La mobilité, voire l’immobilité, est certainement l’un des problèmes les plus criants, et visibles, de la gestion publique à Bruxelles. Pas un seul habitant, un seul navetteur ou un seul touriste de passage ne peut échapper à ce fléau quotidien des embouteillages qui paralysent notre capitale.
Avec toutes les conséquences néfastes que ceux-ci engendrent sur notre santé (pollution, qualité de l’air dégradée, bruit, stress ou agressivité) et sur notre qualité de vie. L’économie n’est, par ailleurs, pas épargnée puisque le coût des embouteillages à Bruxelles a été évalué à 100 millions d’euros par an selon une étude du cabinet du Ministre fédéral de l’Economie, Kris Peeters. Nous sortirions donc tous gagnants de la mise en place de solutions structurelles visant à augmenter drastiquement l’offre de transports publics, de véhicules partagés et d’espaces pour les piétons et cyclistes. En somme, une véritable transition écologique et numérique de la mobilité.
Mais au lieu de ça, les débats politiques récents se sont concentrés autour de deux sujets : les tunnels et le plan Taxi. Or, ils cachent des enjeux beaucoup plus fondamentaux. A propos de ces fameux tunnels, les discussions ont surtout concerné la manière et les moyens financiers pour les remettre à neuf (ou presque). Résultat : prolongation de ces lourdes infrastructures héritées de la société du « tout à la bagnole » des années ’60 et ’70. Autrement dit : absence de vision et de choix, conduisant in fine à un gaspillage de moyens et à un verrouillage du changement politique nécessaire. Quant au plan Taxi, il cristallise l’opposition frontale entre Uber et les compagnies de taxi traditionnelles. De ce duel à couteaux tirés, et probablement stérile, il semble évident qu’aucune vision claire des défis dignes d’une mobilité du 21e siècle ne pourra émerger. En effet, entre une multinationale californienne qui souhaite maximiser son profit à court terme, avant de le rapatrier, tout en poussant ses chauffeurs à travailler sans couverture sociale, et une corporation qui est restée en retrait, depuis des décennies, des innovations technologiques et des nouveaux besoins de nos concitoyens, il est compliqué d’entrevoir un futur désirable pour la mobilité et les déplacements collectifs à Bruxelles. Il est pourtant de notre devoir de responsable politique de l’imaginer, avec ambition et créativité, en s’inspirant des expériences positives à l’étranger.
La « mobilité rêvée » de demain, consiste, par exemple, en la création d’une application web publique, reliée à une flotte de véhicules partagés (style « Cambio »), et conduite par des travailleurs employés et correctement rémunérés. Concrètement, on pourrait imaginer une structure coopérative, avec la Région comme actionnaire majoritaire ou de référence, qui serait propriétaire de l’application, des « véhicules partagés 2.0 » et qui emploierait l’ensemble des chauffeurs. Les citoyens utilisateurs du service et les travailleurs auraient la possibilité de devenir eux-mêmes coopérateurs, ce qui garantirait une redistribution juste, et ancrée localement, des bénéfices de l’entreprise. En d’autres termes, l’idée est de créer un concurrent direct, crédible et efficace à la technologie Uber, sous forme de coopérative, avec des capitaux publics, un algorithme transparent et accessible publiquement, ainsi que des travailleurs-coopérateurs qui pourraient bénéficier des profits générés.
Dans un deuxième temps, on pourrait imaginer d’autres flottes de véhicules (voitures, vélos, scooters,… toujours à partager), provenant de différentes entreprises, qui viendraient s’ajouter à l’offre de cette application coopérative. Enfin, cerise sur le gâteau, l’ensemble des entités publiques (administrations communales, régionales et fédérales) pourrait mettre leurs véhicules propres sur cette plateforme, afin que les citoyens puissent les utiliser (avec chauffeurs ou pas) durant les tranches horaires où ils ne circulent pas (le soir ou les week-ends).
Utopie me direz-vous ? Pas vraiment : d’autres villes se lancent déjà dans ce type de projet. Amsterdam, par exemple, travaille sur un projet-pilote, impliquant le partage de ses propres ressources: parc informatique, parc de véhicules, bureaux, ou encore flotte maritime. La ville a en outre déjà mis en partage une partie de sa propre flotte de véhicules. Chez nous, les communes de Schaerbeek et d’Ottignies-Louvain-la-Neuve ont conclu un partenariat avec une entreprise de voitures partagées afin d’y inclure leur flotte communale. Séoul ou San Francisco ont également déjà mis sur pied des initiatives de partage et d’applications numériques propres afin de se réapproprier les moyens technologiques en vue d’améliorer la qualité de service à leurs habitants sans se retrouver coincées entre les mains des GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon).
Aucune raison ne nous empêche de développer une vision moderne, efficace et durable de la mobilité à Bruxelles. Au contraire, il serait irresponsable de ne pas le faire à l’heure où les technologies se développent plus vite que jamais, où les géants de l’internet risquent de rafler la totalité de la mise, et où les voitures autonomes sont déjà à nos portes. Des réponses fortes et ambitieuses sont indispensables et nous avons donc besoin de politiques qui prennent leurs responsabilités !
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