Nicolas Baygert
Il faut un Trump à Bruxelles
La propension actuelle des autorités bruxelloises à jauger le réel érige la démagogie d’un Donald Trump au rang des plus lucides diagnostics portant sur l’état désastreux de notre métropole.
Titre, j’en conviens, quelque peu provocateur. Toutefois, la propension actuelle des autorités bruxelloises à jauger le réel érige la démagogie d’un Donald Trump (Bruxelles serait devenu, selon le candidat républicain à la présidence américaine, un « hellhole ») au rang des plus lucides diagnostics portant sur l’état désastreux de notre métropole (exit Jean Quatremer, correspondant de Libération dans la capitale belge et auteur, par le passé, de charges très franches contre l’état désastreux de la ville). Le « hellhole », que les médias s’empressèrent de traduire erronément en « trou à rats », illustre à merveille cet abîme infrastructurel infernal dans lequel s’engouffre jour après jour la capitale européenne.
Distinguons d’emblée deux constats : le premier, résultant de la médiatisation du « BrusselsLockdown » (la paralysie de la capitale), après les attentats parisiens et lié à la renommée désormais planétaire de Molenbeek, haut lieu du « terrorisme AirBnB », où certains journalistes subissent insultes et coups. L’image tronquée d’une ville sous siège – toxique pour l’Horeca notamment. Le second concerne l’accumulation grotesque, pathétique, de calamités infrastructurelles en tout genre – aboutissement de négligences et de lâchetés diverses. Citons, dans le désordre : l’hécatombe des tunnels qui vient ajouter un cercle infernal au quotidien dantesque des navetteurs surnuméraires et autres propriétaires de voiture de société. Des tunnels, dont les archives furent apparemment « mangées par les souris » (validant de ce fait l’hypothèse « trou à rats »). Inaugurés en grande pompe à l’été 2015, l’ex-viaduc Reyers ou le « piétonnier » du centre-ville proposent à ce jour une immersion post-apocalyptique, avant même le début des travaux. Ni bus ni tram pour desservir l’ULB et ses milliers d’étudiants, obligés de longer depuis un an un chantier aux ouvriers clairsemés. L’indispensable RER est, lui, rangé parmi les « travaux inutiles » (mais pas forcément par les Bruxellois). Pour finir ; il pleut dans les salles des Musées royaux. Rubens prend l’eau ? Un problème « structurel ».
En réponse, les autorités choisissent de surenchérir dans « l’urbanothérapie », à grand renfort de marketing territorial (la campagne #CallBrussels) et d’esquive festive pour « redonner de la joie aux gens » (dixit l’initiative « Brussels’ Colours »). A défaut de fluidifier la circulation, « les gens » danseront sur place ; la fête s’érige en remède au réel. Quant au second constat…
L’incurie gestionnaire s’avère en réalité accablante. L’efficacité et l’efficience au service de la cité semblent comme asphyxiées entre les multiples couches d’une lasagne institutionnelle frelatée. Des décennies de compromis(sions) politiques, de fédéralisme concurrentiel, de gestion néoféodale d’un « hub » international où Otan et UE prirent jadis leurs quartiers.
Partout en Europe, les capitales – jalousement choyées – renaissent, la mobilité se réinvente, les frontières se redessinent (un sujet quasi-tabou ici). Or, tandis que certains s’érigent des statues à coups d’auto-hagiographies, professant leur « vérité », on ne recense aucun sursaut politique d’envergure à l’échelle de la ville-Région. Aucun « New Deal » qui mettrait les velléités particratiques au frigo. David Cameron, Premier ministre britannique, « n’aime pas Bruxelles », soit. Mais côté belge, quelles preuves d’amour ?
Outre ses excès, le succès d’un Trump s’explique par son projet volontariste. Insistant sur la décadence du système (political decay), il promet de rendre à l’Amérique sa grandeur : « Make America Great Again. » Réinsuffler de la fierté, une vision « qui voit grand ».
Où sont les leaders promettant de « Make Brussels Great Again » ?
Par Nicolas Baygert, Chargé de cours à l’Ihecs et maître de conférences à l’ULB.
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