Carte blanche

« Il n’y a pas de lien entre le salaire du patron et la réussite de l’entreprise »

Lettre ouverte de Philippe Defeyt, ancien secrétaire fédéral d’Ecolo à Renaud Witmeur concernant son refus de diriger Wallonie-Bruxelles Enseignement.

Bonjour Monsieur Witmeur,

La presse a fait récemment écho au fait que vous renonciez à diriger Wallonie-Bruxelles Enseignement.

Vous posiez trois conditions, dont une concernait le salaire. C’est la seule qui n’a pas été rencontrée. D’où votre refus d’entrer en fonction.

Il semble qu’un salaire de 150.000 bruts par an ne vous suffit pas.

Pourtant, cela vous ferait au moins 5.500 € net par mois. Et j’ai la faiblesse de penser que certaines dépenses liées à votre fonction vous seront remboursées.

Savoir si plafonner les salaires dans la fonction publique et dans les entreprises publiques ou assimilées conduirait à ne recruter que des dirigeants de seconde zone est une question intensément débattue.

Le discours relativement dominant dans certains milieux et relayé par d’autres tend à accréditer l’idée que, décidément, la Wallonie et la Fédération ont mis la barre trop bas. Je ne le pense pas, pour trois raisons au moins.

La première : rares sont les situations où le succès d’une organisation (entreprise, association ou administration) dépend des seules compétences de son dirigeant. Et c’est de moins en moins le cas, tant il faut aujourd’hui agglutiner et mobiliser des compétences et profils différents pour réussir durablement. En tout état de cause, des études montrent qu’il n’y a pas de lien automatique, dans le monde des entreprises, entre salaire du patron et réussite économique durable.

La seconde c’est qu’il y a de plus en plus de femmes et d’hommes de qualité, ayant fait une partie de leur carrière dans des milieux professionnellement exigeants et très compétitifs, disponibles, arrivé.e.s à un certain âge, pour mettre leur expérience et compétences au service d’activités non marchandes, même pour des salaires moindres.

Troisième raison : ce genre de fonction offre en plus d’intéressantes gratifications non monétaires (congés plus longs, proximité avec les décideurs politiques, la satisfaction de faire évoluer l’action

politique…) et l’accès à une pension publique très confortable.

Votre refus, tout comme des opinions et attitudes de même nature, entretient culturellement cette course aux salaires élevés. En outre, il constitue, à mes yeux, une forme de mépris implicite pour tous ceux et toutes celles qui occupent des responsabilités importantes pour des salaires moindres. Faut-il dès lors penser que celui ou celle qui acceptera ce job aux conditions prévues ne vous vaudra pas ?

À titre personnel, j’ai été pendant 10 ans président du CPAS de Namur, avec la responsabilité politique et managériale – heureusement partagée avec d’autres – d’environ 1.000 travailleurs pour un budget global qui est aujourd’hui de plus de 130 millions. Mon salaire annuel brut était d’environ 100.000 € brut (au niveau actuel) et j’ai même réduit celui-ci en fin de mandat. Je n’ai pas peur de dire que toutes mes décisions n’ont, après coup, pas nécessairement été les meilleures ; quel responsable oserait prétendre n’avoir pris que de bonnes décisions ? Mais je ne pense pas avoir démérité.

Il y a des hommes et des femmes qui sont prêt.e.s à se mettre au service de la communauté, même dans le cadre des règles salariales actuelles, à condition de les préparer, de les soutenir et d’avoir des procédures transparentes et équitables. Au plus, on désignera les profils les plus adaptés aux postes de responsabilité dans le secteur public au sens large, on plus on constituera un vivier d’hommes et de femmes dont le principal objectif ne sera pas financier et qui pourront piloter l’indispensable modernisation de la fonction publique.

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