Hydroxychloroquine : Didier Raoult persiste, vent debout
Le désormais célèbre infectiologue marseillais étend son étude tendant à prouver que le médicament pourrait être une arme contre le Covid-19. Il échoue à persuader les scientifiques mais rallie une partie importante de l’opinion.
Vendredi soir, le professeur Didier Raoult met en ligne une deuxième étude sur l’emploi d’un antibiotique et de l’hydroxychloroquine, dont nous révélions qu’elle était désormais employée chez quasi tous les hospitalisés belges. Ses résultats restent concluants d’après lui: « Nous faisons la démonstration que la combinaison des deux traitements a un effet synergique qui inhibe totalement la réplication du virus ». Utilisés séparément, « l’hydroxychloroquine et l’antibiotique ont un effet faible ou nul sur la production virale ».
Avant l’administration du traitement, les risques cardiaques des patients ont été contrôlés : la combinaison peut en effet les augmenter. Les patients ont ensuite été traités cinq jours après l’apparition des symptômes, qui en général se déclarent cinq jours après l’infection. « La majorité des patients (81,3 %) avaient des résultats favorables et sont sortis de notre unité avec de faibles scores infectieux. Seulement 15 % ont nécessité une oxygénothérapie », détaille l’étude. Parmi les 80 patients donc, 65 sont sortis sans aggravation de leurs symptômes. Douze ont dû être mis sous oxygène, mais ont également pu être guéris. Trois autres sont passés en unité de soins intensifs – deux sont désormais guéris, et un homme de 74 ans y est toujours. Un patient de 86 ans est décédé à son arrivée à l’IHU Méditerranée Infection.
L’absence de cohorte placebo
Sur 80 cas, 78 patients ont donc guéri. Pour Didier Raoult, c’est clair, la piste est sérieuse. Encore n’affirme-t-il pas, du moins dans son article, tenir l’arme absolue. Il incite seulement les autres équipes dans le monde à également évaluer cette combinaison de médicament. Cependant, les critiques pleuvent de partout. Etude non publiée officiellement, donc non soumise à la critique préalable par des pairs, échantillon réduit, majorité de patients de l’étude avec une forme bénigne du Covid-19. C’est une dégelée.
C’est surtout l’absence de cohorte placebo qui choque. Sans groupe de contrôle, il est difficile, voire impossible, d’établir une comparaison pour déterminer si c’est bien le traitement qui est à l’origine de l’amélioration. Raoult a tenté de pallier ce manque en comparant ses résultats à une étude menée à Wuhan, ville chinoise dans laquelle l’épidémie a débuté. Dans cet essai clinique, 28 % des patients sont morts. Publiée dans la très prestigieuse revue The Lancet, cette étude a été menée sur 191 patients. Les critères d’admission des patients étaient nettement différents, puisqu’ils présentaient tous des formes sévères de la maladie et souvent des facteurs de comorbidité. Difficile dans ces conditions de comparer les taux de mortalité, et donc l’efficacité du traitement.
Le couperet vient du célèbre généticien Axel Kahn, qui note avec ironie : « Très intéressant. Les données connues sur 600.000 cas sont : 85 % de cas bénins, 15 % de cas sévères, 5 % de cas en soins intensifs. Chiffres retrouvés aussi chez les 80 personnes traitées à l’IHU de Marseille ». En clair, si l’on avait donné une petite pilule de sucre aux patients de Raoult, le résultat eût été exactement le même.
L’automédication de chloroquine tue
Raoult, lui, ne répond même plus à ses attaques, qu’il dédaigne. Il a assez expliqué que si on était en guerre, cette forme de ‘médecine de brousse » restait légitime. Qu’après tout, ce médicament est disponible, peu cher, très bien connu (il l’emploie depuis 20 ans chez ses patients), avec peu d’effets secondaires si on l’emploie sous surveillance en hôpital. Un électrocardiogramme est en effet requis, mais c’est un examen de routine. Aucun de ses patients n’a d’ailleurs développé d’effet secondaire notable. D’ailleurs, ses premiers arguments ont finalement convaincu de tester « son » médicament au sein de l’essai européen Discovery, notamment à l’hôpital St-Pierre de Bruxelles.
Mais les critiques redoublent quand, malgré les recommandations de ne pas utiliser ce produit hors de l’hôpital, un Américain de 60 ans décède après l’ingestion de trop fortes doses de phosphate de chloroquine. Il a pris cinq fois la dose de la molécule, synthétisée comme… produit de désinfection de piscine, mais certains attribuent ce décès à la précipitation de Raoult, qui ne s’est pourtant jamais prononcé pour l’automédication. Le 29 mars, l’Agence régionale de Santé (ARS) Nouvelle-Aquitaine informe que des cas d’automédication au Plaquenil ont été recensés entraînant parfois un séjour en réanimation, là même où les lits deviennent rares.
Alors, scientifique génial victime d’un complot des mandarins parisiens méprisant l’expertise d’un Marseillais au langage direct ? Certains, surtout sur les réseaux sociaux, aimeraient le croire. A l’extrême-droite surtout. Chez les gilets jaunes anti-système aussi. Après tout, cette nouvelle intervient dans un moment de grande tension, d’urgence face au risque de la mort et de la contagion invisible qui favorise la paranoïa. Surtout quand on ne voit pas et qu’on ne comprend pas. Cité par le Monde, un sondage montre que si une majorité des Français interrogés (57 %) estime que le coronavirus est apparu de manière naturelle, plus d’un sondé sur quatre (26 %) pense qu’il a été fabriqué intentionnellement (17 %) ou accidentellement (9 %) en laboratoire.
« La base du complotisme, c’est d’être suffisamment elliptique pour que chacun puisse mettre ce qu’il veut derrière », renchérit Rudy Reichstadt, fondateur de Conspiracy Watch, interrogé par nos confrères. Chacun a ainsi pu trouver dans la figure du professeur Raoult une validation de ses propres schémas conspirationnistes.
Le pire est que sa deuxième étude, bancale du point de vue de la preuve scientifique, si elle ne prouve pas qu’il a raison, ne démontre pas davantage qu’il a tort. Raoult pourrait parfaitement avoir visé juste. Et trouvé une arme majeure contre l’épidémie. Si cela se vérifie, ceux qui le critiquent ravaleront vite leurs attaques contre le Viking marseillais à la verve dérangeante.
Frédéric Soumois
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici