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Horeca: « Il y a de fortes chances que nous soyons bientôt servis par des Ukrainiens »

Tex Van berlaer Collaborateur Knack.be

Depuis des mois, le marché du travail est en proie à des pénuries. L’arrivée de dizaines de milliers d’Ukrainiens pourra-t-elle combler ces pénuries?  » Ce n’est pas une solution structurelle « , déclare l’économiste Ive Marx (université d’Anvers).

« Nous devons laisser le temps aux gens de se remettre du choc », déclarait la ministre flamande de l’Emploi Hilde Crevits (CD&V), mercredi dernier lors du débat d’actualité au Parlement flamand.

L’arrivée de réfugiés de guerre ukrainiens – les prévisions les plus audacieuses vont jusqu’à 200 000 – ne va pas entraîner un afflux immédiat et régulier sur le marché du travail. « Il est exagéré de donner l’impression que toutes ces personnes pourront se mettre immédiatement au travail. »

Néanmoins, plusieurs questions ont déjà atterri sur son cabinet. Soins, coiffure, travail manuel : la pénurie est grande. Très grande. Le VDAB a signalé plus de 36 000 postes vacants en février, soit près de 60 % de plus qu’en février de l’année dernière. Le marché du travail flambe, comme nous l’entendons depuis des mois.

Traumatisme

« Comme les réfugiés ukrainiens reçoivent automatiquement un permis de séjour et un permis de travail, en principe ils sont disponibles », déclare Johan Wets, expert en migration à HIVA, KU Leuven. « Mais je ne pense pas que soit aussi facile qu’il n’y paraisse ».

Ainsi, beaucoup de personnes auront besoin d’un répit, comme le souligne Crevits. « La ministre a raison », déclare l’économiste Ive Marx (Université d’Anvers). D’après les recherches sur les demandeurs d’asile reconnus, nous savons que ces personnes ont vraiment besoin de temps pour s’installer ». En outre, les Ukrainiens ont droit à un salaire de subsistance, et donc à un revenu.

Bien que, selon Marx, tout devrait être fait pour donner aux réfugiés au moins la possibilité d’entrer sur le marché du travail. Une question de bonne politique, pense-t-il.

C’est ce qu’affirme aussi Jan Denys, expert du marché du travail chez Randstad. « Cela varie d’une personne à l’autre, bien sûr, mais pour certaines personnes, travailler est un moyen de faire face à un traumatisme. Dans le passé, nous avons parfois vu de l’amertume parce que des personnes voulaient travailler, mais ne pouvaient pas, parce que leur demande n’était pas en règle. Nous en avons tiré la leçon que si les gens veulent travailler, ils doivent pouvoir le faire rapidement. Ne pas le faire équivaudrait à de la négligence coupable. »

Mères isolées

Mais cela ne signifie pas qu’avec toutes les personnes prêtes à travailler, nous allons immédiatement résoudre la pénurie de main-d’oeuvre. Diriger très rapidement les personnes vers les métiers en pénurie? « Ce sera impossible », estime Marx. « Ce n’est pas non plus maintenant que l’on trouvera une solution structurelle à la pénurie. Il y a plusieurs raisons à cela ».

Le groupe de nouveaux arrivants se compose principalement de femmes et d’enfants. C’st ce que constate également l’Office des Etrangers au point d’enregistrement à Bruxelles : « Il s’agit parfois de familles complètes, mais aussi de familles incomplètes, parce que le père est resté en Ukraine ou est malheureusement parfois décédé. »

Si les mères veulent travailler, elles doivent faire garder leurs enfants. « Les parents isolés sont déjà un groupe qui connaît de nombreux problèmes dans sa recherche d’emploi, il faut une garde d’enfants », déclare Johan Wets.

Beaucoup dépendra du type d’accueil des Ukrainiens. Dans l’accueil collectif, des activités de groupe seront probablement organisées pour les enfants », indique Jan Denys. « Mais s’ils ne peuvent pas aller à la crèche ou à l’école, cela aura automatiquement un effet négatif sur l’emploi des mères. »

Fin 2021, quelque 2 500 détachés ukrainiens étaient actifs dans le secteur de la construction en Belgique, selon la Confédération Construction. « Dans le même temps, 11 % des entreprises de construction qui travaillent avec du personnel détaché ukrainien ont signalé le départ d’employés vers leur pays d’origine. Il n’est donc pas question d’un exode massif, mais nous comprenons évidemment les Ukrainiens qui veulent défendre leur pays ».

En même temps, 40 % des entreprises souhaitent embaucher des réfugiés ukrainiens, même si ce n’est que sur une base temporaire. « Bien sûr, la première chose à faire maintenant est d’accueillir correctement ces réfugiés de guerre, mais si ensuite ils veulent travailler, ils sont absolument les bienvenus dans le secteur de la construction », déclare le Niko Demeester, CEO de la Confédération Construction.

Selon les données de Dries Lens (Université d’Anvers), 13 000 Ukrainiens ont travaillé dans notre pays en détachement en 2020.

Comme souvent, la langue joue également un rôle. Néanmoins, une connaissance de base du français et/ou du néerlandais est une condition préalable à de nombreux emplois. Dans certains cas, un peu d’anglais fera l’affaire, mais pour l’instant, il est difficile de savoir dans quelle mesure les Ukrainiens maîtrisent cette langue.

Jobs courts

La question clé qui se pose à chaque fois est celle de la durée du conflit. S’agit-il de semaines, de mois ou d’années ? Combien de temps Vladimir Poutine a-t-il l’intention de continuer ?

« Cette différence est importante, également pour l’acquisition du langage », déclare Ive Marx. « Si vous voulez rester ici de façon permanente, il est logique que vous appreniez la langue. Si vous ne voulez travailler que temporairement jusqu’à la fin du conflit, un cours de langue séparé est moins efficace ».

Cela s’applique également à la nature de la formation pour des emplois spécifiques. « Une formation à plus long terme est moins évidente », dit Denys. « Nous sommes également en plein milieu de l’année scolaire ». Mais plus le conflit dure, plus il est logique de s’engager sur le long terme.

« Chez nous, l’avantage est que nous avons beaucoup de travail temporaire« , explique Denys. Toute personne qui souhaite travailler pour une courte période peut le faire. Je suppose que certaines personnes le veulent aussi. Un grand nombre de personnes caressent l’idée de revenir bientôt. Dans ces cas-là, c’est utile d’avoir un travail de courte durée. »

De plus, nous ne partons pas de zéro, dit Denys. « Contrairement à la Syrie, par exemple, nous connaissons les formations ukrainiennes. Une grande partie de l’enseignement technique est d’un bon niveau. J’espère aussi qu’il y aura beaucoup de bon sens. Les gens verront très vite ce qu’ils peuvent et ne peuvent pas faire. »

Surqualifié

Cependant, il est inévitable que de nombreux Ukrainiens travailleront en dessous de leur niveau, dit Marx. « Sur notre marché du travail, les qualifications comptent. Tout le monde ne peut pas commencer comme ça dans n’importe quel emploi. Beaucoup seront donc obligés de prendre un emploi pour lequel ils sont surqualifiés. La question est de savoir si cela est bon pour eux. Nous savons, de par notre expérience avec les Syriens à quelles désillusions cela peut conduire. »

La liste actuelle des métiers en pénurie est très diversifiée. Il existe des emplois pour lesquels il y a trop peu de personnes qualifiées, comme les professionnels des TIC et les infirmiers, mais aussi des professions qui nécessitent peu de qualifications. Il s’agit souvent d’emplois dont les horaires de travail sont peu attrayants, comme dans le secteur de l’horeca. Il y a donc de fortes chances que nous soyons bientôt servis par des Ukrainiens », déclare Marx.

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