Carte blanche
Humanitude ? On en est loin tant que nos grands-parents seront victimes de soins invalidants
Mercredi 16 janvier, la chute. La vie de ma grand-mère bascule. La nôtre aussi. Elle était. Oui, elle était, passionnée de bridge, de lectures, de voyages. Elle aimait rire, partager des moments avec ses amis, sa famille. Elle avait 99 ans.
Elle vivait dans son appartement, seule, et adorait la vue imprenable sur Bruxelles. Elle était drôle, admirait ses arrières petits-enfants et ne manquait aucun de leur anniversaire. Elle aimait leur présence et eux la sienne. Elle suivait avec assiduité Roland Garros et appréciait Roger Federer. L’heure de l’apéro était sacrée pour elle.
Puis, tout a basculé. Granny est tombée, s’est cassé le col du fémur. L’opération a été une réussite. Malheureusement la suite lui a été fatale.
Elle a intégré « la plus grande maison de revalidation de Bruxelles » comme se targue de l’être cet établissement sur le Net. La plus grande, certainement, la moins humaine probablement aussi. En tout cas dans le service où elle a été accueillie.
Son calvaire a commencé là. Déshumanisation complète !
Des langes placés jour et nuit alors qu’aucune incontinence n’était de mise, nourriture moulue alors qu’elle n’avait pas de dysphagie. Une nourriture infecte, de nombreuses heures passées au lit, des attentes interminables lorsqu’elle sonnait…
Des barreaux placés lors du couché jusqu’à un levé tardif, grand éclairage à 5h du matin dans la chambre double pour changer la perfusion ou pratiquer d’autres soins, le personnel se permettant même des remarques ou des interrogatoires longs et personnels, toujours dans la chambre double, sans aucun respect de la vie privée…
Et que dire du frigo systématiquement retourné et auquel elle ne pouvait donc plus avoir accès sans déplacer fauteuil et autre obstacle : ce qui était bien entendu impossible à faire pour elle suite à son opération… Les médecins, les infirmières, l’assistante sociale et d’autres membres du personnel ont été contactés pour dénoncer cette situation. Très peu de réactions, et tous se rejetant la faute.
De même, lors d’un examen Granny a été blessée : une entaille de plusieurs centimètres que ma grand-mère attribuait à un objet contondant qui était dans la poche du soignant. Elle a été soignée, mais personne ne pouvait expliquer ce qui s’était passé. La faute à personne, encore une fois.
Une réunion a été organisée en présence de ma grand-mère où elle a verbalisé elle-même qu’elle ne voulait plus de cette nourriture moulue, ni des barreaux. Sept jours plus tard, j’ai pris une photo de la fiche sur son plateau. La nourriture était toujours moulue ! Et que dire du café qu’elle ne recevait pas toujours, car sur le charriot, une fois arrivée à sa chambre, la cafetière était vide.
Je mentionnais plus haut « une nourriture infecte », j’en veux pour preuve la plupart des plateaux-repas des résidents, fréquentant le restaurant, qui repartaient intacts quotidiennement en cuisine (ou à la poubelle). Fruits en boites comme dessert ou gruau, pas de viande saignante… Les pensionnaires s’échangeaient des aliments apportés par leurs familles. Granny avait en aversion le sucre et les produits laitiers sauf le fromage en tranche, ce qui avait été signalé lors de son admission sur sa fiche alimentaire. Mais chaque soir, elle retrouvait les mêmes fromages fondus, ses tartines sous plastique avec des croûtes qui devaient être pourtant retirées. Aucune aide, le personnel ne vérifiant même pas si les médicaments étaient pris.
Si un patient demandait à quoi servait tel comprimé à l’infirmière, il était renvoyé vers un médecin… Aucune volonté de répondre à une question, ou de donner une explication. Un jour, nous avons demandé un couvert, les soignants nous ont simplement répondu qu’il n’y en avait pas… Le pauvre stagiaire présent a cherché à nous aider, mais s’est fait railler par le reste du personnel. Il a pourtant trouvé ce que nous demandions.
Une personne âgée dans le couloir réclamait qu’on la mette au lit, car elle ne se sentait pas bien. Le personnel faisait semblant de ne pas entendre et quand j’ai essayé d’intervenir il m’a été répondu « on la connait celle-là ». Le lendemain cette personne était hospitalisée.
Les voisines de chambres racontaient ce que ma grand-mère ne nous racontait plus, lasse de ce qui lui arrivait. Des personnes retraitées « plus jeunes », hospitalisées dans le service, disaient même qu’elles avaient tout intérêt à se taire. Problème : ma grand-mère a toujours dit ce qu’elle pensait avec politesse. Cela ne plaisait pas. Un jour elle est tombée, et au lieu de la relever, elle est restée au sol en attendant que la soignante ait fini de se fâcher sur elle et de la sermonner.
Ma grand-mère a refusé, jour après jour, ses repas et elle est devenue l’ombre d’elle-même en quelques semaines. Ce séjour, n’a pas été revalidant, mais invalidant. Personne n’aimerait être traité de la sorte.
Granny a fini par quitter le centre de revalidation, et est entrée pour 15 jours dans une maison de retraite où elle a enfin trouvé du respect, de la gentillesse, de l’écoute. Mais il était trop tard. Elle s’y est éteinte en douceur, hors du stress et entourée de gentillesse, notre seul apaisement.
Ma grand-mère a été forte, digne et très courageuse jusqu’au bout.
Après toute cette tristesse, j’ai tenté d’entamer des démarches pour que le centre de revalidation, où a séjourné ma grand-mère, travaille à une prise de conscience de son équipe. Je souhaitais des excuses, bien sûr, en son nom, mais surtout que les choses changent pour toutes les personnes âgées qui sont là, sans pouvoir se défendre, dans ce rapport de dominant-dominé.
Françoise Hofmann
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