Immobilier : pourquoi le Canal est toujours une barrière en Région bruxelloise
Malgré le nombre de projets immobiliers qui y voient le jour, le Canal marque toujours une césure en Région bruxelloise. Explications chiffrées.
Géomètre expert actif à Bruxelles depuis plus de vingt-cinq ans, Stéphane Pirard a eu des bureaux à Laeken, à Molenbeek-Saint-Jean, Jette et Anderlecht. Ratissant de long en large le nord-ouest de la capitale, il s’est spécialisé dans les projets neufs, qu’il est appelé à analyser et à évaluer. » Il faudra encore attendre des années avant que la barrière du Canal ne tombe « , estime l’expert.
On promet le renouveau du Canal depuis plus de vingt ans. Mais quand on observe l’évolution des prix dans les communes du nord-ouest et du sud-est de Bruxelles, on se rend compte que, d’un côté du Canal, ils ont progressé de 10 % en moyenne depuis 2010, de l’autre, on dépasse les 20 % de hausse…
Passé le Canal, les biens sont terriblement délabrés, surtout à Anderlecht et Molenbeek. Et les projets neufs ne pèsent pas dans les moyennes de prix car les appartements y sont très petits, de l’ordre de 65 à 70 mètres carrés pour un deux-chambres. C’est du jamais-vu ! Du coup, les prix s’en ressentent, tournant aux environs de 150 000 à 170 000 euros. Dans le projet City Dox, à Anderlecht, il y avait même des studios à 105 000 euros ! Si vous vendez 40 appartements à ce prix-là, vos moyennes sont complètement tronquées. Par ailleurs, le problème des statistiques du SPF Economie, c’est qu’elles ne font pas de corollaire entre la superficie d’un bien et son prix. Et ne parlons pas de son état général…
Observez-vous tout de même une évolution au nord-ouest de Bruxelles ?
Oui et non. Les choses changent, mais le Canal reste une barrière infranchissable pour beaucoup de Bruxellois, surtout au niveau d’Anderlecht et de Molenbeek-Saint-Jean. Pourtant la première n’est pas dénuée d’attrait. Elle est vaste et possède encore des terrains à bâtir. Et puis, elle a plusieurs visages. On peut y identifier une vingtaine de quartiers différents. A Cureghem, par exemple, du côté des abattoirs, les prix sont très bas. C’est l’un des quartiers les moins chers de Bruxelles. Par opposition au nouveau quartier Erasme, où les prix sont similaires à ceux d’Uccle. Le projet Erasmus Gardens, c’est 3 500 euros du mètre carré… Molenbeek est en revanche vraiment difficile. Quoiqu’il y ait aussi des quartiers qui bougent, tel le boulevard Mettewie, où certains projets sortent de terre à des prix abordables pour des familles. A l’inverse, du côté de la maison communale, de la chaussée de Gand, de l’avenue de Ribaucourt, il n’y a rien. C’est très paupérisé. Quant à Koekelberg, elle est très petite. Il n’y a pratiquement pas de projets, ou alors des petites promotions d’une dizaine d’appartements. Difficile, à cette échelle, de tirer les prix vers le haut.
Qu’en est-il des autres communes ?
Ganshoren, Berchem-Sainte-Agathe et Jette sont mieux cotées – tout est relatif évidemment, mais elles sont 10 % à 15 % plus chères que les autres communes du nord-ouest de Bruxelles. Le cas de Jette est particulier. C’est un microcosme, les Jettois vivent pratiquement en autarcie. Il y a quelques beaux projets, mais ils ne sont pas légion. Elle reste une commune moyenne, mais c’est une des plus agréables de ce côté-là du Canal.
Passé le Canal, les biens sont terriblement délabrés, surtout à Anderlecht et Molenbeek.
Ces petits prix devraient néanmoins attirer les jeunes couples. Ne fût-ce que pour y dénicher une maison…
C’est certain que si vous voulez acheter une maison en bon état en dessous de 500 000 euros à Bruxelles, vous n’avez pas le choix, vous devez traverser le Canal. A Anderlecht, vous pouvez trouver une deux-façades entre 250 000 et 300 000 euros avec quelques travaux à faire du côté de la chaussée de Ninove, d’Erasme, du boulevard Prince de Liège…
Est-ce assez pour engendrer un phénomène de contamination d’une rive à l’autre du Canal ?
Pas vraiment. Bien sûr, il y a des exceptions. A Molenbeek-Saint-Jean, par exemple, où le quai des Charbonnages est devenu relativement branché. D’anciens bureaux et commerces ont été transformés ces trois, quatre dernières années en appartements de très haut standing avec vue sur le Canal et le Petit Château. Certains se sont échangés à plus d’un million d’euros ! Des prix qui se justifient par la proximité immédiate, sur la rive en face, des quartiers Sainte-Catherine et Dansaert, ainsi que, par extension, du centre-ville. Le quai du Hainaut, voisin, connaît le même engouement grâce à la réaffectation des anciennes brasseries Belle-Vue en hôtel pour jeunes et à l’installation du Mima, le musée d’art urbain. Mais c’est une sorte de bulle dont l’attractivité est très limitée.
Quel est le profil de ceux qui ont acheté là ?
Ce sont pour la plupart des Flamands de Bruxelles, très aisés, des jeunes un peu » bobo « , d’autres gravitant autour des quartiers gays tout proches. Car les acquéreurs de ces appartements logent peut-être à Molenbeek, mais ils vivent en face, traversant le pont dès qu’ils en ont l’occasion.
Le fait que le Canal fourmille de projets est tout de même symptomatique.
Oui, bien sûr. Il y a vingt-cinq ans, personne ne voulait entendre parler du Canal. Pas même sur une frange de 100 mètres de part et d’autre. Aujourd’hui, une multiplicité de projets s’y ancrent. Ainsi, sur Bruxelles-Ville, de Tour&Taxis et du projet Tivoli Greencity derrière. Voire de Canal Wharf et de Riva en face, dans la zone qui s’étend du pont de Sainctelette et du nouveau musée Kanal à la tour UP-site. Sans oublier, à Anderlecht, les projets City Dox, le long de la digue du Canal, et Nautilus, à l’intersection des boulevards Industriel et Paepsem. Ou encore, plus au nord, à Cureghem, la fameuse marina et ses 300 logements sur le quai de Biestebroeck. Mais encore faut-il qu’elle voie le jour ; c’est un peu notre » monstre du Loch Ness « .
Tous ces projets neufs n’ont-ils pas un impact positif sur leur voisinage ?
C’est encore trop tôt pour le dire. Je prends l’exemple du quartier Nord, rénové dans les années 1990. Les quartiers voisins ont suivi le pas par effet de contagion, mais bien plus tard. Les chantiers sont en cours depuis quelques années seulement. Et encore, de là à penser que, outre le neuf, l’immobilier existant va prendre de la valeur, c’est aller un peu vite. Il faudra encore des années. Pour preuve, le long du Canal, on se situe dans des fourchettes de prix allant de 3 700 à 4 200 euros du mètre carré. Une rue derrière et vous êtes à 2 500-2 800 euros… toujours pour du neuf.
Qu’est-ce qui serait susceptible d’impacter rapidement un quartier ?
A Laeken, par exemple, il y a eu un avant et un après la venue d’une école européenne en face du palais royal. Le futur projet Neo, au Heysel, créera sans doute lui aussi un appel d’air.
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