Interdiction de pigments, hausse des prix… Le métier de tatoueur, de plus en plus compliqué
Le métier de tatoueur affronte un nouvel obstacle début 2023. La règlementation européenne interdisant l’utilisation de l’encre bleue et verte dans les tatouages vient d’entrer en vigueur. Les 1.995 tatoueurs enregistrés au Service Public Fédéral Santé (SPF Santé) doivent respecter cette loi qui limite leur activité et les oblige à utiliser un nombre restreint de couleurs. Comment survit le métier ? A quels défis les tatoueurs belges sont-ils confrontés ?
Après la pandémie, pendant laquelle les salons de tatouage étaient fermés pour des raisons sanitaires, en janvier 2022, la première vague des restrictions de la Commission Européenne (CE), bannissant l’utilisation des encres aux pigments rouges, oranges et jaunes a encore rendu la tâche des tatoueurs plus difficile. Aujourd’hui, nouvelle restriction: les tatoueurs doivent se passer des pigments bleus et verts, selon une directive européenne entrée en vigueur ce 4 janvier.
Cette règlementation, datant de 2015, est justifiée par l’Agence Européenne des produits chimiques : ces encres pigmentées utilisées dans les tatouages et le maquillage permanent contiennent des substances dangereuses cancérigènes, mutagènes ou toxiques qui peuvent se répandre dans l’organisme.
L’encre à double prix
Selon Noémie, tatoueuse à Casa Mariposa, à Ixelles, le prix de l’encre a doublé. Joël, son partenaire, fait la commande du matériel en ligne sur plusieurs sites ; Noémie alterne et teste plusieurs encres. Elle tient à respecter à la fois les règlements et l’environnement.
La tatoueuse a trouvé des solutions. Pour ne pas prendre de risques, elle n’utilise que l’encre noire car elle considère cette dernière comme étant la moins toxique pour ses clients ainsi que pour l’environnement. Elle admet pourtant que même la couleur noire contient des matières chimiques. Cependant, elle pense que cette encre récemment commercialisée, l’année dernière, devrait faire l’épreuve du temps aussi, ce qu’elle ne cache pas aux clients. Ce qui n’empêche pas son calendrier d’être complet jusqu’en mars, malgré quelques annulations de clients qui n’arrivent plus à boucler leur fin de mois et proposent de la payer plus tard, ou en plusieurs versements.
Roman n’est pas lui-même tatoueur (quatre tatoueurs travaillent dans son salon), mais il est gestionnaire de son business Ritual, un des plus anciens salons de tatouage au centre-ville de Bruxelles. « Tout est en hausse, d’abord l’encre, l’énergie et l’alimentation », explique-t-il. Roman ne peut pas embaucher une personne pour la logistique et les charges administratives. Du coup, il gère tout lui-même pour que son commerce tienne : le calendrier, les achats, l’administration, la gestion des réseaux sociaux. Roman craint surtout la concurrence clandestine qui propose des prix compétitifs, beaucoup plus bas, ce qui ne lui permet pas de hausser les prix.
Noémie, comme Roman, avoue qu’elle travaille beaucoup pour ne pas augmenter les prix et pour pouvoir continuer la mission de préserver la nature et l’environnement. Avec deux autres tatoueuses, elles travaillent quotidiennement, chacune 3 client.es par jour. Le loyer du local et les charges sont les plus chers.
Respecter l’hygiène, c’est cher !
Dans ce commerce, il n’y a pas que l’encre. Le matériel devient aussi très cher : aiguille, rasoir, cellophane, gants, papier, désinfectant, etc. A Casa Mariposa, les clients sont priés d’amener leur rasoir, à la fois pour des raisons écologiques et économiques. Pour la cellophane, elle utilise un matériel bio, un peu plus cher mais certainement moins nuisible car dégradable. Noémie et Roman soulèvent le problème des tatoueurs clandestins qui exercent chez eux, ils n’ont donc ni loyer, ni charges à payer ; et, probablement, ils exercent le métier sans la formation SPF (formation obligatoire sur les règles d’hygiène) et sans obéir aux règlements de la CE.
Roman explique que ce métier est un commerce. « En Belgique, les tatoueurs sont des commerçants, ils payent 21 % de TVA alors que les illustrateurs, les peintres, les dessinateurs n’en paient que 6. De plus les tatoueurs n’ont pas droit au chômage les jours où ils ne travaillent pas. »
Négociations et réconciliation
A ces difficultés s’ajoute donc ces nouvelles restrictions quant à l’utilisation des pignements bleus et verts. L’ASBL National belge des tatoueurs et perceurs a lancé sur son site web une pétition pour pouvoir continuer à les utiliser, rejoingnant ainsi une initiative française, ayant pour objectif « la prolongation de la période de transition pour les pigments PB15 (bleu) et PG7 (vert) et la réalisation d’un ajustement réaliste des valeurs seuils fixées dans le règlement (CE) no1907/2006 (REACH). »
L’ASBL affirme, sur son compte Facebook, que « personne ne connaît la durabilité des nouveaux produits, [utilisés depuis l’année précédente, et que], la restriction de 2 pigments bleu et vert ne va qu’aggraver la situation en 2023. »
Nahida Jabak
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici