Alain Destexhe
« Fusionnons les zones de police à Bruxelles ! »
Les récentes émeutes de Bruxelles relancent le débat sur la fusion des zones de police dans la capitale. La Flandre, unanime, est vent debout pour réclamer cette réforme tandis que le monde politique francophone freine des quatre fers.
Dans le cas concret des incidents qui ont suivi le match Côte d’Ivoire – Maroc, la polémique se concentre sur l’appel à des policiers d’Anvers alors que ceux de la zone « midi », contiguë à celle de « Bruxelles Capitale » et située à quelques centaines de mètres des lieux de pillages, ne sont pas intervenus.
Il semble évident qu’en des circonstances semblables, toutes les forces de police doivent être placées sous un commandement unique et l’efficacité de la réaction policière ne pas dépendre d’une bonne coordination entre zones de police. Et le discours, devenu rituel, sur le « manque de policiers ou sur « les responsabilités du fédéral » n’est pas crédible tant que n’est pas réalisée une évaluation objective de la situation actuelle ainsi que des comparaisons internationales.
Aucune autre ville au monde ne fonctionne ainsi
Et c’est là où le bât blesse : aucune ville au monde ne fonctionne ainsi avec des zones autonomes. De bien plus grandes entités urbaines comme Londres, Paris ou New York ne comptent qu’une seule police. Pourquoi en faudrait-il six à Bruxelles, sans parler de la police du métro, de celle des chemins de fer et du rôle de la police fédérale ?
Une fusion permettrait d’énormes économies d’échelle et une plus grande efficacité. Six zones de police, cela signifie 6 chefs de zone, 6 États-majors, 6 dispatching, 6 porte-paroles, 6 sites Internet mais aussi 6 marchés publics pour acheter des crayons ou des voitures, sans compter des heures de réunions de coordination perdues inutilement. Etonnez-vous dès lors de l’inexistence de chiffres sur la criminalité au niveau régional, alors qu’en deux ou trois clics, chacun peut trouver les statistiques détaillées, en temps quasi réel, de New York ou de Londres, par type de crimes et par quartier, ainsi qu’une comparaison par semaine, mois ou année.
Fusionnons les zones de police à Bruxelles
Pour lutter efficacement contre des phénomènes criminels spécifiques à l’échelle de la Région, il faut aussi des policiers et des services spécialisés. Qui peut croire que chaque zone a les moyens de lutter contre les trafics d’armes, de drogue ou d’êtres humains, contre la cybercriminalité, le radicalisme ou le terrorisme ? En réalité, des bandes urbaines aux cambrioleurs, l’organisation actuelle facilite l’action des criminels qui se moquent de nos subtilités administratives. D’énormes moyens pourraient être libérés pour la sécurité sur le terrain si les ressources étaient correctement affectées. Et cela permettrait également d’investir et d’acquérir des techniques modernes comme COMPSTAT qui, combinant informatique et statistiques, a fait radicalement baisser la criminalité à New York et dans d’autres villes.
C’est précisément parce que la police de proximité n’a plus grand chose à voir avec l’Agent 15 de Quick et Flupke, mais est devenue une vraie spécialité que, contrairement à ce qu’affirment les partisans du statu quo, une police unique permettrait aussi une police de proximité renforcée, en lien en amont avec les services luttant contre les phénomènes criminels.
Il a fallu le choc de l’affaire Dutroux pour passer de 19 à 6 zones de police !
En 1996, jeune sénateur visitant le quartier général de la police de la Ville de Bruxelles, quelle ne fut pas ma surprise de constater qu’il n’y avait aucun fichier commun aux 19 polices communales ! Rappelons qu’il a fallu le choc de l’affaire Dutroux et la mise en évidence des déficiences de l’enquête sur les filles disparues pour que les députés-bourgmestres acceptent d’en finir avec « leur » police communale et que, à Bruxelles, on passe de 19 à 6 zones de police : un progrès incontestable.
Aujourd’hui, il faut aller plus loin et créer une seule zone de police sous l’autorité de la conférence des bourgmestres afin de garder un lien fort avec les autorités communales. Les positions évoluent lentement. Le MR veut désormais encourager cette fusion mais ses bourgmestres, comme les socialistes d’ailleurs, sont réticents. Au parlement Bruxellois, Rudi Vervoort s’est dit ouvert à une analyse des besoins et de l’organisation de la police dans la Région. Didier Reynders n’a « aucun tabou là-dessus ».
Il est temps de passer aux actes. Quelqu’un doute-t-il du résultat d’un referendum si l’on demandait l’avis des Bruxellois ? La formule de Schopenhauer s’applique parfaitement à la fusion des zones de police : « Toute vérité franchit trois étapes. D’abord elle est ridiculisée. Ensuite, elle subit une forte opposition. Puis, elle est considérée comme ayant toujours été une évidence ».
Alain Destexhe,
Sénateur, Député bruxellois MR
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