Excuses d’Hadja Lahbib: la majorité divisée, l’opposition veut toujours sa démission
En commission des Relations extérieures du parlement fédéral, la ministre des Affaires étrangères s’est excusée dans l’affaire de l’octroi des visas à une délégation iranienne.
Hadja Lahbib a fait un pas de côté ces derniers jours, pour mieux préparer sa défense dans l’affaire des visas octroyés à la délégation iranienne lors du Brussels Urban Summit. Alors qu’il lui était reproché de ne pas s’être excusée, la ministre des Affaires étrangères a tenu à rectifier le tir. « Je tiens à présenter mes excuses si j’ai donné l’impression de ne pas avoir donné place à la réalité des opposants au régime iranien en Belgique, et à leur sécurité ». La ministre MR a ensuite rappelé, une nouvelle fois, le contexte de l’octroi de ce visa : « Il s’agit de sauver des vies« . Tout en regrettant que « les choses se soient détériorées de la sorte, car nous aurions pu avoir une approche différente ».
Ensuite, Hadja Lahbib a tenu à préciser que les visas octroyés n’étaient pas des visas classiques mais des visas VTL, soit des visas avec une durée de validité limitée. Avant de souligner que ces derniers requièrent les mêmes vérifications que pour l’octroi de visas classiques. « Pour des visas VTL, il n’est pas nécessaire de consulter l’Office des étrangers et de la Sureté de l’Etat, j’ai quand même pris contact avec les deux, et la Sureté de l’Etat m’a donné son aval pour les 14 personnes de la délégation iranienne ». La ministre des Affaires étrangères a tenu à souligner que toutes les vérifications et le screening de ces personnes avaient été faits auprès des différents acteurs, malgré le timing « très court ».
« Nous avons demandé 2 fois le contrôle de la Sureté de l’Etat, qui n’y a vu aucune menace d’espionnage ou de sécurité pour la Belgique. Ils connaissaient la situation du maire de Téhéran, mais cette personne ne représentait pas une menace pour la sécurité de l’Etat aux yeux de la loi ». Quant à l’Office des étrangers, a continué Madame Lahbib, « ils ont pris contact pour valider la venue de la délégation, en concertation avec la Sureté de l’Etat ».
Hadja Lahbib retrace le fil des évènements
La ministre des Affaires étrangères, après s’être excusée une première fois, a retracé le fil des évènements ayant conduit à cette affaire du ‘Visagate’. « Le 20 mars, je reçois un avis pour la venue d’une délégation de 4 personnes. Dans les circonstances actuelles, je réponds qu’il est recommandable de ne pas inviter ces personnes. Début mai, on m’informe que 7 villes iraniennes sont invitées à ce sommet, ce qui élargit la délégation. Le 10 mai, Pascal Smet me dit par téléphone qu’il a des obligations vis-à-vis de l’organisateur (du Brussels Urban Summit, ndlr) et qu’il fallait que toutes les villes iraniennes viennent, et donc il me demande ne pas bloquer l’octroi des visas« . La libérale ajoute que « on ne bloque jamais des demandes de visa à priori. Une demande est jugée seulement après avoir été introduite, auprès des banques de données de signalement ».
« Le 11 mai, l’organisateur confirme que nous n’allons pas bloquer l’octroi de visas. Mon cabinet répond que la compétence de refus de l’octroi de visas Schengen n’est pas de mon ressort mais de celui de l’Office des étrangers. Le 15 mai, je précise dans un mail qu’il faut établir le profil des personnes qui composent la délégation avant d’accepter leur venue ». S’ensuit alors, toujours selon la ministre, l’envoi d’un courrier de la Région bruxelloise signé par Pascal Smet et adressé à l’ambassade belge en Iran, pour accélérer la procédure d’octroi de visas à la délégation iranienne.
« La liste des participants de la délégation iranienne a changé à plusieurs reprises »
Hadja Lahbib a ensuite déploré que la liste contenant les noms de ceux présents à la délégation iranienne ait changé à plusieurs reprises. « Le 7 juin, 13 demandes de visa sont déposées de la part des affaires étrangères iraniennes. Il est trop tard pour octroyer des visas Schengen donc on se tourne vers les visas VTL, procédure qu’on a entamée pour éviter un incident diplomatique dans le contexte que vous connaissez ». Et la ministre de reconnaitre une erreur d’appréciation sur la forme. « Les choses ne devraient pas fonctionner comme ça. Normalement, on n’octroie pas de visas sur base d’une liste ». Malgré cela, Hadja Lahbib a précisé que les 14 personnes de la délégation ont reçu une invitation nominative au Brussels Urban Summit, et ont bien été screenées par la Sureté de l’Etat.
Les visas sont délivrés le 8 juin, un jour avant que l’Ocam, l’organe qui définit la menace terroriste en Belgique, n’émette un avis négatif. « Mais pas par rapport à la délégation, argue Hadja Lahbib, seulement à l’égard du maire de Téhéran. » Cela n’aurait donc aucun rapport avec l’octroi des visas, pour la libérale, qui a tout de même reconnu avoir mal communiqué. « Je suis sincèrement désolée si mes explications ont mis de la confusion quant à cette séquence ».
La realpolitik, nécessaire pour rester en bons termes avec l’Iran selon Hadja Lahbib
La ministre des Affaires étrangères, dans un troisième temps, a de nouveau souligné l’importance de ne pas fâcher l’Iran, pour préserver les relations diplomatiques avec la Belgique. « Quand les trois autres européens sont libres le 2 juin, il reste un fil ténu pour continuer à dialoguer avec l’Iran. La diplomatie demande parfois de négocier avec des gens avec qui on n’est pas d’accord. Ce n’est pas simple ». Avant de revenir sur la realpolitik, devenu le moyen de défense principal d’Hadja Lahbib. « Nous ne pouvions pas aggraver notre relation avec l’Iran au vu de la situation, qu’ils mettent en exécution la menace sur Djalali (le professeur invité de la VUB, toujours détenu par le régime, ndlr) ».
Après 45 minutes d’auto-défense sans interruption, la ministre des Affaires étrangères a conclu son intervention comme elle l’avait entamée : par des excuses. « Il y avait moyen de faire mieux, certainement. Mais je voudrais qu’on retienne que je regrette sincèrement la crise dans laquelle nous nous trouvons, un mois jour pour jour après la libération d’Olivier Vandecasteele. Je m’excuse encore si j’ai pu heurter certains avec mes paroles mais je n’ai jamais réfléchi en terme de politique, seulement en terme de diplomatie ».
N-VA, PTB et Vlaams Belang veulent toujours la démission d’Hadja Lahbib
L’intervention de la ministre a été suivie par les réactions, tant de l’opposition que de la majorité. Pour la N-VA, des excuses qui se limitent à la communication sur ce dossier, sont insuffisantes. La députée d’origine iranienne Darya Safai a répété sa demande de démission de la ministre. Le chef de groupe à la Chambre Peter De Roover n’en démord pas. « Vous vous êtes excusée pour les malentendus mais restez fidèle à votre décision. Les excuses ne concernaient que les ‘éventuels malentendus dus à la communication’, et non les erreurs commises. Je pense qu’il y a plus que cela, et je n’ai pas l’impression que cette prise de conscience vous soit apparue aujourd’hui ». Pour le nationaliste flamand, la ministre doit démissionner. « Nous avons eu un très bon débat, mais si le résultat est ‘tout peut être mieux, il faut poncer’, alors je pense que nous terminons un merveilleux débat ici avec une gigantesque défaite pour le débat parlementaire et la déontologie du gouvernement De Croo ».
Ellen Samyn (Vlaams Belang) a également jugé les excuses insuffisantes. « Des excuses pour des mensonges au Parlement ne nous suffisent pas et ne suffiront jamais. Mais vous n’avez même pas présenté de véritables excuses », a-t-elle estimé. « Vous ne pouvez en aucun cas garantir que la situation ne se reproduira pas à l’avenir. Pour Nabil Boukili (PVDA), la façon dont Lahbib a d’abord imputé la responsabilité du problème à Pascal Smet « ne peut être interprétée autrement que comme un jeu politique » et il n’y a pas de confusion, « mais deux versions complètement différentes des faits ».
PS et Ecolo pas convaincus, Vooruit en balance
Dans la majorité, les questions subsistent aussi. « Les faits restent les faits. Le grand écart entre le 15 juin et le 21 juin est flagrant et ne contribue pas à l’esprit de confiance qui doit exister entre le gouvernement et le parlement », a lancé le député Samuel Cogolati (Ecolo-Groen) pour qui la ministre est entièrement responsable de l’octroi des visas à cette délégation « malgré les feux orange ».
Le PS n’a pas été plus clément. « Le 15 juin, vous avez menti au parlement », a accusé Malik Ben Achour. « Ce problème de mensonge devant le parlement est irrémédiablement inscrit à votre passif (…) Cette commission n’est pas un confessionnal, je n’ai pas l’âme d’un curé. Ce ne sont pas les excuses qui m’intéressent« , a-t-il ajouté. « Reconnaissez-vous votre responsabilité politique dans l’octroi de ces visas? Avez-vous encore la crédibilité suffisante pour diriger la diplomatie belge? »
Melissa Depraetere, présidente du groupe Vooruit, a qualifié d' »important » le fait que la ministre des affaires étrangères du MR, Hadja Lahbib, ait reconnu qu’elle était responsable de la délivrance de visas à la délégation d’Iraniens participant à une conférence sur les villes à Bruxelles au début du mois. Les excuses de la ministre « sont appréciées » a déclaré Melissa Depraetere, qui a indiqué que des excuses au gouvernement bruxellois seraient également « appropriées ». Par ailleurs, Lahbib a confirmé d’un hochement de tête qu’elle était la seule personne responsable en dernier ressort dans le dossier, un ajout important pour les socialistes.