Guy Rapaille : « Une ingérence russe lors des élections est à craindre »
Guy Rapaille, dont le mandat à la tête du Comité R prendra fin le 19 juillet prochain, s’attend à une immixtion de la Russie lors des élections locales d’octobre et des élections législatives en 2019.
D’après Guy Rapaille, qui a accordé une interview à nos confrères de Knack, les services de renseignements marocains, turcs et rwandais espionnent leur communauté en Belgique, des Russes disparaissent discrètement de notre pays, tandis que la NSA américaine – « et sans doute aussi les Russes et les Chinois » – intercepte toujours nos communications.
Le président du Comité permanent de contrôle des services de renseignements, dit Comité R, espère que les services de renseignements belges s’inquiéteront de possibles immixtions étrangères, russes singulièrement, lors des prochaines élections dans le pays.
Guy Rapaille ne dispose pas d’informations précises et il n’y a pas d’indications que des Russes auraient financé des partis d’extrême droite. « Comment les Russes ont-ils travaillé en Amérique et ailleurs? Ils ont, depuis leur territoire, envoyé des choses sur internet. Mais même les Américains, qui disposent quand même de moyens substantiels, ne l’ont pas remarqué. J’espère que nos services de renseignement vont s’y attarder », relève-t-il.
Les services secrets marocains et turcs sont plus actifs auprès de leur communauté en Belgique de nos jours que par le passé, rapporte également Guy Rapaille au Knack. « Depuis 2016, il y a une nouvelle loi qui demande explicitement aux services de renseignement belges de surveiller les activités de services de renseignements étrangers – par exemple au sein de la communauté marocaine et turque. Jusque-là, ce n’était pas clair si c’était à la Sûreté d’état de s’en occuper ».
« Il y a des contacts entre des imams et des agents des services de renseignements turcs. Idem avec des organes culturels. Il ne s’agit pas à 100% d’espions, mais plutôt d’agents d’influence. Ils propagent le message: ‘le président Erdogan est le nouveau sultan, et il doit absolument en rester ainsi’. De la propagande, donc. »
Le Rwanda aussi suit ses ressortissants présents en Belgique, suspecte Rapaille. « On voit même des escadrons de la mort actifs en Europe. Ils sont sans doute passés en Belgique, mais je ne dispose pas d’information selon laquelle ils auraient exécuté des gens ici. Le principe est simple : quand des services secrets étrangers déploient des opérations ici, ils sont censés informer les services belges, mais ils ne le font pas tous ».
Quant aux opérations des services secrets espagnols à la suite de l’exil du président catalan déchu Carles Puigdemont, le président du Comité R ne peut pas encore en dire beaucoup. Ce qu’il sait, c’est que les services de renseignements belges « n’ont pas pris part aux activités espagnoles », même s’ils ont « en principe été tenus au courant. »
Par ailleurs, Guy Rapaille exprime son inquiétude pour le Service Général du Renseignement et de la Sécurité (SGRS), le service de renseignements militaire. Déjà en 2008, le Comité R découvre « une faille importante » dans le service de gestion d’information du service de renseignements militaire. En 2011, un audit du service révèle que le problème n’est toujours pas résolu. Pour le Comité R, l’exécution des tâches est même en péril. D’autres problèmes font également surface, tels qu’un « équilibre perturbé » entre les citoyens et les militaires au sein du service.
« Malheureusement, les problèmes sont toujours aussi graves qu’en 2011. Il s’avère toujours difficile pour les militaires et les civils de cohabiter au sein d’un même service – ils n’ont pas la même culture – et la circulation de l’information demeure problématique. Tout est complexe aussi : le patron du SGRS ne peut prendre toutes les décisions seul ; le ministre de la Défense et le Chief of Defense (respectivement Steven Vandeput, N-VA, et Marc Compernol, NLDR.) jouent un rôle », explique-t-il.
« Après cet audit, nous avons fait de nombreuses recommandations, mais elles n’ont pas été mises en oeuvre. Aujourd’hui, la situation a atteint un tel stade que pour la première fois nous avons associé un timing à nos recommandations : d’ici la fin de cette année, le SGRS doit avoir suivi un certain nombre de recommandations. Je ne peux pas en dire plus, sauf que nous allons en parler à notre commission d’accompagnement parlementaire, qui s’occupera du suivi de l’affaire », ajoute-t-il.
Le président du Comité R dénonce le manque de personnel à la Sûreté d’état, mais aussi au SGRS où l’on recrute trop peu de civils. « Le personnel civil du SGRS n’est plus tout jeune. La Commission d’enquête sur les attentats du 22 mars souhaite qu’il soit plus actif en matière de contre-terrorisme. Lui dit que ce n’est pas vraiment son boulot – contrairement au contre-espionnage et à la contre-ingérence. Comment voulez-vous qu’un officier de renseignements de 60 ans entre en contact avec les jeunes de Molenbeek ? Cela ne va pas ».
Pour Guy Rapaille, il n’y a pas vraiment de culture de renseignements en Belgique. « Cela signifierait que le monde extérieur reconnaisse l’importance de nos services de renseignements. Les attentats terroristes ont un peu fait progresser les choses, mais surtout au niveau du terrorisme. Personne ne s’intéresse vraiment à l’espionnage. Le monde politique observe cela avec beaucoup de distance. Alors que je ne le répéterai jamais assez: il y a beaucoup d’espions étrangers à Bruxelles parce qu’ici nous avons les institutions européennes et l’OTAN ». Il cite notamment l’exemple d’espions russes et chinois qui se font passer pour des journalistes d’investigation.
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