« Il faut une commission d’enquête sur Ogeo Fund »
Le fonds de pension des grandes intercommunales liégeoises est-il prudemment et éthiquement géré ? Pour la CGSP-Publifin, la réponse est non. Dans une lettre ouverte aux décideurs politiques, Christine Planus réclame la mise sur pied d’une commission d’enquête parlementaire.
» Dans la famille Publifin, je demande Ogeo Fund. » Vu l’importance de la matière, le fonds de pension liégeois a échappé aux investigations du parlement de Wallonie, mais pas à celles du Vif/L’Express (numéro du 17 mars 2017) et de la revue Dérivations (numéro de juin 2017). Aujourd’hui, le comité syndical CGSP-Publifin s’en mêle. Il réclame une représentation syndicale au sein du conseil d’administration et une commission d’enquête parlementaire. Sa présidente, Christine Planus, détaille ses griefs dans une lettre ouverte adressée aux conseils communaux actionnaires de Publifin, conseillers provinciaux de Liège, chefs de file des partis au pouvoir en Wallonie et membres de la commission Publifin. Le Vif/L’Express l’a lue.
Pour rappel, Ogeo Fund a été créé en 2007 avec l’argent des pensionnés de l’Association liégeoise d’électricité (ALE, Tecteo, Publifin), jusqu’alors géré en bon père de famille par Ethias (ex-Smap). Neuf autres intercommunales et pouvoirs publics – tous liégeois – sont venus grossir la pelote (voir le tableau plus bas).
Quelque 1,164 milliard d’euros d’actifs sous gestion garantissent les rentes actuelles ou futures des 4 285 bénéficiaires d’Ogeo. Ce pactole est investi dans des titres (actions, obligations…), de l’immobilier et des entreprises. » Les titres financiers sont regroupés au sein d’une sicav sous le nom d’Ogesip Invest, qui pesait 743 millions d’euros fin 2016, décrit la CGSP-Publifin. Ogesip Invest est géré comme un fonds privé et Ogeo Fund n’impose aucune contrainte éthique aux gestionnaires bien qu’il s’agisse de fonds publics. Ogesip Invest spécule ainsi sur la dette italienne et espagnole, a investi à Jersey auprès de la sulfureuse banque HSBC (au coeur du scandale SwissLeaks), mais aussi dans des banques américaines à l’origine de la crise financière de 2008. » Il n’y a aucune trace de la nature de ces investissements dans les rapports annuels d’Ogeo Fund.
Ensuite, les investissements immobiliers, qui » correspondent à plus de 20 % des actifs sous gestion, soit environ 250 millions investis fin 2016. Il convient de distinguer les investissements immobiliers de type 1 (acquisitions d’immeubles de bureaux pour les louer ; rendement visé : 5 %) des investissements immobiliers de type 2 (projets de construction plus risqués, réalisés via des filiales ; rendement visé : 9 %). » La plus grande opacité pèse sur ceux-ci. » Les type 1 (réalisés depuis 2009 en partenariat avec Integrale) ne sont que partiellement mentionnés dans les rapports annuels d’Ogeo Fund, alors que les type 2 – les plus risqués – en sont absents. » Il est donc impossible de connaître la répartition des investissements de types 1 et 2 et, donc, la proportion d’investissements à haut risque. Quant aux prises de participations directes dans des entreprises, » c’est le blackout total « . » Des bribes sortent parfois dans la presse et il faut s’en contenter « , regrette la CGSP-Publifin.
Opportunisme politique
Or, il y aurait des choses à en dire… Certains investissements permettent aux dirigeants d’Ogeo Fund de jouer aux » banquiers dépanneurs » pour débloquer » des situations problématiques souvent politiquement colorées « , qu’il s’agisse de sauver des entreprises au bord de la faillite, ou des projets immobiliers au point mort. Des opérations non dénuées de risques , bien documentées par la revue liégeoise Dérivations, dont s’inspire largement la lettre ouverte de la CGSP.
Ces dernières années, Ogeo Fund a perdu des millions d’euros dans un projet de golf au Canada, Aspotogan Ridge, porté par Land Invest Group (Anvers), filiale à 50 % d’Ogeo Fund. Depuis trois ans, le projet est à l’arrêt, faute de liquidités. André Gilles, alors président d’Ogeo Fund et de Publifin et pas encore exclu du PS, reconnaissait devant la commission d’enquête parlementaire, à Namur, » des avances de fonds à court terme » : 25, 30, puis 40 millions d’euros en 2011, 2012 et 2013. D’Ogeo vers Publifin. Toutes remboursées au taux d’intérêt du marché. En 2016, l’administrateur délégué d’Ogeo Fund, Stéphane Moreau (alors pas encore démissionnaire du PS), a prêté 65 millions d’euros à la compagnie d’assurance Integrale, puis a converti ce prêt en capital, ce qui a permis au CEO de Nethys, Stéphane Moreau, d’en prendre le contrôle avec 90 millions d’euros supplémentaires. » Le conflit d’intérêts est évident « , tranche la CGSP-Publifin.
Autre geste secourable : en 2014, à quelques semaines des élections régionales, fédérales et européennes, Ogeo Fund a participé au sauvetage de la société pharmaceutique Mithra, en y injectant dix millions d’euros en capital, » pour éviter au ministre PS wallon de l’Economie, Jean-Claude Marcourt, une déconvenue face au plan Marshall dont Mithra était une des success stories « , décode la représentante du syndicat socialiste. » Selon L’Initié de la Bourse du 1er février dernier, le potentiel haussier de l’entreprise est considérable mais le risque d’investissement est jugé » élevé « . Est-ce le rôle d’un fonds de pension de prendre des risques élevés pour rendre service à des amis ? » se demande la CGSP-Publifin. Qui évoque aussi, pour mémoire, les coups de pouce à des projets immobiliers en rade à Verviers (City Mall), Liège (Bavière) et Seraing (Cristal Park), des villes dirigées par des bourgmestres PS. Et encore. La lettre ouverte n’évoque pas Yves Bacquelaine, le frère aîné de Daniel Bacquelaine, ténor du MR liégeois et ministre des Pensions, l’un des administrateurs délégués de la SA Foncière de Bavière, dont Ogeo Fund a acquis 36 % des parts dans un élan désintéressé.
Pour les retraités présents ou futurs des intercommunales liégeoises sous Ogeo, ces investissements sont d’autant plus inquiétants que le système de pension par capitalisation tangue. La dégringolade des rendements financiers d’Ogeo Fund est patente : 9,17 % (2012), 7,38 % (2013), 6,95 % (2014), 5,08 % (2015), 4,50 % (2016), 2,94 % pour les six premiers mois de 2017. Certaines entreprises d’affiliation ont déjà bifurqué vers le système ONSS-APL (Office national de sécurité sociale des administrations provinciales et locales), même si Ogeo Fund continue à gérer une partie de leurs biens. L’Association intercommunale pour le démergement et l’épuration des communes de la Province de Liège (Aide) a sauté le pas, le 1er janvier dernier, comme l’avait annoncé Le Vif/L’Express. » Le système par capitalisation n’est plus tenable, justifiait alors Claude Tellings, directeur général de l’Aide et membre du comité financier d’Ogeo Fund. Nous allons donc passer au modèle de pension par répartition où les actifs paient pour les retraités. »
« Une transparence totale »
Dans sa lettre ouverte aux décideurs politiques, le comité CGSP-Publifin se plaint que chaque fois que la gestion d’Ogeo Fund a été mise en cause, ses responsables se sont abrités derrière la » surcouverture » du fonds, c’est-à-dire le montant d’actifs en surplus des actifs nécessaires à la couverture des engagements de pensions. Cette » surcouverture » s’élève à 550 millions d’euros. Il s’agit d’un important filet de sécurité d’argent public qui permet aux dirigeants d’Ogeo Fund » de prendre toutes sortes de risques sans que ceux-ci impactent le paiement des pensions « . L’argument ne convainc pas. Le personnel voudrait être représenté au conseil d’administration d’Ogeo Fund, mais il se heurte à une fin de non-recevoir. Selon PensioPlus, les syndicats sont représentés au conseil d’administration de 73 % des fonds de pension belges. Décidément, Ogeo Fund est un cas à part.
Christine Planus réclame » une transparence totale » pour les investissements réalisés avec l’argent des intercommunales affiliées. Outre la mise sur pied d’une commission d’enquête au parlement de Wallonie, elle demande aussi le départ des personnes mises à l’index par la FSMA (l’autorité des services et marchés financiers), comme Marc Beyens et Stéphane Moreau, toujours présents dans la galaxie Publifin. Autrefois membres du comité de direction, le premier est affecté au développement international de Nethys (La Provence, Nice-Matin…) et administrateur de la Foncière de Bavière (président), Mithra, BelgoMetal… ; le second a annoncé qu’il restait à la tête du comité financier du fonds de pension, au grand dam de la FSMA. Reste les affaires judiciaires toujours pendantes, du plus mauvais effet pour un fonds de pension. En juin 2017, le parquet général de Liège a demandé le renvoi en correctionnelle de Stéphane Moreau et Marc Beyens, ainsi qu’Emmanuel Lejeune et Hervé Valkeners, actuels patrons d’Ogeo. Le règlement de procédure a été reporté sine die.
A la fin de l’année dernière, le conseiller provincial Matthieu Content (Ecolo) avait interpellé le député provincial et président, Paul-Emile Mottard (PS), pour savoir où en était Ogeo Fund avec ses partenaires anversois de Land Invest. Une affaire bien embarrassante, étant donné les 55 millions d’euros investis dans cette société sulfureuse, en partie aux mains d’amis de Bart De Wever (N-VA). » Les fonds propres de Land Invest sont supérieurs à la valeur reprise dans les comptes d’Ogeo Fund. Les organes de gestion d’Ogeo Fund veillent maintenant à ce que les actifs de cette société ne soient pas bradés « , avait répondu l’ex-président de Publifin. Aux dernières nouvelles, Ogeo Fund ne s’est pas encore retiré du guêpier anversois.
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