Georges-Louis Bouchez, le cannibale
C’est peu dire : Georges-Louis Bouchez, conseiller communal MR à Mons, clive. Son bilan ? Sur le terrain : proche de zéro. Electoralement : peut mieux faire. Médiatiquement : phénoménal. Cet adversaire acharné du PS n’a pas peur de déplaire. Du moment qu’on parle de lui…
Sur le tableau, le professeur trace à la craie une ligne du temps. » Là, vous avez Jésus-Christ. Là, Bonaparte. Là, de Gaulle. Et ici, Georges-Louis Bouchez. » Enfant, GLB savait déjà qu’il serait ou champion de Formule 1, ou Premier ministre. Aujourd’hui, à 31 ans, l’ébouriffé conseiller communal libéral montois a fait une croix sur la F1. Pas sur le reste. Dopé à la politique, dans laquelle il est entré comme dans les ordres, à 20 ans, il trépigne, pressé de bousculer ce milieu. Tout l’y énerve : les arrangements pré-électoraux, l’unanimité, l’occupation du pouvoir, le clivage gauche-droite, et le PS. » Ce sentiment ne fait que croître, relève son amie Aurore De Geest. Il a certes l’esprit de contradiction mais s’il n’aime pas rester dans le cadre, c’est qu’il est profondément dégoûté par certaines pratiques en politique. »
Cet avocat, qui a renoncé à une unique carrière en robe, sûr qu’il ne pourrait, ainsi, changer le monde, ne manque pas d’atouts. Il le sait, hélas : il est intelligent. » Plutôt tactiquement habile « , corrige le parlementaire Ecolo Stéphane Hazée. Très bon orateur, hyperkinétique du ciboulot et adepte du contre-pied systématique. » Il n’y en a pas beaucoup comme lui dans sa génération « , relève Pierre-Yves Jeholet, chef de groupe MR au parlement de Wallonie. » Il dynamise le débat « , enchaîne son équivalent au fédéral, Denis Ducarme. » Il casse les codes : c’est une chance pour nous « , ajoute le député wallon MR Jean-Luc Crucke.
Ses parents n’étaient engagés ni en politique ni dans le milieu associatif. Mais ils s’informent beaucoup. A la tête d’un petit commerce d’électroménager, ils se préoccupent surtout de boucler le mois sans que leur unique rejeton ne remarque leurs efforts. Chez eux, pas de vacances : la moindre pièce de 20 francs a son importance. Georges-Louis garde, comme une brûlure à vif, le souvenir de ce syndicaliste imposant à sa mère de fermer boutique, un jour de grève générale. A la télé, le trio regarde l’émission 7 sur 7 et le gamin n’a d’yeux que pour Anne Sinclair. Souvent seul dans sa chambre, tapissée de posters de pilotes, ou entouré d’adultes, il comprend vite qu’il faut bosser à l’école pour augmenter ses chances de réussir sa vie. Il s’impose une discipline de fer : pas de goûter tant que les devoirs ne sont pas terminés. Il est, bien sûr, premier de classe. Et, bien sûr, les autres le lui font payer. » Enfant, il a cherché la reconnaissance des autres et je ne suis pas sûr qu’il l’ait trouvée « , raconte son ami David Leisterh, président du CPAS de Watermael-Boitsfort. Dès lors, Georges-Louis, prénoms de ses deux grands-pères, n’a de cesse de prouver qu’il est capable. » J’ai toujours pensé que je devais travailler deux fois plus que les autres pour être reconnu puisque je n’étais pas aimé naturellement. J’étais trop différent. Ça s’est arrangé depuis. »
Le caractère est resté. Blindé. Ne jamais se plaindre, ne jamais se résigner et ne jamais faire pitié, selon le mot d’ordre maternel. En 2012, il est tête de liste aux communales, à Mons. Pour financer sa campagne, il renonce à installer une cuisine chez lui. Un choix payant : il est nommé échevin du budget, fort de ses 2 550 voix, un score historique pour le MR dans la ville d’ Elio Di Rupo.
Georges-Louis Bouchez ne craint pas l’homme papillonné. Il rêve de le faire plier. Rien ne lui fait peur, » puisque la volonté peut tout « . » Il dirait son fait au pape s’il le fallait « , sourit le député MR Jean-Jacques Flahaux. Comme il l’a dit à Louis Michel, qui tentait de le convaincre de ne pas se présenter à la présidence de l’arrondissement de Mons-Borinage contre Jacqueline Galant, en décembre 2016. » C’est positif qu’il ose m’affronter sur un dossier de fond, assure Michel père. Il a été jusqu’au bout et a montré, avec cette élection, qu’il pesait près de 40 % des voix. Il a construit le rapport de force. »
Nous y voilà. GLB ne conçoit la politique que sous cet angle : le rapport de force. » Ce qui n’exclut pas, dit-il, la tactique et l’élégance. » On n’y est pas encore. Ce grand amateur de sport jure ne jamais se livrer à des attaques personnelles. Tous disent le contraire, y compris au MR. » Il devrait perdre cette tendance, suggère le libéral montois Richard Miller : il n’en a pas besoin. » » Au conseil communal, il a une attitude constamment à charge et frontale, observe une socialiste. Il ne prend pas la hauteur qui sied à un personnage politique de premier plan. » » Ses attaques relèvent de la calomnie « , assure un autre élu.
Gifles et jalousies
Georges-Louis Bouchez a déjà pris des claques. Député wallon lorsque Jacqueline Galant monte au gouvernement fédéral, en octobre 2014, il doit quitter le poste, dont il se délectait, lorsque la ministre démissionne, un an et demi plus tard. » Le grand patron me fait payer la facture « , lâche-t-il en montrant les cieux. Trois jours plus tard, la majorité (absolue) socialiste montoise le vire du collège communal pour rupture de confiance et manque de loyauté. GLB l’apprend via un tweet qui apparaît sur sa tablette pendant qu’il plaide. » Au départ, il était souriant, pertinent sur le fond et impertinent sur la forme, rapporte un socialiste montois. Puis, entre son comportement collaborant en interne et ce qu’il disait au dehors, le fossé s’est creusé. » Le coup est rude. » Ne t’inquiète pas : ma carrière politique vient de décoller « , écrit-il pourtant par texto à un ami. C’est l’une de ses armes : voir très vite, et en tout, le positif.
Comme une brûlure à vif, le souvenir de ce syndicaliste imposant à sa mère de fermer boutique, un jour de grève générale
Redevenu conseiller communal de l’opposition, GLB ne cesse de canonner la majorité. » Il critique même des projets auxquels il a donné son aval lorsqu’il était échevin « , s’énerve une socialiste. Sa visibilité bondit. Et il a les mains libres, à quelques encablures du prochain scrutin communal. » L’avoir éjecté est une terrible erreur, analyse Jean-Luc Crucke : le PS n’a pas compris que jamais on ne le ferait taire. » Ainsi crée-t-on un phénomène.
Soucieux de ne pas perdre ce jeune plein de » valeur ajoutée « , comme le qualifie Denis Ducarme, le MR le nomme délégué général du centre d’études Jean Gol, un poste créé pour lui. Didier Reynders, au cabinet duquel GLB a travaillé, et le Premier ministre, Charles Michel, y ont veillé : eux aussi ont eu affaire à Elio Di Rupo… Le trentenaire est chargé de la prospective et de l’animation des débats. » C’est une façon de le tenir à l’oeil, mais ce n’est pas toujours réussi « , soupire un député. » On ne peut se permettre de le perdre ; il faut patienter, le temps qu’il apprenne à arrondir les angles. Mais sa colonne vertébrale est exceptionnelle « , assure le Wallon Olivier Destrebecq. Cette nomination passe mal dans les rangs libéraux, où GLB suscite jalousie et inimitié. » Il va devoir prendre la mesure du caractère dérangeant de sa pétillance « , laisse tomber Louis Michel. C’est fait. Et avec joie : le nouveau délégué général peut dire ce qu’il veut sans être le porte-parole du MR. Et, en conseil de parti, le lundi matin, il prend la parole à tout propos, insensible aux sourires goguenards. » Georges-Louis doit intégrer qu’il est dans un collectif, soupire un ténor libéral. Mais s’il intègre trop le collectif, il perd son originalité. » Cela explique-t-il qu’il soit intouchable en interne ? Très critique sur le système des partis – comme Emmanuel Macron, il ne se dit ni de droite, ni de gauche -, cet ancien admirateur de Nicolas Sarkozy ne refuse pas pour autant le salaire que son parti lui garantit chaque mois…
Des voix s’élèvent pour que la direction le recadre, le sanctionne même pour ses sorties. » Moi président, je l’aurais déjà renvoyé « , assène un député MR. » Ce costume de trublion a un caractère un peu fictionnel, rectifie l’Ecolo Stéphane Hazée. Il a une logique d’électron libre, mais au moment du vote, il s’aligne. Sa stratégie arrange tout le monde, en fait. »
Vite et seul
GLB, lui, jubile : les débats, il adore. Au niveau fédéral, il lance une idée après l’autre, nouvelles ou qui font pschiiit : la suppression de l’obligation de vote, l’allocation universelle, le cannabis social club, la fin des provinces. Le MR est contre ? » Dire la même chose que les autres est sans intérêt « , riposte-t-il. Bélier, il est persuadé qu’avec le temps, les lignes bougeront. Les attaques professionnelles ne le blessent pas. » La fonction et les titres ne m’intéressent pas. Seul l’objectif compte. » Il ne compte pas consacrer toute sa vie à la politique. Il veut donc avancer vite, quitte à avancer seul. En faisant le plus de bruit possible. Petit vélo, grande sonnette ? » Disons qu’il y a une disproportion entre le tapage qu’il fait et l’originalité de sa pensée « , résume le constitutionnaliste Marc Uyttendaele, très proche du PS, qui l’a eu comme étudiant en droit à l’ULB.
GLB s’active de fait à occuper l’antenne, les pages des journaux et les réseaux sociaux. Il passe chaque jour une à deux heures à contacter les rédactions. Son bras de fer avec le président du PS le sert. Ailleurs qu’à Mons, il n’aurait pas le même succès. » Je ne suis pas fils de…, moi, réplique-t-il pour justifier son activisme médiatique. Votre valeur en politique, c’est celle de la presse du jour. Et le lendemain, tout est à refaire. » GLB carbure au panache ou à ce qu’il définit comme tel. Comme Belmondo ou le général Patton, qu’il admire. Chaque matin, il envoie donc son tableau de chasse médiatique par sms à quelques proches. » Vendredi 16 juin, Le Vif/L’Express, page 42, belle journée. »
Sa ligne idéologique reste floue. » Il réfléchit avec l’âge qu’il a, paterne un député MR. Il est un peu antisystème, mais ça, c’est très facile. Taper sur les politiques pour attirer les antipolitiques, ce n’est pas le plus indiqué. » » Il n’a pas de stratégie politique, embraie un autre libéral. Il ne bâtit rien de durable. » Certains laissent entendre qu’il est en train de se construire une vision. D’autres ne voient rien venir. » Il parle tout le temps, sans cap, sauf celui de faire parler de lui. Tout fait farine à son moulin « , assure Stéphane Hazée. Au conseil communal de Mons, pareil : il attaque ou judiciarise. » Toutes ses propositions ont pour but de tuer Di Rupo, avance un élu écologiste. Le conseil ressemble à un ring de boxe où il fait délibérément traîner les débats jusqu’à une heure du matin. » » Il devrait plutôt arriver avec un projet de ville s’il veut grandir « , sermonne un libéral.
Connu mais pas populaire
De ces reproches, Georges-Louis Bouchez s’en moque. » L’image que l’on me renvoie ne correspond pas à la perception que j’ai de moi. Un personnage, c’est 10 % d’un individu. » Il est sûr d’avoir raison, parfois jusqu’à l’arrogance. » Il doit apprendre l’humilité, reconnaît un député libéral. La jeunesse n’excuse pas tout. Je crois qu’il écoute davantage, ces derniers temps, même s’il doit le faire plus. » Il lui arrive à présent de se taire. Mais il ne fait pas de l’intelligence émotionnelle son principal terrain de jeu. » Il peut être blessant sans s’en rendre compte, relève Lionel Bonjean, conseiller communal MR à Mons. Il est comme Reynders : avec lui, on ne sait pas si c’est une blague ou si c’est méchant. » Sauf avec le PS, où la question ne se pose pas. » Il surestime l’épaisseur de la carapace des autres, abonde son ami David Leisterh. Quand on lui explique qu’il a été trop loin, il s’excuse aussitôt. » Sa mère, dont il est très proche, en sait quelque chose…
L’attention à l’autre demande du temps. Et Bouchez en a peu, tant il s’en consacre à lui-même. » Il ramène tout à sa petite personne, jamais à un projet « , regrette un député humaniste. » L’ego mange tout le reste « , crucifie un socialiste. Au MR, on peine à dire de qui il est vraiment proche. Lui aussi. Sur le terrain, il est souvent seul, également : connu mais pas populaire. » Il passe cinq minutes aux vernissages puis critique toute l’organisation, raconte une socialiste. Il y a un malaise quand il dé- barque. » L’électeur jugera, dès 2018. » On se sentirait mieux s’il se trouvait dans une autre section « , soupire un libéral montois qui redoute qu’aucun parti ne veuille d’une alliance à cause de lui. Hors politique, pourtant, on en dit du bien. Ses intimes sont rares mais fidèles. » Il est profondément gentil quand il sort de sa bulle politique et ne fait pas de show « , assure David Leisterh. Il est sensible, drôle, déteste le conflit et a bon caractère. » Je n’exclus pas que ce soit un doux « , embraie un Vert.
Mais GLB ne veut pas l’ébruiter : il faut garder le contrôle. Il ne boit donc que du Coca. Exceptionnellement du Schweppes, le 1er janvier. Sur son bras droit, il a trois tatouages, qui grimpent jusqu’à l’épaule. Un Apache, » la tribu la plus guerrière » ; un Bip-Bip, le Grand Géocoucou, » symbole de rapidité » ; et un samouraï, » rappel du sens de l’honneur et de la parole donnée « . N’y manque qu’une étoile. Car cet adepte de la messe de minuit ne peut croire que le ciel soit vide.
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