Etienne Dujardin
Il est temps pour le MR de reparler aux classes moyennes et populaires
Alors que le MR est complètement seul dans l’espace politique qu’il occupe, il ne fait que 20 % des voix en Wallonie et à Bruxelles selon le dernier baromètre.
Un résultat bien loin des 31,2 % obtenus par le MR en 2007 et qui équivaut à la perte d’un électeur sur 3 depuis son apogée. Les circonstances sont pourtant idéales pour le parti libéral. Il jouit d’une visibilité médiatique extrêmement forte, tous les autres partis étant contre lui et jouant la carte d’une opposition musclée. L’actualité lui est également favorable. Tous les thèmes régaliens plutôt propices à un parti de droite sont mis en avant : sécurité, lutte contre le terrorisme, dossier des migrants… Enfin, les grèves à répétition peuvent lui permettre de passer pour le parti responsable qui travaille et prend ses responsabilités. Il y a quelques mois, Paul Magnette déclarait : « L’hégémonie culturelle est à droite. Je n’ai pas souvenir que nous ayons vécu dans une société plus à droite que maintenant ». Comment le MR peut-il, malgré cela, faire un score si faible ? Le MR n’assume pas assez la volonté de changement d’une partie importante de la population et il est urgent qu’il élargisse sa base électorale en se saisissant de thèmes qui parlent aux classes moyennes et populaires. Un certain renouvellement des discours et des cadres doit voir le jour.
En matière économique, véritable core business du parti libéral, les enquêtes d’opinions montrent un soutien massif aux contrôles des chômeurs, à la lutte contre l’assistanat, à la baisse des charges pour encourager le travail. Le MR a pris des mesures en la matière, mais pourrait aller plus loin et surtout créer une plus grande cohérence dans les décisions. On nous avait annoncé un big bang fiscal : ce n’est pas vraiment le cas. Un parti qui veut toucher l’ensemble des citoyens doit inclure une réflexion sur la taxation des loyers à partir d’un certain seuil. Il n’est pas normal qu’un multipropriétaire soit plus taxé sur les revenus de son travail que sur ses revenus locatifs parfois très importants. C’est une question de justice sociale. On pourrait modifier les intérêts notionnels qui profitent énormément aux grands groupes et les lier à de réels engagements en termes d’emplois. Il faut prendre des mesures beaucoup plus massives et renforcer les équipes pour lutter contre la fraude fiscale. Le citoyen est demandeur de réformes importantes capables de protéger notre sécurité sociale et il est prêt à faire des efforts pour cela, mais les réformes doivent concerner tout le monde. Comment se fait-il que ce soit le PTB qui doive soulever le scandale des pensions des élus qui jouissent de privilèges totalement hallucinants alors qu’on demande des efforts aux travailleurs lambda ? Dans un autre dossier, à savoir celui du piétonnier à Bruxelles, le MR a mis des mois à se réveiller et ne l’a fait que grâce à la pression du « Bruxelles qui se lève tôt », à savoir : les commerçants, les artisans et les restaurateurs, tous asphyxiés depuis l’entrée en vigueur du plan de Monsieur Mayeur.
Concernant les grandes réformes sociales, le MR est beaucoup trop timide. La gauche, quand elle est au pouvoir, ne tergiverse pas tant. Le Belge souhaite que l’opacité cesse et que les syndicats aient une personnalité juridique et soient responsables de leurs actes. Et il a fallu attendre plusieurs semaines de chaos social pour enfin entendre parler de la volonté d’imposer un service minimum dans les transports (SNCB-Belgocontrol). Pouvoir utiliser un moyen de transport public en toutes circonstances pour se rendre à son travail ou à son école est pourtant une mesure profondément sociale. En effet, ce sont les classes moyennes et populaires qui les utilisent et ces moyens de transport sont parfois leur seul moyen de locomotion. Le service minimum dans les prisons ? Là encore, c’est une mesure de simple dignité humaine. Au sein du Conseil de l’Europe, la Belgique est le seul pays avec l’Albanie à ne pas assurer ce genre de service minimum au sein des prisons avec les conséquences dramatiques que l’on connaît aujourd’hui. Changer la situation en s’alignant sur tous les autres pays n’aurait pas dû être un obstacle si difficile à surmonter. Le gouvernement réagit à la suite des événements au lieu d’imposer son tempo dans ses différents dossiers. Il est certain que des grèves éclateront encore après des décisions difficiles, mais le citoyen attend des dirigeants courageux. Regardons l’exemple de Cameron, il a été réélu triomphalement après un premier mandat pendant lequel il a fortement réformé son pays. Sarkozy pourrait être l’exemple inverse. Il a été élu haut la main sur un programme solide et n’a ensuite pas apporté assez de changements. Il s’est donc fait logiquement remercier.
Quand Olivier Chastel critique toutes les sorties de De Wever sur les migrants, il fait juste perdre des plumes à sa formation et renforce le côté politiquement correct dont l’électeur ne veut plus. Paradoxalement, le discours du socialiste Manuel Valls semble plus fort que celui du MR sur les questions de migration et d’intégration. Je n’ai pas entendu un seul ténor du MR dénoncer un certain « islamo-gauchisme » comme le fait le 1er ministre français. Comme le signale le sociologue de la VUB Mark Elchardus : « Ce n’est pas parce que quelqu’un est socio-économiquement de gauche qu’il est cosmopolite. Les élites le sont, pas les électeurs de base ». Les thèmes liés à l’identité et à la défense de notre civilisation deviennent de plus importants pour les électeurs. Le MR doit veiller à s’adresser aux classes moyennes et populaires qui ne suivent plus du tout la gauche sur ces sujets.
Lorsque Louis Michel encense le candidat le plus à gauche aux primaires américaines, à savoir Sanders, ou signale que son parti gouvernera sûrement avec le PS dans le futur, il entraîne une confusion énorme et démobilisatrice chez son électorat qui est enfin content de pouvoir gouverner sans les socialistes. Sur un sujet aussi noble et primordial que celui du Pacte d’Excellence, on n’a pas encore entendu le MR s’opposer aux mesures de ce pacte alors que c’est un sujet en or pour parler de la défense d’un enseignement de qualité pour tous et pour refuser le nivellement par le bas avec des mesures aussi absurdes que l’interdiction du redoublement ou l’obligation de l’école jusqu’à 17 h.
En matière énergétique, le MR s’éloigne aussi de sa base électorale. Un de ses députés experts en la matière propose un mix énergétique intelligent sur le long terme, veut garantir des prix compétitifs et propose de réfléchir à la construction de nouvelles centrales nucléaires. Sa proposition est directement écartée d’un revers de la main alors qu’elle a certainement une grande adhésion auprès de beaucoup de citoyens.
Les citoyens restent, dans leur ensemble, fortement attachés à la Belgique et n’en peuvent plus des réformes de l’État permanentes qui ne font que compliquer le système institutionnel de ce pays. Plusieurs appels de patrons de tous bords proposent des choses intéressantes pour revitaliser le pays. Il y aurait certainement des choses à faire pour réformer ce pays et mettre de l’huile dans les rouages institutionnels. Les partis flamands n’en voudront pas ? Peut-être, mais l’opinion publique flamande pourrait faire emporter le principe d’efficacité sur des considérations purement nationalistes si des choses intéressantes étaient mises sur la table. De plus, le MR montrerait qu’il est un parti qui tient compte de l’avis de la population et qui réfléchit, propose, mène le débat d’idées. Aujourd’hui, le meilleur ennemi du pays serait l’immobilisme. Il faut donner tort à tous ceux qui veulent bloquer notre Belgique ou montrer qu’elle est devenue ingouvernable.
Comme le disait Didier Reynders : « Le centre de gravité peut changer en Belgique francophone« . Cependant, depuis sa campagne très punchy de 2007, le MR a perdu des plumes et n’est pas revenu aux affaires dans les Régions malgré des campagnes plus soft vis-à-vis du parti socialiste. S’il est aujourd’hui seul au fédéral, c’est surtout grâce aux partis flamands qui ne voulaient plus gouverner avec le PS et grâce à un certain courage de Charles Michel. À 20 % des suffrages à une prochaine élection, il sera difficile de changer le centre de gravité de ce pays. Le changement que beaucoup de citoyens veulent voir arriver ne se fera pas seul ni sur la base d’une alliance politicienne. Pour y arriver, il faut avant tout pouvoir convaincre l’ultime décideur qui restera toujours l’électeur.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici