Grandes villes wallonnes: voici le baromètre de transparence
Après celui des communes bruxelloises, voici le baromètre de la transparence des cabinets des bourgmestres et échevins des grandes villes wallonnes. Résultat : une énorme disparité entre le meilleur élève, Tournai, et le bonnet d’âne, Seraing.
Que les élus le veuillent ou non, le thème de la transparence s’est bel et bien imposé dans la campagne électorale qui s’achève. Il s’agit d’une exigence de plus en plus forte des citoyens électeurs qui n’ont toujours pas digéré les affaires Publifin et Samusocial. Une meilleure transparence constitue une réponse évidente à ces scandales de mandats fictifs ou outrageusement rémunérés. Les élus qui ignorent que le vent souffle désormais dans ce sens sont soit sourds et aveugles, soit de mauvaise foi.
Voilà près de deux ans que Le Vif/L’Express a lancé, avec Transparencia et Cumuleo, les » baromètres de la transparence « , le premier portant sur la composition des cabinets ministériels fédéraux et régionaux (Le Vif/L’Express du 13 janvier 2017). Cumuleo.be est connu du grand public. Depuis 2005, ce site compile, de manière claire et détaillée, les 700 000 mandats exercés par nos représentants politiques et hauts fonctionnaires, en rendant lisible l’austère publication annuelle du Moniteur belge en la matière. Transparencia.be est une plateforme plus jeune. Créée fin 2016, par Cumuleo et Anticor-Belgique, celle-ci permet à tout citoyen de contacter une autorité publique pour avoir accès à un document administratif.
Il subsiste d’incroyables poches réfractaires…
Des dizaines d’autorités ont ainsi déjà été sollicitées via le site, notamment et surtout des communes. En deux ans d’existence, on peut dire que Transparencia a fait parler d’elle, tant à Bruxelles qu’en Wallonie, devenant le poil à gratter tenace des récalcitrants à la transparence. Des comités locaux de Transparencia se sont constitués. Certains se sont imposés dans les réunions des conseils communaux, en lançant des interpellations souvent médiatisées. Avec toujours le même objectif : rendre la vie politique moins opaque.
Les leçons bruxelloises
En cette année électorale, Le Vif/L’Express s’est associé à Transparencia pour publier le baromètre des 19 communes de Bruxelles. L’idée était de sonder la bonne gouvernance des mandataires bruxellois : quels mandats exercent-ils, surtout à côté de celui pour lequel ils ont été élus, dans quelles asbl ou intercommunales, avec quelle rémunération éventuelle et quels avantages ? Autant d’informations qui permettent aussi de traquer d’éventuels conflits d’intérêts.
Un premier baromètre baptisé » Brussels Papers « , publié en décembre 2017 avec cinq autres médias, s’est révélé globalement décevant. Les leçons des scandales n’avaient pas été tirées. Les résistances de nombreuses communes à nos demandes étaient fortes, et ce malgré » l’engagement solennel » pris par tous les chefs de groupe au sein du parlement bruxellois lors d’une séance organisée par Transparencia. Nous avons alors décidé de remettre le couvert six mois plus tard. Le deuxième baromètre bruxellois ( Le Vif /L’Express du 14 juin dernier) a montré un visage un peu plus amène : la transparence dans les communes avait progressé mais ce n’était pas une révolution, loin de là. Il subsiste d’incroyables poches réfractaires…
Après les 19 communes bruxelloises, Le Vif/L’Express et Transparencia se sont attaqués aux grandes villes wallonnes. Celles de plus de 50 000 habitants, soit en ordre de grandeur : Liège, Charleroi, Namur, Mons, La Louvière, Tournai, Seraing, Mouscron et Verviers. Comme à Bruxelles, il s’agissait de tester la transparence des cabinets des bourgmestres et échevins. Les demandes ont été introduites via le site Transparencia par des membres de l’association, comme le ferait n’importe quel citoyen. Elles portent sur la liste des collaborateurs de cabinets. Les points demandés :
– la date de leur entrée en fonction et de sortie éventuelle,
– leur titre et compétences,
– leur rémunération annuelle brute (fiches de rémunération),
– la modalité de leur engagement (congé administratif, contrat de travail…),
– leur temps de travail (mi-temps, plein-temps…),
– leur profession et employeur précédent,
– les mandats dérivés qui leur ont été attribués par la commune (et la rémunération et avantages y afférant).
A l’instar des autres baromètres et conformément à la législation sur l’accès aux documents administratifs, les autorités sollicitées ont eu trente jours pour répondre. Passé ce délai, Transparencia a introduit un recours auprès de la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) wallonne. Le premier avis rendu par celle-ci concernait la Ville de Liège. Il a, en quelque sorte, fait jurisprudence pour les autres recours concernant les villes wallonnes.
Cet avis ( voir www.levif.be), assez semblable à ceux obtenus pour les communes bruxelloises, indique que la demande introduite via le site de Transparencia est recevable et ne concerne pas des données à caractère personnel. Par ailleurs, la Cada wallonne estime que les informations requises ainsi que l’identité des collaborateurs » ne relèvent pas de la vie privée « , à l’exception de la profession et de l’employeur précédent. Quant à la rémunération, » un montant global brut annuel doit être fourni à la place des fiches de rémunérations « . Bref, la demande de Transparencia est validée dans presque tous les points.
Les constats wallons
Trois villes ont répondu rapidement, soit plus ou moins dans les trente jours : Tournai, Namur et Mouscron. Elles ont fourni des informations quasi complètes sur les cabinets communaux. Particularité picarde : Mouscron a déclaré ne pas disposer de membres de cabinets. Transparencia a néanmoins relevé, dans des articles publiés lors du meurtre du bourgmestre Alfred Gadenne en septembre 2017, des réactions de membres du personnel communal présentés comme collaborateurs échevinaux ou mayoraux. Mais Mouscron a fait savoir que ces personnes étaient des employés de l’administration et qu’il n’y avait » pas d’attaché, de collaborateur ou d’homme de main, si ce n’est dans la presse « . Dont acte.
Les autres villes ont fait durer le plaisir… Charleroi a mis plus de six mois à répondre. Certes, on pouvait déjà trouver pas mal d’infos sur son site Web, mais c’était loin d’être exhaustif par rapport à la demande de Transparencia. Bref, les infos complémentaires ont été fournies juste avant la publication de notre baromètre et le tableau est complet. Idem à Verviers, où le comité local de Transparencia a dû investir le conseil communal pour faire bouger les choses. Près de cinq mois en tout, le résultat y est. La liste complète des collaborateurs de cabinet de 2000 à 2018 se trouve sur le site Web de la ville.
A Liège et Mons, les choses se sont avérées plus compliquées. Chez Willy Demeyer (PS) comme chez Elio Di Rupo (PS), le bras de fer a été long. Il a fallu interpeller le conseil communal. Mons n’a rien fourni à Transparencia, mais a finalement publié sur son site Web une liste de collaborateurs. Il y manque les rémunérations, les modalités d’engagement et le temps d’emploi. Le site affiche aussi une liste de mandats dérivés, avec la rémunération, mais sans les avantages ou frais, et avec quelques trous dus à des déclarations non remises par certains mandataires. Après le scandale Publifin, on se serait attendu à ce que la commune du président du PS et ancien Premier ministre se montre davantage exemplaire.
Liège a résisté également avec force. La Ville a consulté la Commission de protection de la vie privée (CPVP), alors que la Cada, comme on l’a vu ci-dessus, s’était prononcée sur le sujet. La Commission vie privée a d’ailleurs renvoyé à l’avis de la Cada… Willy Demeyer a aussi tenté de discréditer un membre du comité local de Transparencia en laissant entendre qu’il émanait du PTB. En vain. Bref, après avoir ergoté, Liège a fini par céder, mais en fournissant une liste de collaborateurs incomplète, c’est-à-dire sans rémunérations individuelles ni dates d’entrée en fonction ni temps de travail (juste un chiffre global pour l’ensemble des collaborateurs). On escomptait mieux de la part de la plus grande ville wallonne.
A La Louvière, on n’a pas encore décroché la lune en matière de transparence. Le site Web ne fournit pas d’infos sur les cabinets communaux et, surtout, aucune liste des mandats dérivés : avec Seraing (on y vient), la ville de Sancho est la seule dans ce cas. Transparencia a tout de même réussi à obtenir du collège les mandats dérivés, le volume d’emploi, le montant global de rémunération ainsi que les attributions des collaborateurs de cabinets. Mais la Ville a considéré que, pour l’identité des collaborateurs n’ayant pas de mandats dérivés, ainsi que pour les dates et modalités d’engagement, il y avait des données potentiellement sensibles au regard de la nouvelle loi sur la protection des données (RGPD).
Ces restrictions ont été signifiées au collectif – c’est assez exceptionnel que pour le souligner – par une lettre d’avocat du cabinet Uyttendaele. La Louvière a alors saisi la nouvelle Autorité de protection des données (APD) qui remplace la CPVP depuis fin mai dernier, et ce malgré l’avis rendu par la Cada. Laquelle lui a répondu le 27 septembre. C’est donc tout chaud. Selon nos informations, l’APD renvoie la Ville vers la Cada qui s’est prononcée sur le sujet (voir ci-dessus), comme la Commission vie privée l’avait fait pour Liège. Logique.
La Ville de Seraing, dont le site Web est muet sur la composition des cabinets, s’est, elle aussi, réfugiée derrière la législation RGPD, et ce malgré une première réponse positive du collège à Transparencia. Il faut dire que la commune, sollicitée dès janvier 2018 par le collectif, a attendu et encore attendu avant de s’exécuter. Elle a finalement, elle aussi, demandé un avis à l’APD, le… 4 septembre dernier. On peut donc encore patienter, bien qu’on se doute que l’Autorité répondra la même chose qu’à La Louvière. En attendant, Transparencia n’a reçu aucune des informations requises. Ce qui vaut à la commune d’Alain Mathot (PS) d’être la lanterne rouge de ce palmarès.
En savoir plus
– Lanceur d’alerte ? Il est possible de contacter Transparencia en toute confidentialité sur www.anticor.be/participer
– Le site d’information Apache.be et le magazine Knack, dans son édition du 3 octobre, publient, de leur côté, une enquête sur la transparence des grandes villes flamandes.
– Lire l’opinion par ailleurs.
Pas mieux en Flandre, au contraire
Le site d’information Apache et le magazine Knack se sont intéressés à la composition des cabinets des bourgmestres et échevins des grandes villes flamandes : Alost, Anvers, Bruges, Courtrai, Gand, Genk, Hasselt, Louvain, Malines, Ostende, Roulers, Saint-Nicolas, Turnhout. Visiblement, la transparence n’y a pas encore imprégné les moeurs politiques. Encore moins qu’en Wallonie et à Bruxelles. Et ce malgré les scandales qui ont aussi émaillé la législature (l’affaire Publipart, le Publifin flamand). Exemple : seules deux villes publient sur leur site web une liste (partielle) de leurs collaborateurs de cabinet. La Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) flamande a été saisie pour un grand nombre d’entre elles qui se sont révélées difficiles à persuader de fournir des listes complètes de collaborateurs. Le baromètre d’Apache et Knack est légèrement différent de celui du Vif/L’Express dans la palette de couleurs choisies. Mais il démontre un même manque de transparence en Flandre, voire plus prononcé encore que dans le sud du pays. A noter que la ville de Roulers, ayant déclaré ne pas avoir de collaborateurs de cabinet, n’est pas reprise dans le baromètre. »
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