recensés en Wallonie, dans un flou certain. Non seulement ces chiffres sont incomplets mais, en outre, un même bâtiment peut se retrouver dans plusieurs bases de données. «Pour avoir une idée du nombre de bâtiments effectivement recensés, il y a donc un travail conséquent à effectuer sur ces différentes bases de données», admet-on du côté de l’administration.

Celle-ci pourrait peut-être s’appuyer sur les travaux du chercheur Sébastien Hendrickx, attaché au Lepur-ULiège, un centre de recherche spécialisé dans le domaine du développement territorial. En croisant les données du cadastre relatives aux propriétaires du secteur public et celles du Picc (projet informatique de cartographie continue de la Wallonie), il obtient le résultat de 222.256 bâtiments publics en territoire wallon, tous niveaux de pouvoir confondus.

Ce qui coince

Que manque-t-il pour pouvoir établir ce cadastre au plus vite en Wallonie? Des textes réglementaires qui permettent d’obliger les pouvoirs publics à communiquer leur liste de bâtiments à l’administration. On y travaille, affirme-t-elle. Il faudra ensuite concevoir un outil, logiciel ou plateforme numérique, sur lequel déposer toutes ces informations. «Une réflexion est en cours concernant l’outil qui sera utilisé pour la gestion de cet inventaire», confirme le cabinet wallon de l’Energie.

Il n’y a pas de temps à perdre. Ce nécessaire inventaire, de toute manière utile, doit permettre la rénovation progressive du bâti dans un but d’économies d’énergie. L’Europe impose aux Etats membres de rénover chaque année au moins 3% de la surface au sol totale des bâtiments publics et de réduire de 1,3% à 1,9% par an, jusqu’en 2030, la consommation d’énergie des organismes publics.

«De nombreuses actions ont déjà été mises en place pour améliorer le bilan énergétique des bâtiments publics, assure-t-on au cabinet wallon de l’Energie. La plupart sont encore en cours de réalisation. Mais elles n’ont manifestement jamais fait l’objet d’un cadastre centralisé permettant de corréler le montant des subsides octroyés avec les réductions de consommation d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre

Une fois établi, cet inventaire des bâtiments publics en Belgique devra être actualisé tous les deux ans. Mais une chose à la fois…


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