Carte blanche
« Gardons-nous d’humaniser l’Animal, il en va de son bien-être et surtout du nôtre! »
Le politique ne cesse de nous rebattre les oreilles avec le « bien-être » animal alors même que des milliers et milliers d’humains endurent des « mal-être » des plus terribles : exclusion sociale, sans-abris, dépression, racisme ou migration. Le « bien-être » animal ne serait-il dès lors pas un souci d’êtres privilégiés et insensibles aux détresses humaines ?
Deux remarques pour commencer. Premièrement, à un niveau régional, fédéral, européen ou mondial, à choisir entre le « bien-être » d’un humain et le « bien-être » d’un animal, mon choix tend vers le premier. Or, à quoi assistons-nous, aujourd’hui, au niveau politique ? Au choix inverse ! Le politique ne cesse en effet pas de nous rebattre les oreilles avec le « bien-être » animal alors même que des milliers et milliers d’humains endurent des « mal-êtres » des plus terribles : exclusion sociale, sans-abris, dépression, racisme ou migration. Le « bien-être » animal ne serait-il dès lors pas un souci d’êtres privilégiés et insensibles aux détresses humaines ? C’est à croire.
Deuxièmement, à un niveau privé, que le lecteur sache que j’aime à voir des animaux vivants, tels que moutons, ânes ou chevaux, gambader, paître ou roupiller paisiblement dans la campagne. Par leur grâce, je perçois ainsi la folle et infernale agitation qui me gouverne et me sépare, à jamais, moi, un homme, de l’oisiveté – apparemment – sereine et heureuse du monde animal. Mais j’aime aussi à en savourer certains à table : agneau, poulet ou poisson. Mais même si je m’en délecte, je mésestime néanmoins l’ensemble des humains qui jouissent de maltraiter, brutaliser les animaux ou qui les considèrent comme de simples pièces vouées à la consommation de masse. Je suis ainsi favorable à poursuivre ces humains devant les tribunaux compétents. Mais de là à humaniser les animaux en leur prêtant, par exemple, une « sensibilité » et une « conscience », il y a un pas que jamais je ne franchirais.
La « d’hommestication » montre déjà, à suffisance, à quel point l’Homme a en effet aliéné des chats et chiens ou des bêtes sauvages, à « la liberté libre »,au point de les avoir rendus entièrement serfs et débiles. Et s’évertuer à conférer aux animaux des caractéristiques subjectives intrinsèques à l’Homme est pire : c’est en effet élever et défendre cet axiome inique : Si l’Animal jouit d’une « sensibilité » et d’une « conscience » tout comme l’Homme, alors l’Homme est un simple animal qui s’ignore. Le fait de brouiller ou de saper ainsi la frontière qui sépare l’Homme de l’Animal n’est pas sans entraîner des conséquences désastreuses telles que l’actuelle et glaciale insensibilité politique à l’égard de la souffrance humaine ou toutes ces exécrables entreprises, émanant de radicaux de la cause animale, de stigmatiser et de vouer à la vindicte populaire, par exemple, des humains dont le supposé crime serait celui d’honorer leur religion par le sacrifice, sans étourdissement, d’un mouton 1 ou encore de manger de la viande halal ou, pour les juifs, casher. Aux yeux de ces radicaux, la défense des animaux compterait donc beaucoup plus que la défense de ces humains (supposés féroces et sanguinaires !) et de leurs pratiques ou traditions religieuses (supposées barbares !). Ils humanisent et défendent ainsi, dans l’indifférence générale, des animaux tout en méprisant, criminalisant et animalisant des humains !… C’est odieux !.. Mais ce qui l’est plus, odieux, c’est que ces radicaux réussissent à être réellement entendus, outre par l’Opinion, par le Pouvoir au point que ce dernier entérine leur ignominieuse et crasse conception du monde !… Mais n’anticipons pas.
Dans le Code wallon du bien-être animal, le 3 octobre 2018, l’Animal a été reconnu, à l’instar de l’Homme, comme un « être sensible » et doué d’une « conscience »2. Selon ce Code, la « conscience » animale serait donc réellement « sensible » non pas à la question de l’environnement ou de l’exclusion, mais, à lire ce Code, « sensible » qu’à la seule souffrance. La supposée sensibilité animale est donc très fortement écornée : elle ne serait que victimaire. Si donc vous maltraitez, par exemple, un cheval, ce cheval est désormais reconnu comme un être affecté par votre maltraitance. Ne pouvant pas de lui-même fuir, trouver refuge ailleurs ou se plaindre au bureau de police le plus proche – les agents de police n’ayant malheureusement pas, à ce jour, reçu des cours rapides de Hennissement (langue qui ne sera reconnue, tout comme le Bêlement et le Croassement, qu’en 2060!) -, des « sanctionnateurs » (régionaux ou d’ASBL mandatées), après avoir interrogé ou plutôt inspecté la victime, pourront donc vous retirer, illico presto, votre cheval.
Relevons cette contradiction : ce sont donc non pas des animaux, mais ces seuls sanctionnateurs, c’est-à-dire des humains, qui sont préposés au statut de relever la conscience et la sensibilité de l’Animal à la maltraitance. Dépourvu de l’usage de la Parole, l’Animal ne peut en effet pas révéler sa supposée sensibilité et conscience à la souffrance en se plaignant, par exemple, de la férocité de son maître ou désigner, aux sanctionnateurs, les endroits de son corps où il a été brutalisé et où il souffre. Nous voyons ainsi que « la sensibilité » et « la conscience », qualités fondamentalement humaines, sont projetées sur l’Animal. Au lieu donc de simplement admettre qu’il est humainement intolérable de brutaliser un animal, les radicaux de la cause animale nous invitent plutôt à ce drôle de renversement : Il est animalement intolérable qu’un humain brutalise un animal. En d’autres mots, ces radicaux ne voient pas à quel point leur compassion, par exemple, à l’égard de la souffrance animale s’énonce non pas du lieu de l’Animal (dont ils ne savent rien, quoi qu’ils disent), mais de l’Homme lui-même et des diverses qualités (subjectives) qui le traversent. Leur fenêtre ouverte sur le monde animal est le produit de la Culture même dans laquelle nos radicaux baignent. Sans cette fenêtre – qu’ils s’évertuent donc à démolir ! –, ils n’auraient assurément point de compassion ou de pitié à l’égard des animaux : à l’instar de ces derniers, ils deviendraient muets.
D’où la question qui nous importe ici : « Être sensible » et doué d’une « conscience », l’Animal l’est-Il donc tout comme l’Homme ?
Tout d’abord, la « sensibilité » est sous condition de l’existence d’une « âme » ou, pour être moderne, d’un « sujet » ou d’un « je ». Dit autrement, « être sensible » implique, a minima, le nouage d’une sensation et d’un je. Et puisqu’un je est – jusqu’à nouvel ordre ! – un être parlant, alors tout être sensible parle. Sans le pouvoir de la Parole, il nous est en effet impossible de savoir de quoi tel être, par exemple, souffrirait. Or – jusqu’à nouvel ordre ! – l’animal ne parle pas. Muet ou étant dans l’impossibilité de nous communiquer quoi que ce soit, tout ce que l’humain prête comme qualités à l’Animal n’est donc qu’un pur fantasme (anthropocentrique).
Par ailleurs, contrairement à l’Animal dont le comportement est gouverné par les seuls instincts, c’est-à-dire par des « impulsion[s] innée[s], automatique[s] et invariable[s] », et qui se satisfait, dès lors, du « cru » ou de ce que la Nature lui offre : de l’herbe ou de la viande pour se nourrir; de l’eau pour étancher sa soif; un trou pour se protéger et un(e) partenaire pour copuler, etc.; l’être de l’Homme, animé par les pulsions 3, exige, lui, le « cuit » ou le goût : des spaghettis ou des frites pour se nourrir; de la limonade pour calmer sa soif; une maison ou une villa pour habiter et se protéger du regard des autres… . Alors que l’Animal se contente donc de ce que la Nature est et lui offre, l’Homme, lui, dénature cette Nature en y introduisant des produits (culturels) qui n’y étaient nullement. Qu’on le veuille ou non, l’Animal avec ses instincts ne « sent » ainsi rien. Ne sent que l’Homme qui a été arraché à ces instincts par la Culture et qui, par cet arrachage même, est entré dans la profondeur du goût et des divers « sens » qui accompagne ce dernier.
« Être sensible » sous-entend, de plus, que l’être a conféré, via la Culture, des « valeurs » à son existence. Si un animal souffre, par exemple, d’être « maltraité » par son maître ou éleveur, c’est qu’il dispose de cette présente « idée » du bonheur : l’absence de maltraitance. « La passion triste » (maltraitance) ou « la passion joyeuse » (absence de maltraitance), passions très chères à Spinoza, l’Animal les éprouverait donc. Or, ajoute Spinoza, il n’y a de passion triste ou joyeuse que dans un corps qui, animé par « le conatus » (ou le désir), « persévère dans son être« . Or, l’Animal persévère-t-il ou non dans son être ?
Dans la tristesse, la capacité d’agir est diminuée, nous dit encore Spinoza, alors que dans la joie, elle est augmentée. Si l’Animal avait la capacité d’être « triste » – c’est-à-dire d’être « sensible » à la souffrance – , il ne pourrait l’être, « triste », qu’en tant que sa capacité d’agir serait donc diminuée. Mais quelle est cette capacité d’agir de l’Animal ? Dit autrement : lorsqu’il n’est pas maltraité, que fait l’Animal ? Rien ! Il suit, tout bonnement, ses penchants instinctuels. Et lorsqu’il est maltraité, comment réagit-il ? Tout bonnement, par des cris ou hurlements qui nous révèlent qu’on porte atteinte à son intégrité physique ou instinct d’auto-conservation. L’Animal n’est donc ni « triste » ni « joyeux » (« passions » éminemment humaines). Il ne peut, en d’autres termes, pas évaluer son état ou sa situation actuelle en fonction, par exemple, d’un « projet existentiel » qu’il aurait adopté (« Sauvons les animaux !« ) et vis-à-vis duquel il se sentirait en défaut (soit « triste ») ou en concordance (soit « joyeux »).
Enfin, si L’Animal l’était, un « être sensible » et « conscient » donc, il ne brillerait nullement par les rapports, plutôt paisibles et harmonieux, que nous le voyons entretenir avec ses congénères.
Bref, on l’a compris, entre l’Homme et l’Animal, il y a réel abîme que seuls de fameux et fanatiques gaia-llards ne veulent point voir.
C’est que les radicaux de la cause animale, en sus d’invoquer des découvertes scientistes – pareilles à celles qui pensent qu’existeraient un gène de « l’homosexualité » ou de « la criminalité » ! – , vous trouverons en effet toujours un exemple où ils vous diront avoir vu, de leurs yeux vu, un animal faire « comme » l’Homme. Prenons leur exemple principal, voire unique. Les animaux, comme les hommes, vous diront-ils donc, souffriraient d’être battus, maltraités ou tués. Voici donc quelques pensées où est susceptible de suinter la sensibilité et conscience animales à la souffrance : « Mon maître me bat, donc il ne m’aime pas : il me hait !« ; « Il m’a donné un coup de pied au c.. ce matin car j’ai été infernal à l’étable« ; « Il m’amène à l’abattoir pour m’égorger ! Je vais donc mourir!« ; « Diable! On approche de Noël !… Nous les dindes, l’Homme va donc nous occire afin de nous farcir !« ; « Il a fallu du temps à l’Homme pour enfin comprendre que notre égorgement se devait d’être précédé par notre étourdissement. C’est plus humain, oups !, plus animal, voulais-je dire !« ; « Au fait existe-t-il une vie après notre mort ?« ; etc. . De telles pensées peut-on, réellement, sérieusement, les prêter aux animaux sans tomber dans le ridicule ?… Non !… Il n’y a assurément de sensibilité ou de conscience à la souffrance que pour cet être qui se sait fondamentalement mortel : l’Homme. (Ce n’est pas pour rien, en ce sens, que ce qui a toujours distingué réellement l’Homme de l’Animal, est le rite funéraire ou l’inhumation des morts.)
Concluons. Ce que les représentants des animaux font n’est en réalité que ce que la psychanalyse dénomme le mécanisme de projection : à l’instar du jaloux qui projette sur sa partenaire son propre désir d’infidélité, ces représentants projettent sur ces animaux leurs propres pensées humaines liées à la souffrance – jusqu’à nouvel ordre, aucun animal n’a par ailleurs accrédité les propos tenus à son sujet par ces dits représentants. En ce sens, et en ce sens seulement, ce sont moins les animaux qui souffrent que ces dits représentants. Et en s’identifiant ainsi aux animaux, ils s’évertuent à nous délivrer cette haute leçon philosophique : l’Homme est un Mal ou un Bourreau. Derrière leurs diverses entreprises, leur Projet politique sordide de passer ainsi du « cuit » au « cru« , c’est-à-dire de la Culture à la Nature est clair – sauf pour les sourds et aveugles.
Toute humanisation de l’Animal se paye assurément d’une exécrable animalisation de l’Homme. Et à voir l’actuelle indifférence politique réservée à la souffrance humaine, force est de constater que cette animalisation de l’Homme a été atteinte. Au point, par exemple, que le Plan quinquennal de la Région de Bruxelles-Capitale (2014-2019) ne comporte (sur plus de 80 pages) qu’une seule fois le mot « souffrance ». Mais de quelle souffrance nos politiques régionaux se soucieraient-ils donc (ou se sont-ils souciés) ? De la seule souffrance « animale » !… Et oui !… L’Homme, pour eux – il suffit pour s’en convaincre de regarder les actuels « Gilets jaunes » qui ne cessent en effet pas de témoigner de leur réel bon-heurt ! -, ne souffrirait donc plus !…
Par David VANHOOLANDT, philosophe.
1. Lorsque GAIA exhibe, en pleine fête de l’Aïd el Kebir (fête du sacrifice) des musulmans, de géants panneaux publicitaires avec l’image (falsifiée) d’un mouton avec une larme de sang accompagnée du slogan : « ça suffit. », elle ne prône pas du tout « l’étourdissement » du mouton avant son égorgement, elle trahit plutôt cette pensée abjecte qui l’anime : Les musulmans sont des bourreaux !
2. En Région de Bruxelles-Capitale, l’animal a été reconnu comme être vivant « sensible », pourvu « d’intérêts propres » et d’une « dignité ». Dans le Projet d’ordonnance du 13 novembre 2018, il nous est même loisible de relever ce lapsus : « Par cette protection spécifique, on stipule que les animaux, de par le fait qu’ils sont des êtres humains vivants [sic] et sensibles, bénéficient d’un degré de protection élevé au sein de notre société et dans notre système juridique. » (Je souligne.)
3. La pulsion chez l’Homme est un instinct fondamentalement « détraqué » par la Culture. Contrairement à l’instinct, la pulsion, nous dit la psychanalyse, gravite autour de l’Objet perdu. On ne le voit que trop bien dans l’actuelle société de consommation où les consommateurs ne cessent pas de passer d’un objet à un autre ou plutôt d’une frustration à une autre. Bien que l’Objet perdu commande donc cette consommation effrénée, il n’est donc jamais retrouvé. D’où les éternelles insatisfactions (des consommateurs) et répétitions (consuméristes).
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici