Il y a 25 ans, la Belgique n’avait plus de roi
Il y a 25 ans, le roi Baudouin était prêt à abdiquer pour ne pas signer la loi dépénalisant l’avortement. Grâce à une entourloupe constitutionnelle, on n’en arrivera cependant pas à de telles extrémités. Néanmoins, durant une journée, la Belgique n’a plus eu de roi.
Lorsque, le 30 mars 1990, au lendemain de l’adoption du projet de loi Lallemand-Michielsens par la Chambre, Baudouin fait part au Premier ministre Wilfried Martens de son refus de sanctionner et promulguer le document, il pense jouer son trône. « Il en avait parlé à Fabiola, qui lui avait assuré qu’elle le soutiendrait s’il devait abdiquer », rapporte Vincent Dujardin, professeur d’histoire à UCL. Toutefois, « contrairement à ce que Martens écrit dans ses mémoires, le Roi lui avait déjà laissé entendre qu’il ne signerait pas. Le Premier ministre avait donc pu réfléchir à une solution auparavant. »
Tant les ministres que l’entourage du Roi ont tenté de le convaincre de signer la loi. « Ils lui ont proposé de publier en même temps une lettre où il expliquerait sa position personnelle. Mais Baudouin estimait qu’il ne pouvait pas séparer sa personne de sa fonction », explique l’historien.
Le 30 mars 1990, au lendemain du vote par la Chambre du projet de loi dépénalisant sous conditions l’avortement, Baudouin envoyait une lettre au Premier ministre Wilfried Martens pour lui signifier son refus d’y être « associé ». En clair, de le sanctionner et de le promulguer, rôle qui lui est dévolu de par la Constitution.
« On a vraiment fait du bricolage »
Pour éviter au Roi d’abdiquer, le gouvernement a finalement décidé de signer lui-même la loi. Il a utilisé pour ce faire l’article 93 (82 à l’époque) de la Constitution, qui prévoit que, « si le Roi se trouve dans l’impossibilité de régner, les ministres, après avoir fait constater cette impossibilité, convoquent immédiatement les Chambres. Il est pourvu à la tutelle et à la régence par les Chambres réunies ». « La situation visée par cette disposition, c’est très clairement l’hypothèse du Roi qui devient fou. On a ensuite considéré qu’elle pouvait être étendue à toute raison médicale, en cas de force majeure », explique Marc Verdussen professeur en droit constitutionnel à l’UCL. Le recours à l’article de la Constitution sur l’impossibilité de régner pour permettre au roi Baudouin de ne pas signer la loi dépénalisant l’avortement représente « l’un des épisodes les plus problématiques de notre histoire constitutionnelle », selon lui. « On a vraiment fait du bricolage », estime-t-il, déplorant que le Souverain ait fait passer « des préoccupations personnelles avant l’intérêt général ».
L’article est appliqué pour la première fois en 1940, lorsque le roi Léopold III est retenu prisonnier en Allemagne. Le Monarque n’est pas malade, mais il y a bien force majeure, du moins jusqu’à la fin de la guerre (Léopold III ne recouvrera ses pouvoirs qu’en 1950). « La force majeure est une cause extrinsèque à la personne. Or, dans le cas de Baudouin, la raison est intrinsèque. Un problème de conscience n’est pas une force majeure », analyse le juriste. « On a utilisé un article de la Constitution pour l’appliquer à une situation qui n’a rien à voir. Ce bricolage, on y a recouru parce qu’un chef d’Etat a refusé d’assumer les responsabilités que lui imposait la Constitution et fait passer des préoccupations personnelles avant l’intérêt général. »
Quand, en accord avec le Souverain, le gouvernement a décidé de recourir à l’article de la Constitution sur l’impossibilité de régner, tous s’attendaient à subir une volée de critiques. « Au moment du vote sur la fin de l’impossibilité de régner, certains se sont abstenus, mais personne n’a voté contre », relève pourtant M. Dujardin. « Quatre jours après l’annonce de l’entourloupette juridique, on ne trouve déjà plus une ligne à ce propos dans les grands quotidiens. »
La Cour constitutionnelle ne s’est jamais prononcée sur le stratagème, l’article 93 ne relevant pas de ses compétences. « Mais en procédant de la sorte, on suscite du désarroi dans le chef des citoyens parce qu’on suggère qu’on peut passer outre la Constitution. Cela participe à sa délégitimation », regrette M. Verdussen.
A 60 ans et 40 ans de règne, Baudouin jouissait d’une grande autorité morale. « Il était respecté. Les Belges ont accepté son geste plus que ce qu’il avait craint. Même au niveau de l’opposition politique, on s’en est davantage pris au gouvernement qu’au Roi », remarque le spécialiste de l’UCL, qui convient que « c’était plus le fruit du jeu politique » qu’une marque d’adhésion à l’attitude royale. Au sein de la majorité, par contre, plusieurs socialistes ont critiqué le Roi.
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« Ce serait la crise de régime assurée »
Avant son couronnement, certains avaient craint que Philippe, très proche de son oncle, refuse lui aussi d’apposer sa signature au bas de lois progressistes sur le plan éthique. « Il a signé la loi sur l’euthanasie des mineurs », note Vincent Dujardin. « Mais peu après, il a visité un centre de soins palliatifs, pour montrer la différence qu’il fait entre sa personne et sa fonction. Il l’a fait assez discrètement, mais il est en tout cas difficile de ne pas y voir un lien. » Pour Marc Verdussen, il est d’ailleurs « inimaginable » que Philippe reproduise l’attitude de son oncle. « Ce serait la crise de régime assurée. Il n’y aurait jamais d’accord politique pour utiliser à nouveau l’impossibilité de régner. »