Carte blanche
Il faut assécher les circuits financiers liés à la drogue (carte blanche)
Pour contrer la criminalité liée à la drogue à Anvers, les libéraux flamands Christian Leysen et Erica Caluwaerts veulent aller plus loin que le bourgmestre Bart De Wever et traiter le mal en profondeur, y compris avec un plan belge.
La criminalité liée à la drogue tournait à plein régime à Anvers en cette fin d’été. Alors que les balles sifflaient et que les grenades explosaient, le bourgmestre Bart De Wever a décidé de sortir l’artillerie lourde. En grande pompe il a lancé l’opération « Nachtwacht » (ronde de nuit), une énorme opération de sécurité censée de rassurer les citoyens en leur faisant croire que la guerre contre la drogue de De Wever est entrée dans une phase décisive. Malheureusement, c’est une illusion de penser que ça mettra fin à l’impunité dans les rues d’Anvers. Seule une approche intégrée et cohérente et un assèchement de leurs circuits financiers peuvent endiguer ce phénomène criminel.
« C’est une bonne chose que la ville d’Anvers donne un signal clair aux criminels », dit la criminologue Letizia Paoli de la KU Leuven, « mais j’ai des doutes sur l’efficacité de la démarche ».
Bart De Wever lui-même a déjà déclaré que cette opération ne fait que traiter les symptômes. Comme d’habitude à la N-VA, ceci est la faute du niveau fédéral, selon lui. Le propos tenu est pour le moins surprenant, étant donné que la N-VA a géré le portefeuille ministériel des Affaires Intérieures pendant des années lors de la coalition dite suédoise.
Et pourtant, il suffit de tourner le regard vers l’approche des problèmes dans le milieu des stupéfiants pendant ces dernières années pour comprendre qu’il ne sert à rien de montrer du doigt un bouc émissaire. Les différents acteurs et niveaux doivent joindre leurs forces afin de pouvoir progresser. L’ambitieux plan fédéral « Stroomplan », mis en place en 2018 sous la législation précédente devrait regrouper sous un même toit la police fédérale, le parquet, l’inspection sociale et la douane. Le but était d’améliorer l’image du port d’Anvers comme plaque tournante du commerce de drogue en Europe en luttant contre la scène locale du trafic de drogue.
Hélas, jusqu’à présent le Stroomplan n’a pas obtenu de grands résultats et le problème du trafic de drogue est loin d’être résolu. Sous la devise « Notre port, une zone sans drogue » les employeurs au port d’Anvers et l’Autorité Portuaire d’Anvers ont créé un point de contact pour le signalement d’activités suspectes. La collaboration entre les sections de drogue de la police anversoise et la police judiciaire, nommée l’équipe Kali, a été de courte durée et a échoué pour cause de différences personnelles et culturelles. La N-VA, par sa décision de quitter le gouvernement fédéral, est d’ailleurs en partie responsable de cet échec. Même si 62 tonnes de cocaïne ont été saisies l’année passée, entre autres grâce à des investissements dans le domaine de l’intelligence artificielle et dans des scanners, cela ne représente qu’une goutte d’eau dans l’océan du trafic.
Les montants de drogue que la douane sait confisquer, ne sont qu’une fraction de tout ce qui entre l’Europe via le port anversois. Certains pensent même que la quantité originale est 100 fois plus grande. La Cellule de Traitement des Informations Financières (CTIF) pense que la valeur marchande des stupéfiants saisis annuellement est de 30 milliards d’euros. Un montant fabuleux qui montre l’impact perturbateur du trafic de drogues sur notre économie et notre société. Aux Pays-Bas, des experts de la justice, de la police et des différents gouvernements viennent de publier un rapport volumineux au nom du gouvernement national. Ce rapport esquisse un futur inquiétant pour l’état hollandais s’il ne change pas de politique – justement parce que la criminalité liée à la drogue a créé une telle économie parallèle. On plaide pour un plan d’action qui coûtera 400 millions d’euros par an.
En Belgique aussi, on a besoin d’un nouveau plan national de lutte contre la criminalité liée à la drogue. Tout d’abord, il est essentiel de tirer des leçons de l’échec du Stroomplan – surtout pour mieux faire travailler ensemble les différents services policiers et judiciaires. Au niveau international, on voit déjà des initiatives similaires: on travaille ensemble avec Europol et le Benelux mais aussi avec certains ports en Amérique du Sud. Dans notre pays aussi, les différents niveaux doivent rassembler leurs forces. La législation doit être adaptée aux besoins actuels. Lorsque ce n’est pas possible, il faut chercher des solutions pragmatiques.
Il faut aussi mettre en place une politique d’intégrité dans le secteur gouvernemental. Au vu les montants énormes qui circulent dans le milieu criminel, il y a un véritable risque de corruption et infiltration. « La collaboration avec des acteurs internes, comme par exemple les dockers et les représentants de la police, permet aux organisations criminelles d’importer des cargaisons de cocaïne toujours croissantes, » dit professeur Émérite Cyrille Fijnaut. « Des cargaisons avec plus qu’une tonne de cocaïne ne sont plus l’exception. » « An accident waiting to happen » (un accident voué à se produire), surtout chez la police. L’Inspection Générale de la police (AIG) a constaté un manque de vraie politique d’intégrité centralisée, ce qui était pourtant une des préoccupations du Stroomplan. Et cela reste une question prioritaire afin d’éviter des scandales.
Cependant, on n’a pas seulement besoin de répression. Une vraie politique de prévention et accueil est également nécessaire pour contrer les effets néfastes de la toxicomanie sur notre société. La police doit mieux s’intégrer dans des quartiers spécifiques de la ville. Pour comprendre ce qu’il y vit, il faut être sur le terrain, pas au volant d’une voiture de patrouille.
Pour conclure, il faut s’attaquer au « business model » du trafic de drogue. Avec l’aide d’Europol par le biais d’échanges plus grands entre pays, identifier les flux financiers, oser agir et confisquer les avoirs suspects. Il est inacceptable que les petits indépendants dans les centres-villes aient des difficultés à survivre, alors que d’autres savent payer leur loyer sans problèmes – alors qu’il ne vendent jamais rien. Ces derniers commerces cités sont les plaques tournantes du blanchiment d’argent et font de nos villes des villes phantômes.
Les citoyens honnêtes et travailleurs qui paient leurs taxes, apprécient ces types d’actions qui contribuent à briser la perception actuelle des petits dealers tapageurs qui restent impunis. N’oublions pas aussi que la criminalité financière est très compliquée. Des montants fabuleux son investis dans des grands projets immobiliers, en utilisant des techniques de compensation et des sociétés fictives. Une branche de la criminalité qui est bien organisée, mais contre laquelle la justice doit lutter avec trop peu de ressources. Un combat inégal, alors que c’est exactement là où on peut frapper les bandes de dealers.
Il est clair qu’en réalité, la « Guerre aux Drogues » est plutôt devenue une guerre des tranchées. Un conflit armé, tenace et à long terme, où chaque conquête territoriale est précieuse et chère. On a besoin d’un nouveau plan national contre le trafic de drogue, et ce de toute urgence. Cela demande une collaboration entre tous les partenaires de sécurité et le niveau local. Il n’y a pas d’alternative, sauf si on décide de ne rien faire. Mais ne vous trompez pas: des situations hollandaises, où des liquidations dans les rues en plein jour sont monnaie courante, sont plus proches qu’on le pense. C’est au nouveau gouvernement fédéral d’intervenir et au bourgmestre de la plus grande ville portuaire de ce pays de se présenter comme partenaires dans cette lutte qui se joue au niveau européen et mondial avant que ce fléau ne se répande dans d’autres villes avec la même ampleur.
Christian Leysen – député fédéral, Open VLD
Erica Caluwaerts – conseillère municipale d’Anvers, Open VLD
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