Inondations, un an après : « Il faut d’abord être plus efficaces avec les moyens actuels »
Critiquée pour l’efficacité de ses interventions lors des inondations de juillet 2021, quelles leçons la Protection civile a-t-elle pu tirer ? Aurait-elle pu faire mieux ? Entretien croisé avec Cédric Erken, directeur général de la Sécurité civile, et le colonel Nicolas Tuts, chef d’unité à la caserne de Crisnée.
Plutôt méconnue du grand public, la Protection civile est un service de secours du Service public fédéral. Elle vient en soutien aux pompiers, aux effectifs médicaux et à la police en cas d’événements exceptionnels (notamment pendant la crise sanitaire) ou de catastrophes diverses, dont les inondations. Elle peut intervenir à la demande du ou de la ministre de l’Intérieur, d’un gouverneur de province, d’un(e) bourgmestre, de la police ou des pompiers.
A l’instar des services de secours de première ligne et de la Défense, la Protection civile s’est elle aussi retrouvée bien démunie pour secourir certaines personnes au plus fort des intempéries qui se sont abattues sur la Wallonie. Rapidement, plusieurs élus, experts et médias ont pointé du doigt la réforme de la Protection civile du précédent ministre de l’Intérieur, Jan Jambon (N-VA). Entrée en vigueur en janvier 2019, elle s’est notamment traduite par la fermeture de quatre des six casernes (deux en Wallonie, deux en Flandre). Depuis lors, seules les unités de Crisnée, en province de Liège, et de Brasschaat, en province d’Anvers, sont opérationnelles.
Un an après, quel regard portez-vous sur l’intervention de la Protection civile lors des inondations de juillet dernier ?
Cédric Erken, directeur général de la Sécurité civile : Rappelons le caractère exceptionnel de ces inondations. Tous les services, y compris la Protection civile, se sont retrouvés démunis par rapport à ces trombes d’eau. Des reproches sont sortis dans la presse assez rapidement, disant que les moyens n’étaient pas adaptés. Nous sommes sûrs d’avoir acquis un matériel performant, basé sur des standards européens, pour intervenir en eaux vives. Les bateaux plus puissants sont conçus pour naviguer sur des fleuves. Or, à certains endroits, le débit était très élevé mais il n’y avait pas assez de hauteur d’eau. Il a parfois fallu se résoudre à ne pas pouvoir intervenir. Durant plus de quarante-huit heures, mêmes les hélicoptères français et italiens sollicités dans le cadre de l’assistance européenne n’ont pas pu voler, tant la masse nuageuse était basse.
« Même si on avait eu davantage de moyens, rien ne dit qu’ils auraient pu intervenir. »
Et concernant les compétences des équipes pour intervenir lors de tels événements ?
Nicolas Tuts, chef d’unité à la caserne de Crisnée : Bien avant la réforme du 1er janvier 2019, on nous a notamment demandé de nous spécialiser dans le sauvetage en inondations, ce que l’on a fait. Nous disposons d’équipes certifiées au niveau européen pour ce type d’interventions. Lors des inondations, on a envoyé toutes nos équipes formées, du côté francophone comme néerlandophone, sur le terrain. Mais encore à l’heure actuelle, on reste dubitatif : les moyens étaient-il suffisants ? On est presque incapable de l’évaluer. Même si on en avait eu davantage, rien ne dit qu’ils auraient pu intervenir. Les équipes du mécanisme européen de protection civile, elles aussi très bien formées, n’ont pas davantage pu avoir accès aux endroits qui nous étaient inatteignables. Quand vous ne pouvez plus faire d’interventions ni verticales, ni horizontales, il est clair que des gens ont pu rester vingt-quatre, voire quarante-huit heures sur des toits.
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Les personnes en détresse n’ont pas toujours pu joindre les services de secours. Pourrait-on organiser différemment la priorisation des interventions de terrain ?
N.T. : Il y a effectivement eu une masse d’appels de la population pour avoir de l’aide. Certaines personnes n’ont pas pu joindre le 112 ou n’avaient tout simplement plus de réseau. A l’avenir, nous ne travaillerons plus uniquement à la demande, mais aussi par secteur d’intervention. Pour chacun de ces secteurs, nous attribuerons des équipes qui ratisseront toute la zone, afin d’aider un maximum de personnes. Nous devons aussi mieux connaître et mieux calibrer les moyens que l’on a sur l’ensemble du territoire belge. Depuis que les zones de secours ont acquis une certaine autonomie, nous n’avons plus de vue globale sur les moyens dont elles disposent. Mon avis personnel, c’est qu’il faudrait un monitoring en temps réel des équipes disponibles sur le territoire belge en fonction de leurs compétences respectives : inondations, feux de forêts, interventions chimiques, etc. Il y a de bons moyens en Belgique, mais il manque cette vue globale.
Quand pourrait-on faire aboutir ce monitoring des forces en présence ?
C.E. : On plus de prise sur une temporalité interne à la Protection civile que lorsque l’on discute avec d’autres services, qui ont leur autonomie et leur propre agenda. Là, ça se complique. Je pense qu’il faut se donner un horizon de deux ans. Si des équipes doivent se former dans les zones de secours, comme certaines en ont marqué l’intention, il faut acquérir le matériel et assurer des formations en petits groupes, ce qui peut facilement prendre dix-huit à vingt-quatre mois.
Depuis la réforme, les deux casernes restantes de la protection civile sont situées à l’est du territoire. Qu’adviendrait-il en cas d’inondations exceptionnelles plutôt centrées sur le Hainaut ?
N.T. : D’abord, la Protection civile est un service de deuxième ligne. Il y a donc une première intervention des zones de secours, qui peuvent faire appel à celles avoisinantes. Ensuite, si nous avions connu les mêmes inondations à Tournai, on aurait réquisitionné un hall omnisport pour mener toutes nos opérations à partir de là, et non à partir de la caserne de Crisnée. Décider de mettre en place des postes avancés, cela suppose d’avoir du personnel vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. Est-ce nécessaire ? Si l’on compare avec la France, elle dispose de trois unités de sécurité civile sur son territoire : une près de Paris, une près de Marseille et une en Corse. Ces unités, qui ont exactement le même rôle que notre Protection civile, partagent donc la même philosophie.
Quels sont les autres enseignements attendus dans les prochains mois ?
C.E. : Le parlement a adopté une résolution visant à mener une enquête sur la Protection civile. Il s’agit de voir comment ses partenaires (pompiers, défense, santé publique, police) estiment la qualité de son travail. Il y aura aussi un volet sur la localisation des casernes. Les résultats finaux sont attendus dans le courant du mois d’août.
N.T. : Peut-être faudra-t-il plus de casernes dans la Protection civile ou plus de personnel. Mais il faut d’abord voir si l’on peut être plus efficace avec les moyens actuels, notamment des zones de secours. Nous tentons malgré tout de nous renforcer. L’idée n’est pas de refiler la patate chaude aux autres services. Nous avons été beaucoup décriés depuis 2019 et il est vrai que la réforme a entraîné un changement assez important pour nos partenaires. Mais rouvrir des casernes n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît. Si l’ouverture d’un poste dans le Hainaut implique de réduire le personnel à Crisnée, je ne pense pas que l’on gagnera en efficacité. Il faut aussi attendre les résultats des études sur la gestion des inondations. Elles produiront leurs résultats à la fin de l’année. Et puis, un groupe d’experts sur la planification d’urgence et la gestion de crise fournira aussi des réponses début 2023. Avec ces trois analyses, on y verra plus clair sur les constats, les recommandations et dès lors les mises en action.
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