Jean-Marc Rombeaux
Gouvernement : en route pour la roumaine ?
Longtemps, la Belgique politique oscilla entre coalitions bleu romaine et rouge romaine. Les sociaux-chrétiens gouvernaient tantôt avec les socialistes, tantôt avec les libéraux. Depuis 1999, elle est plus bigarrée et cosmopolite en apparence. Il fut question d’arc-en-ciel, de violette, de suédoise et kamikaze. Côté namurois, un olivier vu le jour à la Région et une jamaïcaine à la Ville.
Pour la FEB, « PS et N-VA doivent s’entendre« . « On n’a pas le temps pour une réforme de l’Etat« . « Le précédent Gouvernement a pris des mesures très sociales créant de l’emploi, du pouvoir d’achat et augmentant les pensions les plus basses. Le prochain sera de gauche, mais obligé de prendre des mesures de droite » [1].
Ce serait la majorité d’Anvers : N-VA, libéraux et socialistes. Des francophones y pensent ouvertement. Une bourguignonne? Objections votre honneur. II y a du blanc dans le drapeau de la Bourgogne. Est-ce ici pour les 1,4 million de votes non déposés, nuls ou blancs, majoritaires dans ce pays ? Le Bourguignon est réputé être bon vivant. La ligne prônée par la FEB ressemble-t-elle à un serrage de ceinture en règle. Les mots et le non verbal de la N-VA laissent quant à eux le sentiment d’une aigre sécheresse et d’une peine à vivre avec la différence qu’elle soit bruxelloise, étrangère, socialiste, musulmane, écologique, wallonne…
Il y a du choix pour un pays avec un drapeau bleu, jaune et rouge : Andorre, Colombie, Congo, Moldavie et Roumanie. Andorre est un ancien paradis fiscal et la Colombie exporte de la cocaïne à Anvers. On passe. Laissons nos amis congolais hors de nos luttes tribales. L’étendard moldave est frappé d’un aigle. Les pigeons belges sont nombreux, mais les aigles … Le drapeau roumain reprend les trois couleurs en égale proportion. De visionnaires journalistes français l’ont déjà attribué à notre pays [2]. Va pour la roumaine.
Feu le Gouvernement fédéral augmenta l’âge de la pension sans résoudre la question de la pénibilité. Il supprima le crédit temps à 55 ans. Comme le précédent exécutif, il durcit l’accès aux allocations de chômage. Il laissa le climat, la mobilité et l’énergie dans des impasses. Il saigna la Justice. Plus grave, il lègue un dérapage budgétaire de 11 milliards. Show me the money ! De Wever s’était gaussé du sérieux des budgets de la législation antérieure. L’impasse à venir est le passif de l’insoutenable légèreté de la politique kamikaze qui surestima les recettes et offrit des avantages fiscaux sans contrepartie structurelle pour les financer. Elle est loin la rigueur d’un Herman Van Rompuy. Pour tout cela, le Fédéral n’a pas été très social.
Le Belang a gagné avec ses fondamentaux anti-étrangers enrobés de promesses sociales. Une analyse de la VRT [3] montre qu’il perce dans des entités rurales sans migrant et que son score n’est pas influencé par la présence d’une structure d’accueil pour réfugiés. Par contre, ses résultats augmentent avec la pauvreté de la commune. C’est aussi un échec sociétal de la kamikaze.
La charte de Quaregnon, socle du socialisme, prône la transformation du capitalisme et le PS a accepté par raison la monarchie. La N-VA est une alliance libérale conservatrice et l’article un de ses statuts prévoit une république de Flandre indépendante.
Le PS désire le retour de la pension à 65 ans ? La N-VA veut encore allonger l’âge de travail légal. La N-VA et l’Open-Vld entendent limiter les allocations de chômage dans le temps ? Les partis francophones s’y opposent. La N-VA et le Belang aspirent à poursuivre le nucléaire ? Les francophones et les autres partis flamands prônent d’en sortir. La N-VA et le Belang sont contre le pacte migratoire ? Les francophones et les autres partis flamands pour. La NVA souhaite cogérer Bruxelles ? Tous les Bruxellois le refusent,… Que feraient les élus bruxellois et wallons dans cette galère roumaine ? Préparer le morcèlement du pays via le confédéralisme ? Ce n’est ni leur mandat, ni l’option de la FEB d’ailleurs.
L’économiste Bruno Colmant suggère de laisser filer la dette [4]. Dans un pays qui fut plombé par l’effet boule de neige [5], cela surprend. Vu les faibles taux d’intérêt et les besoins d’investissement public, cette option peut se discuter. En revanche, elle signifie que les générations futures devront non seulement subir les dommages de l’incurie climatique, vieillir avec des pensions plus basses, mais aussi payer la dette accrue de leurs prédécesseurs. Que du bonheur. Gare à la fracture générationnelle.
La N-VA a perdu au profit du Belang [6], le PS a reculé à l’avantage du PTB. Il est à un étiage historiquement modéré. Le sociologue Brice Teinturier a écrit sur la double désillusion Sarkozy et Hollande [7]. Ils avaient de flamboyants et galvanisants slogans. « Ensemble, tout devient possible » pour l’un. « Le changement, c’est maintenant » pour l’autre. Leur action et leur exemplarité furent très en deçà de leurs annonces. Cela laissa aux Français un sentiment de reniement permanent. Sarkozy comme Hollande finirent rejetés. Les vestiges de leur formation respective végètent aujourd’hui tandis que prospèrent le Rassemblement national et le dégagisme.
En Allemagne, la grande coalition unit les sociaux-démocrates du SPD à Merkel. Défendue par la Présidente socialiste, elle fit l’objet d’une fronde de jeunes militants. Aux européennes, pour le SPD, ce fut une grosse débandade et sa présidente a été acculée à la démission. A Anvers, le Sp.a fut matraqué par la N-VA aux communales, mais a convolé avec elle. Il a dégringolé le 26 mai : nombre de ses électeurs sont partis au PVDA ou chez Groen.
La suédoise fut d’abord nommée kamikaze. Elle virevolta quatre années et échoua à atterrir sur le climat, la mobilité et la sortie du nucléaire. Elle s’écrasa sur le pacte migratoire. Tant pour le PS que la N-VA, la roumaine pourrait conduire au prochain scrutin à une nouvelle hémorragie, voire à une saignée. Elle pourrait finir en une sorte d’hara-kiri collectif.
Catch 22 est un roman et un film. C’est aussi une situation sans issue en raison des contradictions des règles de départ. La roumaine, introuvable coalition des contraires, y fait plus que penser. Pour les Bruxellois et les Wallons, c’est un piège.
[1] Le Soir 8.6.2019
[2] La Libre 5.4.2017
[3] Vlaams Belang scoort het best in gemeenten met weinig migranten 7.6.2019
[4] L’Echo 10.6.2019
[5] Hausse exponentielle de la dette quand les taux d’intérêt excèdent le taux de croissance
[6] HLN 4.6.2019
[7] Plus rien à faire, plus rien à foutre. La vraie crise de la démocratie
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