Patrick Dupriez
Guerre et paix avec la nature: comment apprendre à vivre avec le(s) virus (carte blanche)
Première ou deuxième vague, discours alarmistes ou rassurants, crise sanitaire, enjeux sociaux, économique, démocratiques… voici 5 mois qu’un virus bouleverse nos vies et se trouve au centre de toutes les préoccupations et angoisses. Il m’apparaît pourtant proprement ahurissant qu’au-delà de la volonté légitime de ralentir la propagation du coronavirus, une approche globale de la santé, individuelle et collective, soit à ce point oubliée des stratégies politiques. La promotion de la santé est l’oubliée de cette crise. Alors que ses objectifs, ressources et méthodes recèlent les solutions les plus fondamentales pour en sortir, les acteurs du secteur n’ont pratiquement pas été sollicité.
Nous serions en guerre, en lutte contre un virus qu’il nous faut éloigner ou éradiquer ; avec nos héros, le personnel médical, et nos armes : frontières fermées, masques, distanciation, confinement, traçage, sanctions et, in fine, soins intensifs pour celles et ceux qui auront été atteints par l’ennemi malgré les barrières érigées.
Pour de nombreuses personnes, l’espoir d’une sortie de crise réside dans la découverte de l’arme fatale : un vaccin susceptible d’enrayer l’épidémie. Pas si simple ! La singularité du coronavirus et les incertitudes sur les immunités acquises à son contact rendent le développement d’un vaccin sûr et efficace incertain dans un délai raisonnable. Et puis, la création du vaccin pour la Covid-19 n’empêchera pas une « Covid-20″ de surgir… Alors, s »il faut, logiquement, ralentir la contagion, absorber le choc, soigner de mieux en mieux les malades… comment aboutit-on à la paix et retrouve-t-on l’équilibre ? Car nos sociétés et nos corps vont inéluctablement devoir apprendre à vivre avec Covid-19 comme avec tant d’autres virus. Or, si des mesures exceptionnelles ont été prises par les gouvernements dans une situation terriblement complexe, il y a une tache aveugle des discours : nous ne sommes pas égaux devant le virus qui trouvera, selon les individus qu’il infecte, soit les portes ouvertes pour y faire de gros dégâts, soit un terrain sur lequel il laissera peu d’empreintes. Non, le virus ne « choisit » pas d’attaquer prioritairement les personnes âgées comme on l’entend parfois. Plus réalistement, les personnes à l’immunité fragile souffriront davantage de son contact en ne parvenant pas à lutter correctement contre son invasion. Ce sont les aînés qui ont fréquemment un système immunitaire affaibli, par l’âge, par de multiples carences en nutriments essentiels et des médications excessives ou par leur situation d’isolement social et émotionnel. Ce sont aussi souvent des personnes parmi les plus précarisées de notre population. Et nous constatons que les patients à risque de complications graves du Covid-19, sont majoritairement des personnes souffrant d’autres pathologies telles que l’obésité, le diabète, l’hypertension… des maladies en forte augmentation ces dernières décennies.
Et si cette crise que nous traversons éclairait la nécessité d’un changement systémique de notre politique de santé ?
Le choc subi par notre société amène des questions et de la colère par rapport à la solidité et à la gestion de notre système de santé. L’absence d’un plan pandémie opérationnel et de pilotage stratégique, la communication hasardeuse, le manque de stock et de capacité de production d’un certain nombre d’outils indispensables comme les masques ou les réactifs pour tests, l’épuisement et la déconsidération du personnel médical, en particulier infirmières et aides-soignantes, en premières lignes, l’abandon des personnes âgées en maison de repos… sont des réalités qui vont appeler des réactions politiques indispensables. Il serait toutefois dommage que les rééquilibrages budgétaires à venir soient exclusivement orientés vers des politiques curatives ou les infrastructures hospitalières alors que notre système est déjà fortement « hospitalocentré » et que la perversion des modes de gestion fondés sur la rentabilité est dénoncée de toute part.
Dans l’urgence aussi, il faut penser à prévenir et à mobiliser positivement !
Ce à quoi nous aspirons, c’est la santé. Et ce qui nous sauve et nous sauvera, c’est la vitalité et le fonctionnement harmonieux, de notre système immunitaire, notre capacité comme organisme vivant à développer une résistance aux virus, à trouver un équilibre, individuel et collectif, avec cet agent potentiellement pathogène.
Si je le rappelle ici, c’est que les stratégies de lutte contre l’épidémie et de recherche de remèdes contre la maladie ne devraient pas occulter l’importance de ce que nous appelons les déterminants de la santé, c’est à dire des facteurs influençant positivement ou négativement la santé et le bien-être social d’un individu: niveau de revenu et statut social, réseaux de soutien social, éducation et culture, conditions de travail, environnements, habitudes de santé et capacité d’adaptation personnelles, développement de la petite enfance, patrimoine biologique et génétique, services de santé, sexe, etc. Or, la crise en cours et singulièrement les mesures de confinement, ses conséquences sociales et économiques, son impact sur la santé mentale de la population… dégrade significativement la plupart de ces déterminants de la santé.
Le renforcement des conditions, ressources et comportements qui construisent notre santé est un chantier essentiel qui mériterait aussi de devenir une urgence. Or, dans notre pays, la prévention et la promotion de la santé sont les parents pauvres de la politique. Et le fédéralisme belge a malheureusement renforcé ce déséquilibre en déliant l’intérêt de ces politiques et le budget de la Sécu alors qu’il est fréquemment démontré qu’un euro investi en prévention permet d’en économiser bien davantage dans le curatif.
Améliorer la qualité de notre alimentation, diminuer stress et inégalités, renforcer les liens sociaux, réduire l’exposition aux diverses pollutions… autant d’objectifs qui nous rendront plus résistants aux viroses présentes et à venir. Plusieurs études publiées ces derniers mois ont démontré, par exemple, que la pollution atmosphérique favorisait l’épidémie ou que des carences en certaines vitamines nous y rendaient plus fragiles.
Il s’agira aussi de renforcer l’éducation sanitaire et de donner enfin des moyens aux programmes de Promotion de la Santé à l’Ecole si peu développés ; de réorganiser les soins de première ligne, en coordination avec le réseau hospitalier, en valorisant les médecins généralistes mais aussi d’autres praticiens de la santé, via des pratique interdisciplinaires, par exemples, dans les maisons médicales ; de faire enfin vraiment place à la prévention de la santé physique et mentale dans les entreprises… Il s’agira, en fait, de déployer un système de santé plus holistique, efficient et efficace associant tous les secteurs de la société.
Et dans des situation de crises telles que nous la connaissons aujourd’hui, déployer des discours mesurés, clairs et cohérents, miser sur la responsabilité et la solidarité, susciter l’adhésion la plus large possible sur les mesures préconisées en précisant les objectifs collectifs que nous voulons et pouvons atteindre, contribueront certainement mieux à préserver notre santé qu’une infobésité anxiogène et la multiplication d’obligations, interdictions et de sanctions peu lisibles et sans cesses changeantes.
A un bout de la chaîne, l’émergence du Covid-19, après d’autres virus et avant d’autres certainement, semble directement liée à la dégradation des espaces naturels et à la perte de la biodiversité, sauvage et dans les élevages industriels. Les scientifiques tiraient le signal d’alarme, expliquant que la destruction de la nature, augmente considérablement les risques de zoonoses et de pandémies, sans trouver oreille attentive. On peut espérer que l’alerte soit cette fois entendue : la dégradation de l’environnement et la diminution des espaces naturels nuisent à la santé humaine ! Faire la guerre à la nature, c’est nous perdre nous-mêmes.
A l’autre bout de la chaîne, cette crise a mis à l’épreuve notre système de santé et éclaire ses déficiences. Face à elle, nous n’étions pas égaux en termes de capacités de défense et de facteurs de risques. Elle nous invite aussi à renforcer les politiques, les pratiques et les comportements globalement favorables à notre santé et à notre vitalité. Ceux-là nous aideront à réaliser plus efficacement l’équilibre complexe entre nous, humains, et l’infinie diversité des micro-organismes qui nous constituent et nous entourent.
Les valeurs de diversité et d’interdépendances complexes de l’écologie portent donc des solutions pour éviter d’autres pandémies autant que pour sortir plus forts de celle-ci.
Alors, si à court terme, nous sommes obligés d’utiliser des armes défensives contre un agresseur « venu d’ailleurs », à long terme c’est bien la recherche globale de l’équilibre de l’être humain avec l’ensemble du vivant qui doit nous guider.
Là où d’aucun, martialement, mettent en scène une réponse guerrière, nous pouvons rappeler que la résistance collective, la coopération et la diplomatie sont les clés véritables pour sortir des conflits.
« Apprendre à cohabiter avec le virus nécessite de réapprendre à vivre avec les risques, alors même que la modernité a tout fait pour chasser ce compagnonnage, à raison d’ailleurs. Il y a la vie, et il y a la valeur de la vie. « , explique la philosophe Cynthia Fleury. Nos sociétés modernes ont relevé ce défi. Il se repose sans cesse à nous, naviguant dans les incertitudes, et ce n’est ni plus ni moins qu’un projet de société.
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