Carte blanche
Il faut rapatrier tous les enfants belges des camps syriens et irakiens
La question du rapatriement des enfants belges, de leurs mères et des djihadistes belges emprisonnés dans les camps en Syrie et en Irak, a été remise au-devant de l’actualité ces dernières semaines, bien que bousculée par l’envahissement de la zone frontière de Syrie par les forces armées turques.
Pratiquement, ce retour ne s’avérerait plus aisé. Il demanderait la mise en place de stratégies et de négociations complexes. Il serait peut-être trop tard …
Et pourtant, l’interrogation reste pertinente, d’autant que ce « retour-empêché » peut nous permettre une réflexion plus apaisée dont des conclusions claires constituent les conditions incontournables à sa faisabilité.
Le Délégué général aux droits de l’enfant, Bernard De Vos, nous a invité déjà à deux reprises à nous pencher sur le sort des enfants de Daech, abandonnés dans différents camps du Moyen-Orient, sans les soins et l’encadrement requis par les droits de l’enfant. Le 3 juin 2019, il demandait déjà au Premier ministre Charles Michel de prendre la décision de rapatrier tous les enfants belges retenus en Syrie, nés de djihadistes partis combattre dans les rangs de l’Etat islamique (EI), sans attendre la formation d’un nouveau gouvernement.
Son appel était resté sans réponse.
Alors qu’ici, tous les parents, les acteurs du monde de l’enfance, les professionnels de la santé mentale, psychologues et psychiatres, s’entendent pour accorder à l’enfant une place centrale, il nous semblerait par contre supportable d’abandonner soixante-neuf d’entre eux à un sort désespéré.
Leur situation n’émeut pas. Elle semble même échapper à notre capacité de représentation. Etymologiquement : « action de replacer devant les yeux de quelqu’un »…
Nous, européens, qui nous targuons de grands principes humanistes, nous laisserions ainsi en péril des enfants dans une sorte de « punition héréditaire » ?
Non ! Nous ne pouvons accepter leur mise en danger et nous demandons que tout soit tenté pour les rapatrier le plus rapidement possible.
Car un enfant est un enfant et il n’y a pas de différence entre un « enfant de djihadiste » ou un « enfant, en danger, à protéger » qui nous mobilise ici chaque jour…
Quelle est la nature de la crainte qui fige le gouvernement belge et les citoyens dans la position actuelle? (Quatre enfants sont morts dans les camps syriens depuis le début de l’année !)
Sur notre sol, représenteraient-ils un risque d’importation du djihadisme ? Sont-ils des « graines de terroristes » et augmenteraient-ils le risque d’attentats potentiels à l’avenir ?
Soixante-neuf enfants entourés de soins seraient ainsi plus dangereux que les nombreuses cellules dormantes disséminées dans notre pays, constamment évoquées par les différents experts .
Nous ne pouvons y souscrire.
Cette position est encore bien plus sensible lorsque les mères sont en question.
Pour la ministre en charge de l’asile et de la migration, Maggie De Block, il serait « inenvisageable de faire revenir celles-ci « , malgré le rappel de Bernard De Vos que les mères rapatriées qui ont été condamnées devront naturellement purger leur peine en Belgique, avec un droit de visite à l’enfant, et que les mères non condamnées feront l’objet d’un screening approfondi.
Pourtant, couper totalement le lien mère-enfant, déterminant pour l’évolution de ceux-ci, créerait sans nul doute les conditions d’émergence de psychopathologies à l’adolescence ou à l’âge adulte. Celles-ci seraient elles-mêmes génératrices de différents troubles du comportement.
Permettre aux mères de revenir avec leurs enfants et selon leur jugement, d’être emprisonnées, pour certaines avec les petits de 0 à 3 ans, pour d’autres en contacts réguliers avec leurs enfants, lors de visites encadrées, ou encore d’être surveillées par bracelet électronique, respecterait le lien minimum indispensable au développement harmonieux de ceux-ci.
Sur le plan moral, par ailleurs, comment expliquerons-nous à ces enfants, quand ils auront l’âge de comprendre, pourquoi nous avons choisi de laisser leurs mères seules, en conditions d’insécurité et sans avenir, dans un pays étranger?
Le risque ne serait-il pas grand de nourrir la haine vis-à-vis des responsables de cette cassure, vécue comme un double abandon ?
Un encadrement réfléchi, adapté, tenant compte des carences, des bouleversements subis et du questionnement à venir, pourrait pourtant être créé et permettre une étude riche d’enseignement pour les multiples situations de mixage de communautés à venir.
Développer un lieu pilote, un service d’accompagnement structuré, lucide quant aux enjeux et respectueux des vécus de chacun, guidé par nos connaissances psycho-médicales, permettrait à ces enfants et à leurs mères de (re)prendre une marche vers un avenir.
Ce centre de soins, ou de suivis, nous imposerait de plus de chercher les outils les plus adaptés pour concilier des passés et présents si éloignés, d’ accompagner la rupture d’avec une première tranche de vie et, par là-même, de soutenir l’investissement d’une nouvelle voie future.
Thomas Renard, spécialiste des matières terroristes à l’institut d’Egmont évoque, lui, le devoir moral et l’obligation légale de faire revenir ces soixante-neuf enfants sans aucune restriction.
Et pour la cinquantaine d’adultes, hommes et femmes restants, il nous rassure sur les nouvelles mesures prises par la Belgique pour la gestion des « returnees » et confirme la nécessité de procès à mener sur notre sol, qui imposent dans leurs suites incarcérations et suivis post-relâche.
Frédérick van leew, Procureur Fédéral belge, interrogé il y a quelques semaines sur Matin Première, nous le disait aussi : « Un rapatriement organisé vaut mieux qu’un retour chaotique ».
La justice et les soins constituent les meilleurs remparts contre l’arbitraire et la reproduction de la haine.
125 personnes, dont 69 enfants (chiffres qui semblent d’ailleurs exagérés au vu qu’un certain pourcentage n’auraient pas la nationalité belge et ne pourraient prétendre au retour) encadrées par nos institutions, risquent-elles vraiment de mettre à mal notre pays de 11 millions d’habitants alors qu’un nombre inconnu de personnes radicalisées y évoluent en toute liberté ?
Poser la question semble y répondre.
En conclusion, en tant que citoyen-ne-s, pères-mères, grands-pères-mères, nous soutenons l’avis du Délégué Général aux droits de l’Enfant, mais aussi du député fédéral Ecolo, Samuel Cogolati de mettre en oeuvre, selon toutes les modalités envisageables, l’accord de 2017 au parlement fédéral, de décision de rapatrier tous les enfants belges des camps syriens et irakiens.
En tant que professionnel-le-s du secteur de la santé mentale, nous défendons l’idée de ne pas les séparer de leurs mères mais que celles-ci purgent ici leur peine, tout en respectant le lien mère-enfant, indispensable pour un développement psychique harmonieux des petits.
En tant qu’humanistes, au vu de l’impossibilité actuelle d’établir un tribunal pénal international sur place, nous proposons, reprenant les arguments du Procureur Fédéral et du spécialiste sur les questions terroristes, de rapatrier les combattants afin de les confronter à la justice telle que nos états de droit la conçoivent.
Du moins, si elle s’en donne les moyens.
En 2019, faisons un pas de plus vers l’abord de la complexité.
Docteur Marie Carlens – Psychiatre, Verviers
Joëlle Mocci – psychologue , Liège
Véronique Montulet – psychologue, Verviers
Claudia Rossi – psychologue, Verviers
Gilles Squelard – psychologue, Liège
Avec le soutien de Miguel Benasayag psychanalyste et philosophe français, auteur de différents essais tels « Les passions tristes », « La fabrique du vivant »,… et bientôt, « La tyrannie des algorithmes » et d’Angélique del Rey, philosophe autrice de plusieurs écrits tel « L’éloge du conflit ». Elle s’oppose également, avec Stephan Hessel , à l’expulsion d’enfants « sans-papiers ». Tous deux sont co-fondateurs du collectif « Malgré tout ».
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