Handicap et sexualité : pratique dans un no man’s land juridique
L’accompagnement sexuel permet aux personnes en situation de handicap de s’épanouir dans leur sexualité. Regard sur cette pratique qui ne connait toujours pas de cadre légal.
L’accompagnement sexuel
Aditi Wallonie-Bruxelles est une ASBL pionnière dans la mise place d’un accompagnement sexuel pour des personnes handicapées. L’ASBL aide individuellement des personnes en situation de handicap dans leur recherche d’un accompagnement à une sexualité de qualité. À cet effet, l’association propose à la personne en situation de handicap une consultation de clarification de la demande. La personne en situation de handicap reçoit chez elle un membre de l’ASBL afin d’identifier avec elle les réponses qui lui conviennent. L’ASBL prend le temps de faire connaissance avec sa réalité de vie et écoute la demande formulée par rapport à la sexualité. Les réponses possibles sont diverses : masturbation, jouets de charme (« sextoys »), découverte et apprentissage de la sexualité pour favoriser une sexualité autonome, accompagnement sexuel …
Un certain coût
L’épanouissement des personnes porteuses d’un handicap a un certain coût. En effet, le prix de la consultation de clarification de la demande, au sein de l’ASBL Aditi, est de 60 euros par heure et de 35 euros pour les frais de déplacement.
Sur base de cette consultation, Aditi estime si l’accompagnement sexuel est la réponse adéquate à la demande. Si tel est le cas, un accompagnant sexuel entre en contact avec la personne handicapée pour convenir d’un rendez-vous. Les accompagnants définissent et proposent leurs services dans une démarche entièrement libre et volontaire, précise Aditi. Après le premier accompagnement sexuel, un retour sur le déroulement de la première rencontre est demandé par l’ASBL. Les accompagnants sexuels demandent 100 euros par prestation d’une heure ainsi que des frais de déplacement. Ils sont payés en liquide lors de la prestation.
Déontologie et formation
Les accompagnants sexuels partagent une déontologie basée sur le respect mutuel et la reconnaissance de la personne en situation de handicap dans toutes ses dimensions humaines et dans sa pleine autonomie et sont familiarisés aux divers aspects de la sexualité et du handicap à travers leur formation. L’ASBL dispense également des formations, des supervisions et des consultations individuelles sur le handicap et la sexualité.
Femme handicapée : discrimination
« Nous sous-estimons et nions systématiquement le besoin d’intimité et de sexualité des femmes avec un handicap, avec tous les risques que cela entraîne », dénonce l’ASBL Aditi.
À l’occasion de la Journée internationale des Droits des Femmes, l’organisation veut attirer l’attention sur les sévices sexuels infligés aux femmes handicapées et souligner l’importance de l’éducation sexuelle. « Nous voyons lentement disparaître le tabou autour de l’intimité et de la sexualité des personnes avec un handicap, qui a droit à une expérience sexuelle saine », estime l’association.
Mais ce bris du tabou vaut surtout, selon l’ASBL, pour les hommes. Aditi remarque également, lors de ses formations de professionnels dans des institutions, que les accompagnants entament assez bien des discussions sur la question avec les résidents masculins, mais peu avec les femmes. « Un discours fréquemment entendu est qu’elles ne seraient pas concernées par le sujet », déplore l’association.
Pour l’organisme, les femmes en situation de handicap souffrent d’un manque de connaissance sur leur propre sexualité et se trouvent, dès lors, davantage exposées aux abus sexuels. En 2018, une enquête de l’université de Gand montrait que les 120 répondantes handicapées avaient été plusieurs fois victimes de violences sexuelles. « La plupart de ces femmes en parlent rarement, souvent parce qu’elles pensent que c’est la règle du jeu. »
Aditi plaide pour que l’enseignement spécialisé et les institutions pour les personnes handicapées abordent davantage ces questions et procurent une réelle éducation sexuelle et relationnelle à ce public en particulier.
Témoignage
« Ayant été dans l’enseignement « normal » durant mon adolescence, j’étais la seule à avoir un handicap. Chose qui a déjà fait réagir les autres élèves. Les professeurs ont alors fait appel à une association qui est venue en classe afin de m’épauler pour une meilleure intégration. J’aurais dû réagir et m’affirmer. Mais à 17 ans, je ne me sentais pas capable de réagir.
L’adolescence est un âge où on découvre sa sexualité. Il n’y avait pas de place pour cette découverte. J’ai fait comme si elle n’existait pas. L’école, les cours formaient déjà un assez gros bordel dans ma tête. Mais arrivée en supérieur, la question s’est posée. Je me cherchais sur les études, sur mon futur et sur ma sexualité.
C’est alors que j’ai rencontré un gars. Il ne s’est rien passé avec lui. Puis un deuxième, handicapé aussi. Spinabifida[1]. Il utilisait ses doigts comme outil de pénétration.
C’est à ce moment-là que je me suis posée des questions sur ma sexualité. J’ai alors fréquenté une association pour jeunes gays et lesbiennes, durant une dizaine d’années. Et, un soir où je rentrais d’une soirée à une heure tardive, j’ai été agressée et violée par 3 hommes. Cela a causé pas mal de dégâts physiques et psychologiques. Et encore actuellement, j’ai certaines séquelles de cette agression.
Puis, j’ai rejoint un groupe de femmes parlant de sexualité où j’ai eu l’opportunité de tester les massages tantriques avec une femme et puis un homme, sous surveillance. C’est là que j’ai vraiment découvert que j’étais plutôt pour les femmes. Et puis j’entends parler d’Aditi. J’ai un rendez-vous avec la responsable et puis avec l’assistante sexuelle, Kim (nom d’emprunt). Ensuite, j’ai pris un rendez-vous avec elle, pour se découvrir ou plutôt me découvrir.
Je savais déjà que mon clitoris était un endroit excitant, mais en même temps troublant parce que je ne savais pas trop si c’était réellement un orgasme ou pas. Je n’ai pas osé lui en parler…
On découvre chacune le corps de l’autre, je sens, je touche son corps, je suce ses seins. Elle m’avait dit dès le début, pas de baiser. C’était donc clair.
On se voit 4 ou 5 fois. Elle me fait jouir. Moi aussi. Et puis je sens que j’ai besoin d’autre chose.
En attendant, j’avais rencontré un photographe qui désirait faire un reportage sur moi et un amant bien plus âgé que moi. Contrairement à mes relations précédentes avec des hommes, il me laissait le temps que je voulais. Il n’était pas du tout pressé et me laissait le découvrir à mon rythme. Son corps, mais aussi le mien.
Kim, au début, a ouvert des portes et m’a vraiment dénudée (au sens propre comme au figuré). Avec mon amant et le photographe, je me suis découverte autrement. Au plus je fréquentais ces 3 personnes, au plus je voyais ce que ces personnes voyaient en me regardant. Je percevais la beauté, malgré les cicatrices de mon corps et ce poids qui pesait sur moi. J’avais vraiment l’impression de « fleurir » pour la première fois… et puis j’ai rencontré une femme, avec qui je fais mon petit bout de chemin. » – une bénéficiaire d’Aditi.
Vide juridique
Le dernier avis rendu sur la capacité de l’assistance sexuelle à prendre en compte les besoins spécifiques découlant des conditions de vie particulières des personnes touchées par un handicap, précise que : « l’assistance sexuelle est définie comme un service de soutien et d’accompagnement pratique dans la sexualité. Cette offre de service doit être strictement encadrée et garantie la protection et la sécurité tant des utilisateurs que les prestataires de service. Dans son avis, le comité indique que l’assistance sexuelle peut conduire à une réduction de la vulnérabilité des personnes touchées par un handicap et à une augmentation de la résistance aux abus et à la violence ».
Concernant le coût de l’accompagnement sexuel, le dernier avis du comité précise que si la pratique mérite d’être encadrée, ce type de prestations ne devraient cependant pas faire l’objet de remboursements de la part des pouvoirs publics.
Depuis 2018, aucune discussion sur la thématique n’est revenue au sein de l’hémicycle de la Chambre des Représentants. Et pourtant, cette question éthique en pose d’autres : le droit au plaisir pour les personnes en situation de handicap et un cadre juridique pour les accompagnants sexuels. Donner des droits aux assistants sexuels reposerait inévitablement la question des droits pour les travailleurs du sexe (souvent les oubliés des combats éthiques et sociaux). À l’heure où les enjeux éthiques (IVG) prennent au piège une potentielle formation gouvernementale, cette question devrait rester en suspens.
[1] Le spina-bifida désigne une malformation congénitale (visible dès la naissance) qui se caractérise par un mauvais développement de la colonne vertébrale. Cette anomalie entraîne une paralysie et d’autres complications telles qu’une perte de sensibilité au niveau des jambes et des troubles urinaires.
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