Jules Gheude
« Il faut être lucide, Monsieur Van Parijs! » (carte blanche)
Philippe Van Parijs aime tourner en dérision ceux qui ne partagent pas sa vision de l’avenir du Royaume de Belgique, écrit l’essayiste politique Jules Gheude.
Son dernier essai, « Belgium – Une utopie pour notre temps », paru en 2018, dégage la conviction ferme que la Belgique a un bel avenir devant elle, car il existe un destin possible bien plus enthousiasmant que la dystopie de la dislocation ».
Ce destin, c’est celui d’une Belgique à quatre où l’usage de la langue anglaise serait privilégié. Il ne dit d’ailleurs plus « Belgique », mais « Belgium ».
Dans sa récente carte blanche de « La Libre Belgique », M. Van Parijs nous livre son opinion sur les récentes déclarations de Bart De Wever, relatives à une intégration de la Flandre au sein des Pays-Bas.
Comment, se demande-t-il, le patron de la N-VA peut-il défendre une idée aussi impopulaire en Flandre ?
Et d’illustrer son interrogation par une scène vécue à l’Université d’Anvers lors d’une remise des diplômes : J’ai demandé d’indiquer par la voix auquel des principaux scénarios de scission de la Belgique ils (Ndlr : les diplômés) croyaient le plus. Au scénario « Groot-Nederland », la salle a réagi par un silence complet, à l’exception d’un groupe massé au fond de l’auditoire d’où est venu un « Ja » tonitruant. Voyant mon étonnement, le recteur Herman Van Goethem m’a rapidement glissé : « Nous avons un certain nombre d’étudiants néerlandais ».
L’anecdote démontre au moins une chose. Contrairement à l’idée généralement répandue, les Néerlandais verraient plutôt d’un bon oeil cette fusion Flandre/Pays-Bas !
Au début de son article, Philippe Van Parijs fait référence à l’analyse que j’ai consacrée à ce sujet et qui a été publiée sur les sites du « Vif » et de « Doorbraak ». Et il me qualifie de héraut infatigable du rattachisme wallon.
Qu’il me permette de lui apporter quelques précisions à cet égard.
Mon engagement politique au « Rassemblement Wallon », à la fin des années 60, fut dicté par la conviction que, sans réforme fédérale de l’Etat, la Belgique était vouée à la disparition.
En tant que membre du Cabinet de la Réforme des Institutions de juin 1974 à décembre 1976, il m’a été donné d’assister aux efforts déployés par la ministre François Perin pour mettre sur les rails la régionalisation prévue par l’article 107 quater de la Constitution.
François Perin a expliqué à quel point sa tâche avait été difficile en raison des louvoiements du Premier ministre de l’époque, le CVP Léo Tindemans. En l’absence de majorité qualifiée des deux-tiers, un système de régionalisation provisoire et préparatoire put néanmoins voir le jour, rendant ainsi la suite du processus inéluctable.
Mais il ne fallut pas longtemps pour comprendre l’aversion viscérale de la Flandre pour la Région bruxelloise à part entière. Les Régions wallonne et flamande émergèrent définitivement en 1980 et il fallut attendre 1989 pour que la Région bruxelloise sorte enfin des limbes.
Dès 1980, la Flandre joua habilement en fusionnant le régional et le communautaire ou, plutôt, en intégrant le régional dans le communautaire. Un seul gouvernement, un seul Parlement, le tout établi à Bruxelles, déclarée capitale de la Flandre : économie des moyens, efficacité et stratégie ! Par le biais des matières dites personnalisables, la Communauté flamande pouvait encadrer sa minorité bruxelloise du berceau à la tombe.
Au fil des décennies et des réformes successives de l’Etat, mon sentiment s’affirma que, pas plus que l’unitarisme, le fédéralisme ne parviendrait à assurer la cohabitation sereine des deux grandes communautés du Royaume. L’explication était évidente : la Flandre ne se comportait pas en entité fédérée, mais en véritable Nation.
Dès 1973, dans son livre « Les Flamands », l’éminent journaliste du « Standaard, Manu Ruys, évoquait d’ailleurs un peuple en mouvement, une nation en devenir.
Une telle évolution m’apparaissait incompatible avec le maintien du pays, d’autant que cette Nation flamande remettait clairement en question le principe de la solidarité, indissociable du concept fédéral.
C’est ce qui m’amena à réfléchir sérieusement à un « après-Belgique ». Dans la préface à mon livre « L’incurable mal belge sous le scalpel de François Perin », publié en 2007, feu Xavier Mabille, alors président du Crisp, soulignait d’ailleurs, en évoquant l’hypothèse de la disparition de la Belgique : hypothèse dont je dis depuis longtemps qu’il ne faut en aucun cas l’exclure.
Xavier Mabille n’avait pas la réputation d’être un homme excessif et irréfléchi.
Par le biais des Etats généraux de Wallonie, initiative citoyenne organisée à l’Université de Liège en 2009, nous avons donc procédé à des études approfondies quant aux trois schémas d’avenir post-belge possibles pour la Wallonie : un Etat wallon indépendant, une Etat Wallonie-Bruxelles, la Wallonie intégrée à la France.
Il est apparu clairement que seule cette dernière option était susceptible, en cas de dislocation de la Belgique, de garantir à la Wallonie un avenir pérenne.
C’est cette option que le Gewif (Groupe d’Etudes pour la Wallonie intégrée à la France) continue d’analyser depuis 2010.
M. Van Parijs était présent lors du débat organisé par le Cercle Condorcet de Liège en 2010, sur le thème « L’après-Belgique ». J’eus l’occasion de lui poser publiquement la question suivante : « Oui ou non, y a-t-il selon vous une Nation flamande ? ». La réponse fut « oui ».
Depuis quelques années, je suis régulièrement invité à m’exprimer en Flandre. De Hasselt à Audenarde, en passant par Coxyde, Furnes, Grimbergen, Deerlijk, Meise, Beveren ou Ostende, j’ai pu sentir ce sentiment d’appartenance collective que l’on appelle « la nation ».
Si les derniers sondages se confirment en 2024, les deux formations indépendantistes flamandes, la N-VA et le Vlaams Belang, détiendront la majorité absolue au sein du Parlement flamand. Et M. Van Parijs n’y pourra rien changer.
A la naïveté, je préfère donc la lucidité !
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