Carte blanche
Individualisation des droits: en 2019, il y a obligation de moyens et de résultats !
L’article 10 de la Constitution dispose non seulement que tous les Belges sont égaux devant la loi, mais de surcroît que l’égalité des hommes et des femmes est pour nous garantie.
Malgré ce prescrit constitutionnel et la législation anti-discrimination qui découle, égalité de droits et égalité de faits restent trop souvent des notions bien distinctes dans notre pays. Il subsiste même des iniquités légales qui mettent à mal jusqu’aux choix de vie de citoyennes et de citoyens. L’absence d’individualisation des droits sociaux en est une particulièrement perverse car elle touche celles et ceux qui, en tant qu’allocataires sociaux, vivent déjà des situations de fragilité.
Pensions au taux ménage, pensions de survie, pensions de divorce, statut de cohabitant en matière de chômage et d’invalidité sont autant de mécanismes qui relèvent d’une même logique, celles des droits sociaux « familialisés » et non individuels. Il ne s’agit pas des droits propres que s’ouvrent les travailleuses et les travailleurs qui cotisent, mais de droits dérivés pour leurs enfants ou pour leur partenaire lorsqu’elle ou il se trouve sans revenus professionnels. Les droits dérivés ne se fondent donc pas sur le travail, mais varient en fonction d’une relation de parenté, de mariage ou de cohabitation. Il s’agit de mécanismes sociaux où l’unité de base est le couple traditionnel, un modèle dont s’éloignent les réalités de vie d’une nombre de Belges qu’il n’est plus permis de négliger.
Les inégalités engendrées par le statut de cohabitant en matière d’invalidité offrent des exemples particulièrement évocateurs des difficultés qui s’ajoutent à la maladie lorsque les choix ou les circonstances nous écarte des schémas traditionnels. C’est par exemple l’histoire aussi touchante que véridique de la famille de ce père célibataire et de ses trois enfants. En maladie de longue durée, il est indemnisé au taux charge de famille à 65% de son revenu, soit 92,64€ par jour et en moyenne 2408,64€ par mois. Lorsque son oncle décède, il décide d’accueillir chez lui la compagne de celui-ci, restée sans autre famille. Le couple vieillissant ne s’était jamais marié et cette tante est considérée comme non apparentée: c’est une personne tierce au ménage qui l’accueille. Comme elle a des revenus de pension supérieur à 1068,28€ brut par mois, les indemnités doivent être adaptées au taux de cohabitant à 40% du revenu, soit 57,01€ par jour et en moyenne 1482,26€ par mois. Pour ce papa la perte mensuelle dépasse les 925€. Elle est si lourde qu’elle balayera leur tentative de solidarité intrafamiliale : il ne pourra pas accueillir sa tante bien longtemps dans leur famille.
Si cette histoire malheureuse est celle d’un père, ce sont le plus souvent les femmes les victimes de mécanismes fiscaux et sociaux qui entretiennent leur dépendance à une relation de couple institutionnalisée. La discrimination pour les femmes atteint un comble navrant avec le mécanisme des pensions de survie. Ce droit dérivé, conçu à une époque où il fallait protéger l’épouse au foyer et les enfants d’un travailleur décédé, met trop souvent les femmes d’aujourd’hui dans la situation de devoir renoncer à leur emploi pour limiter la diminution des rentrées financières de la famille en cas de décès de leur conjoint. Un cadeau empoisonné qui les éloignent du monde du travail et de leur vie sociale de travailleuses, et qui dans certains cas diminuera même drastiquement les revenus aux quels elles auraient pu prétendre au jour de la retraite.
Paradoxalement, la non-individualisation des droits sociaux ne fait que renforcer l’individualisme et les droits « familialisés » ne garantissent plus les solidarités intrafamiliales. La non-individualisation des droits sociaux met aussi bien à mal la solidarité collective redistributive que les solidarités rendues possibles par des choix de vie en communauté. Cela est particulièrement insupportable pour les progressistes qui, à l’instar de Femmes Prévoyantes Socialistes, interpellent depuis plus de 40 ans pour que l’ensemble des travailleuses et des travailleurs, avec ou sans emploi, puissent bénéficier de droits propres basés sur leurs cotisations et sur la solidarité redistributive, et non espérer des droits dérivés liés à une relation de parenté. D’autant que lorsqu’il s’agit de prélever des cotisations, c’est bien l’individu, et non la famille, qui est considéré.
En 2019, quand la persistance de droits sociaux « familialisés » contrevient au principe d’égalité, il y a urgence à concrétiser l’individualisation des droits sociaux. Cette revendication portée depuis trop longtemps par différents acteurs associatifs doit trouver dès la prochaine législature un relais politique efficace pour mettre fin à l’injustice. Bien sûr, il ne s’agira pas de mettre en péril des situations existantes qui bénéficient à certains couples et individus. La transition doit être progressive et réfléchie dans le sens d’un renforcement global des revenus et des droits. Ceux qui prendront les décisions au terme du prochain scrutin, ne devront pas s’arrêter à la complexité de la mise en place d’une telle évolution. Il y a obligation de moyens mais aussi, et surtout, de résultats pour concrétiser l’individualisation des droits sociaux.
La lutte pour une égalité réelle est un processus historique jalonné de défaites mais aussi de victoires. Le moment est venu de se jeter dans une nouvelle bataille, essentielle pour l’obtention d’une conquête sociale de notre temps. Nous ne pouvons plus accepter qu’un système d’hier précarise aujourd’hui certaines et certains des plus fragiles d’entre nous en raison de circonstances ou de choix de vie!
Coline MAXENCE – Secrétaire régionale de Femmes Prévoyantes Socialistes, Co-Directrice du Secteur Associatif de Solidaris Mons-Wallonie picarde
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