Olivier Mouton
Gouvernement Michel: une crise politique? Plutôt une pièce de théâtre
Tombera, tombera pas ? Le risque d’une chute sur le Pacte de migration onusien est mince pour la Suédoise. Le bras de fer MR – N-VA est surtout une façon pour chacun de se profiler.
C’est la chronique d’une crisette annoncée. Qui prend soudain le risque, somme toute mineur, de dégénérer en une crise politique ouverte, susceptible de faire tomber le gouvernement Michel. Mais c’est aussi et surtout une pièce de théâtre dont les acteurs, connus, entrent en piste pour une énième pièce au cours de laquelle chacun peut se distinguer.
Depuis une dizaine de jours, la N-VA a soudain des états d’âme au sujet du Pacte global de l’Onu sur les migrations. Son secrétaire d’Etat, Theo Francken, fait à nouveau feu de tout bois, irrite ses partenaires et positionne le parti. Refrain connu : c’est le rebelle de la droite décomplexée qui est à l’oeuvre comme il le fait à intervalles fréquents depuis son arrivée. Rappelons tout de même que le Pacte en question est un texte non contraignant, une sorte de code de bonne conduite pour des migrations sereines, qui laisse toutefois la souveraineté aux Etats pour mener leur politique. Mais il contiendrait des éléments « problématiques » pour la Belgique. Bon… Le président Bart De Wever soutient son trublion, le vice-Premier Jan Jambon temporise. Comme d’habitude.
Pour la N-VA, il s’agit bel et bien de bomber le torse en Flandre alors que le Vlaams Belang a repris du poil de la bête en Flandre, lors des élections communales. Une façon de se profiler. Cela lui permet en outre de surfer sur une vague populiste qui s’affirme de jour en jour dans l’Italie de Salvini, la Hongrie de Orban, l’Autriche de Kurz… en attendant d’autres. Bref, il s’agit d’être dans l’air du temps, de surfer sur les peurs, de laisser l’image d’un parti qui ne laisse rien passer en la matière.
Pour le MR, cela tombe mal. Le parti du Premier ministre, Charles Michel, vient de subir un tassement qui le fait réfléchir aux élections du 14 novembre. Et il ne peut accepter de se faire passer une nouvelle fois pour le paillasson de la N-VA. D’autant que Theo Francken, comme à son habitude, en a rajouté des couches sur Twitter. Sa rébellion serait d’autant plus inacceptable qu’elle entache l’image de la Belgique : Charles Michel himself avait annoncé que notre pays signerait le Pacte à Marrakech, en décembre. En passant, le feu-follet Francken défie aussi l’autorité du Premier.
Donc ? Charles Michel veut montrer qui est le maître à bord, adresse un ultimatum à la N-VA et annonce que la Belgique signera ce Pacte quoiqu’il arrive. Autrement dit : une majorité alternative n’est pas exclue au parlement. Le gouvernement tomberait, alors ? Pas si sûr. Dans les rangs gouvernementaux, on rappelle à bon escient les règles du jeu. Pour tomber « proprement », le gouvernement devrait s’entendre sur une liste des articles de la Constitution à réviser, mais ce serait un trop beau cadeau à la N-VA et cela serait susceptible de donner lieu à de nouvelles élections au début 2019, alors que les Européennes ont lieu le 26 mai : improbable. Une autre formule permettrait au gouvernement de tomber sans révision de la Constitution : inacceptable pour la N-VA. Ou alors, le gouvernement Michel poursuite sa route durant quelques mois, minoritaire. Aucun des cas de figure n’est vraiment de nature à séduire la N-VA.
Il s’agit, murmure-t-on chez les bleus, de montrer « que la N-VA a davantage besoin du MR que l’inverse ». Le MR se distingue d’une ligne trop dure qui l’a peut-être fragilisé aux communales et prouve aux francophones qu’il tient les rênes de la coalition. Même si, soyons de bon compte, il n’est pas sûr que ce discours répété à quelques reprises soit audible en Wallonie et à Bruxelles.
Complétons le casting de cette pièce de théâtre en précisant que du côté flamand, le président du CD&V , Wouter Beke, cherche déjà à refiler le zwarte piet – traduisez la responsabilité de la crise politique… – à la N-VA, ce qui n’est jamais bon pour celui qui « tire la prise ». Le tout avec, en toile de fond, la décision prise par Bart De Wever d’éjecter le vice-Premier CD&V Kris Peeters des négociations pour la formation d’une majorité à Anvers (au profit du SP.A et de l’Open VLD). Enfin, sur les bancs de l’opposition, on se prépare déjà à faire une nouvelle de la Chambre une caisse de résonnance à ses critiques et à la dénonciation du double jeu de la N-VA. Refrain ultra-connu.
C’est donc à une étrange menace de crise à laquelle nous assistons au gouvernement fédéral. Elle exprime une forme de ras-le-bol non avoué de ces partenaires. Ce n’est pas anecdotique, on a déjà vu, c’est vrai, des gouvernements tomber dans notre pays pour moins que ça, dès lors que les tensions interpersonnelles et les guerres de positionnement atteignent des sommets. Le scrutin communal du 14 octobre laisse des traces, c’est une évidence, d’autant que les simulations arithmétiques montrent qu’une Suédoise 2 ne disposerait plus de la majorité nécessaire. Plus important encore : le contexte européen entre nationalistes et « universalistes » devient « le » combat du moment, comme l’ont rappelé en choeur Charles Michel et Emmanuel Macron à l’UCL.
De là à considérer que cette crise interne à la Suédoise soit davantage qu’une pièce de théâtre, il y a un pas que les acteurs ne sont pas encore prêts à franchir. Et à vrai dire, qui est vraiment dupe ?
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