Joseph Junker
Interdire les oeufs de Pâques ? Non au laïcisme rabique !
Cela devient une interrogation récurrente, qu’on finit par se poser à chaque fête traditionnelle, singulièrement d’origine religieuse : mais quelle mouche a donc piqué les autoproclamés défenseurs de la laïcité ?
Un blogueur de gauche ironise sur la chasse aux oeufs de Pâques organisée par des jeunes MR, pour qui la laïcité serait donc optionnelle selon lui. Des associations antiracistes hurlent au meurtre à chaque fois que paraît Zwarte Piet, un peu trop noir au goût de ces messieurs. Nos marchés de Noël rebaptisés en douce « Plaisir d’hiver », les congés scolaires soudainement devenus de printemps, d’hiver et d’automne plutôt que de Toussaint, de Noël ou de Pâques… à se demander si on finira par renommer les jours de la semaine ou les planètes A,B,C,D… en raison de leur référence aux dieux du panthéon romain ! Et ne parlons même pas de la notation francophone des notes de musique Do-Ré-Mi, issue d’un poème à St Jean-Baptiste, quelle intolérance pour les solfégiens musulmans et juifs !
Bien sûr, tous ces exemples se disputent la palme du ridicule, et ils ne mériteraient guère plus qu’un haussement d’épaules si l’on n’en voyait pas apparaître de plus en plus chaque année. Après tout, ces gens mal lunés ne seront probablement contents que le jour où des pères Fouettard multicolores et androgynes distribueront aux enfants des petits coeurs de la paix en sucre et Saint-Nicolas aura jeté aux orties croix, crosse et mitre. Il sera épargné de justesse à Nicolas de devenir « Nicole » une année sur deux, concédant que « les esprits ne sont pas encore prêts ». Et quand nos traditions auront de la sorte perdu toute saveur et tout intérêt, elles mourront à petit feu au fil des années, jusqu’à voir Nicolas désormais devenu dépressif et héroïnomane, réduit à taper le carton avec la cloche de printemps et le père d’hiver en période de soldes devant « l’univers du matelas ». Triste fin pour les héros de notre enfance que d’être réduits à un amusant petit rappel culturel dont les services de relations publiques de la grande distribution ont le secret !
Le malheur veut que ces sottises prolifèrent un peu plus chaque année, revenant à chaque fête religieuse comme la vermine de mars ou le gel de décembre. C’est ainsi que nous voyons notre société devenir chaque année un peu plus fade, un peu plus politiquement correcte, un peu plus non pas » multiculturelle », mais « a-culturelle », sans plus la moindre expression d’une culture commune ou de traditions qui nous rassemblent.
Ce qui est étonnant de constater pourtant, c’est la motivation donnée à ces fadaises. Les dénominations traditionnelles seraient en effet « non neutres ». C’est d’autant plus étonnant que leur agressivité semble se concentrer particulièrement sur les traditions catholiques. A croire que laïcité est le nom que d’aucuns donnent à leur anticléricalisme.
Etonnant aussi cette manie d’invoquer la neutralité au bénéfice d’un agenda idéologique nihiliste qui n’a en fait rien de neutre. Nous en avons d’ailleurs un autre exemple frappant sous les yeux au sujet des fameux cours de « citoyenneté », qui ne sont pas grand-chose d’autre que la généralisation du cours de morale – par ailleurs l’expression d’un « culte » reconnu et subsidié et tout à fait honorable, mais qui a maintes fois démontré que son rabisme n’a pas grand-chose à envier à celui de l’Inquisition de la grande époque. Se parant des somptueux habits de la neutralité, la laïcité « reconnue » n’hésite pas à étaler ses prétentions d’universalisme… un autre point commun avec les religions tiens ! Disons-le franchement, si telle est l’intention de nos gouvernants quand on parle d’inscrire la laïcité dans la constitution, qu’il me soit permis non seulement de n’y voir aucun intérêt, mais de nourrir même les pires appréhensions à ce sujet. Nous avons besoin d’une laïcité qui permette à chacun d’exprimer dans le respect des uns des autres, pas d’un laïcisme nihiliste qui se permet d’intimer le silence aux autres au prétexte de sa propre « neutralité » qui n’en est pas une.
Nous ne ferons d’ailleurs pas avancer la société d’un pouce en accédant à ces délirantes exigences laïcistes (qui n’ont en fait rien à voir avec la laïcité). Par contre, nous vivrons dans une société bien triste le jour où Noël sera définitivement devenu une succursale de réveillon et la Toussaint, Saint-Nicolas, Pâques et les feux de la Saint Jean ne seront plus que des jours comme les autres ou des célébrations désincarnées. Bien sûr des fêtes privées subsisteront, mais quel dommage ce serait de ne plus avoir de fêtes qui sont issues des tréfonds notre histoire et que tous partagent quoi qu’en en pense !
Nos traditions sont nos racines. Elles nous donnent une histoire commune et une manière d’exprimer ce que nous sommes et ce qui nous rassemble. Nier leur filiation religieuse en raison de la sécularisation de notre société a à peu près autant de sens que de brûler son arbre généalogique par révolte envers ses parents. Cela ne changera pas ce qui a été, et cela traduit surtout un rapport inapaisé par rapport à notre histoire. La société belge a passé l’âge d’être en crise d’adolescence permanente, et il serait temps que nous puissions accepter nos racines telles qu’elles sont et vivre et partager nos traditions avec tous les citoyens belges, quelle que soit leur origine.
A l’heure où notre vivre-ensemble se désintègre chaque jour un peu plus, ce ne serait pas du luxe.
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