
Guillermo Guiz : « Le football procure des émotions extrêmes »
A quel sport vouent-ils une véritable passion ? Pourquoi ? Depuis quand ? Et avec quel impact sur leur vie, privée comme professionnelle ? Cette semaine, l’humoriste Guillermo Guiz confie son immense regret : avoir raté d’un cheveu une carrière professionnelle, après avoir joué au Standard et à Anderlecht. Frustré, il a pourtant fini par revenir vers le foot qui représente une partie vitale de lui-même.
Guillermo Guiz cartonne en France, sur France Inter et Canal +. L’humoriste ne cesse de tourner avec son one-man-show Guillermo Guiz a un bon fond. Le 28 mai, il investira le Cirque royal, à Bruxelles, sold out depuis des semaines. Sans perdre de temps, il écrit déjà son prochain spectacle, qu’il présentera en 2020 au théâtre de la Toison d’or. Bref, ça plane pour lui. » Je suis heureux de pouvoir vivre de mon métier en faisant des blagues « , sourit-il, humble. A 37 ans, ce beau gosse a connu les galères, les métiers précaires, le journalisme et les discothèques. Mais le regret éternel de Guy Verstraeten – son vrai nom -, c’est celui de ne pas avoir accompli son rêve absolu de devenir joueur de football professionnel. Il s’en est pourtant fallu de peu…
Pourquoi le football est toute sa vie
» J’ai commencé à jouer à 7 ans, raconte-t-il. Je me suis plongé récemment dans mes archives et je me suis rendu compte à quel point je ne vivais que pour le football. Je ne pensais qu’à ça. Quand j’achetais des chaussures de foot, je dormais avec. J’avais un ballon partout, tout le temps. Avec mon meilleur ami, nous allions jouer au parc Scherdemael, à Anderlecht. Ce sont les plus beaux souvenirs de ma vie. Je ne partais jamais en vacances, je faisais des stages de foot. Ce sport rythmait tous mes instants. Quand j’écrivais à mon père, on parlait de la reprise des entraînements, des potins de l’équipe… » A 7 ans, Guy joue au RWDM, à Molenbeek, où il reste quatre ans. Pendant un an, il se consacre au football en salle, le temps de devenir champion de Belgique. Puis, cap sur le Standard pendant trois ans, un an à l’Union Saint-Gilloise, trois à Anderlecht, un retour à l’Union… avant de mettre un terme prématuré à sa carrière. Le football, pour Guillermo Guiz, reflète la magie de l’enfance, mais lui rappelle aussi le rêve très concret d’une carrière professionnelle manquée. » J’étais un des bons petits jeunes du pays, meneur de jeu, numéro 10, en équipe nationale. A cet âge-là, forcément, cela devient un objectif de faire carrière. »
J’étais un des bons petits jeunes du pays, meneur de jeu, numéro 10, en équipe nationale.
Joueur du Standard de 12 à 15 ans, Guy Verstraeten tutoie les sommets. » Je suis tombé amoureux de la ville et de la mentalité. Je venais d’un environnement où la rivalité existait, j’ai découvert à Liège un univers où régnait une franche camaraderie. Je suis devenu amoureux de l’équipe et je la supporte encore aujourd’hui. Quand vous jouez dans une équipe comme celle-là, que vous faites cent kilomètres aller-retour trois fois par semaine pour l’entraînement, vous vous dites que cela va finir par payer. Le problème, c’est que j’étais fragile physiquement. J’ai grandi très vite et je me blessais souvent. Je n’avais peut-être pas l’hygiène de vie nécessaire, je restais éveillé tard, je mangeais énormément de viande rouge. Ces blessures ont empêché une progression normale. » Subitement, le rêve de sa vie tourne au cauchemar…
Pourquoi c’est, aussi, une souffrance
Sa passion se transforme en supplice. » J’avais en permanence des élongations, des contractures, des déchirures, des tendinites… qui me tenaient éloigné des terrains pendant plusieurs semaines. Cela ne s’est jamais arrêté. Je n’ai pratiquement jamais joué une saison complète, sauf peut-être à l’Union Saint-Gilloise, avant d’être transféré. A Anderlecht, ce fut la bérézina. C’était infernal. A 16 ans, j’ai joué quelques matchs avec la réserve, puis j’ai été opéré aux deux rotules avec neuf mois d’inactivité à la clé. C’était un moment critique, parce qu’il s’agit de la dernière ligne droite avant de devenir professionnel et je n’ai pas pu la vivre. Quand je suis revenu, je me suis blessé à nouveau. Cela fait mal. Et cela a commencé à poser une question de légitimité dans le vestiaire. Mon entraîneur en Juniors UEFA, Manu Ferrera, me regardait en souriant d’un air entendu à chaque blessure… Un jour, je me suis claqué lors d’un entraînement dans une salle et je suis sorti directement sans même lui parler. Je ne suis plus jamais revenu. Dégoûté. »
C’est un regret. Profond. » La vie est comme elle est, souligne Guillermo. Je ne crois pas au destin, mais on le crée avec ce qui nous arrive. J’accepte le fait de ne pas avoir été professionnel. Mais la vie se joue à pas grand-chose. Quand j’avais 21 ans, j’ai recommencé à jouer au White Star à Woluwe, en Première provinciale, puis en promotion. Le rêve de faire carrière est revenu. J’ai fait une belle saison et le FC Malines, qui avait alors été relégué en Division 3, me suivait. Il voulait reconstruire une équipe autour de jeunes. Je pense que c’est reparti, que je suis pro dans les trois ans. Sauf que je passe à travers les deux matchs suivants, quand ses dirigeants viennent me voir. Le White Star, qui monte en promotion, me dit qu’il va construire son équipe autour de moi. Puis, je me blesse à nouveau et je ne reviens plus jamais. Ma carrière s’est jouée à deux matchs près. It is what it is… J’aurais pu être tout autre chose qu’humoriste aujourd’hui : un joueur moyen à la retraite. La vie est complètement aléatoire. »
Guillermo Guiz reconnaît qu’il n’aurait toutefois pas pu se contenter de ne faire que du football. » En sciences po à l’université, bien que je réussisse très bien avec des distinctions, j’étais persuadé que j’abandonnerais mes études à la seconde même si on me proposait un contrat de joueur professionnel. Il n’y avait pas d’équivoque. Mais intellectuellement, je n’aurais pas été assez nourri. Quand je jouais, je rêvais de devenir pro, en ajoutant chaque fois « et avocat », « et ministre »… A 16 ans, à Anderlecht, dans le bus, je lisais Sartre, Spinoza… Je ne comprenais pas tout, mais je trouvais ça cool de lire des philosophes, j’étais tout le temps à la bibliothèque d’Anderlecht. J’étais un joueur atypique. Dans le vestiaire, il n’y en avait pas beaucoup comme moi… »
Pourquoi le sport roi est unique
Malgré ça, Guillermo a le foot dans la peau, aujourd’hui encore. » J’ai recommencé à jouer en vétérans, avec des gars que je connaissais gamin. L’âme d’un vestiaire bruxellois me manquait ! Je suis sorti du terrain dans un état pitoyable, mais j’ai aimé tous les moments passés à entendre un million de remarques du style : « Hé, t’as la condition physique d’une mouche ». Vous n’entendez pas ça sur France Inter, quand Isabelle Huppert est à côté de vous. Moi qui suis censé être l’humoriste de la bande, j’écoute, je ne dis rien, ce sont les autres qui me font marrer avec leurs manies, leur façon de parler de foot tout le temps, de considérer que ce match de vétérans est le truc le plus important au monde. C’est une partie de ce que je suis au fond de moi, quels que soient les cénacles où je peux évoluer, quel que soit le degré de sophistication que je peux atteindre. » Après être » monté à Paris » pour réussir dans sa carrière d’humoriste, Guy est revenu vivre à Bruxelles au bout d’une année passée dans un appartement de la capitale française. L’authenticité de sa ville natale lui est indispensable.
Le football est devenu un phénomène de société et la première entreprise au monde… » Cela s’est fait progressivement, ce n’est pas venu du jour au lendemain, relativise-t-il. Personnellement, j’ai fait une sorte de rejet du football après la fin officielle de ma carrière, quand j’avais 23 ans. Pendant quelques années, j’ai arrêté de regarder le moindre match. Mais je me suis rendu compte que ce sport me procurait des émotions uniques. Des vraies douleurs physiques, des moments où ta soirée est foutue, pour rien… Quand Manchester City est éliminé par Tottenham en quarts de finale de la Champions League, cette année, j’ai ruminé dans mon coin pendant des heures. Je n’ai pourtant aucune affection pour City, mais depuis que Pep Guardiola en est devenu l’entraîneur, je suis fan, j’adore voir cette équipe jouer et je m’implique émotionnellement. J’ai mal quand elle perd ! Même quand je revois des défaites dans des documentaires, j’ai la rage. »
Comment imaginer alors son état après l’élimination du Barça par Liverpool en demi-finale de cette même compétition, 4-0 au retour après le 0-3 du match aller ? Déchiré, coupé en deux… » Le Barça, c’est le club de mon coeur depuis que je suis tout petit, s’enthousiasme-t-il. Je suis allé en stage au Camp Nou quand j’avais 7 ans. Mon père m’avait acheté les trois petits maillots que j’avais reçus au compte-gouttes au fil des fêtes parce qu’il n’avait pas beaucoup de moyens. J’ai toujours aimé le Barça. L’équipe de Guardiola entre 2009 et 2012, c’est le plus beau foot que j’aie jamais vu. On ne vit pas des émotions aussi fortes au cinéma, dans les séries ou dans l’humour. Le foot est sans équivalent. Le côté fédérateur de ce sport me touche beaucoup. »
Et la Belgique dans tout ça ? » J’ai un rapport particulier avec les Diables Rouges. J’ai connu des émotions extrêmes au début des années 1990 : le but anglais de David Platt contre Michel Preud’homme qui nous élimine en huitième de finale du Mondial italien, ce fut pour moi le sommet de la tristesse et de la douleur… En grandissant, j’ai relativisé tout ça : les Diables sont devenus moins bons ; il y a eu les tensions entre Flamands et francophones ; on s’identifie au pays, mais le pays ne s’identifie pas à lui-même ; j’ai compris les travers du nationalisme… J’ai eu un regain d’intérêt pour les Diables avec la génération des Jeux olympiques de 2008, les Vertonghen, Hazard, Dembélé… Mais Marc Wilmots est devenu entraîneur et je n’aime plus ce mec depuis qu’il a pris les clés de l’équipe nationale à Enzo Scifo, en 1998. Scifo, c’est mon idole belge de tous les temps, une légende. Par esprit de contradiction, alors que tout le monde manifestait sa ferveur avec les drapeaux aux fenêtres et les chaussettes aux rétroviseurs, j’ai donc pris de la distance. Même si lors de la Coupe du monde de 2018, je me suis dit lors du quart de finale contre le Brésil qu’on avait quand même une équipe fabuleuse, avant de sortir en chialant de la demi-finale perdue contre la France. »
Sur les ondes de France Inter, confronté au sélectionneur français Didier Deschamps, Guillermo Guiz a fait par la suite un grand numéro de l’humoriste que le football n’intéresse absolument pas. La vidéo a été vue plus de 140 000 fois sur YouTube. Comment le croire ? L’homme a le foot qui coule dans ses veines, il est fou du beau jeu et fan des personnalités qui le font vibrer. Sans se soucier des excès du milieu. » C’est une implication émotionnelle irrationnelle. L’essence du sport, en dépit de l’argent. Cela fait quatorze ans que Messi joue au plus haut niveau et cela reste une source d’émerveillement. Il procure des moments de communion uniques. Un joueur peut être transféré 500 millions et Neymar peut se rouler dix fois par terre, pour moi, le foot sera toujours le foot. » Une passion éternelle.
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