Fusion des communes, le retour
Il y a pile quarante ans, la Belgique passait de 2 739 à 589 communes. Une réforme rapide et ambitieuse. Trop, peut-être : tous les objectifs n’ont pas été atteints. Ce qui n’empêche pas la Flandre de réduire à nouveau son nombre d’entités. L’idée ressort çà et là côté wallon.
A Freloux, comme partout, il y avait un bourgmestre, des fonctionnaires et une maison communale itou. Même pour 59 habitants en tout et pour tout. Résider dans la plus petite entité du pays valait le coup. Les impôts ? Des clous ! Alors se marier avec la voisine moins argentée Fexhe-le-Haut-Clocher ne réjouissait pas. Du tout. Mais à Freloux, comme partout, les opposants à la fusion ont dû ravaler leur courroux. Le 1er janvier 1977, la Belgique s’est réveillée allégée de 2 143 communes (1). Une disparition orchestrée par le ministre de l’Intérieur, le PSC Joseph Michel. Ou, plutôt, une révolution. Les frontières locales n’avaient que peu bougé depuis 1830. Pourtant, tout le reste avait changé. Le travail (industrialisé), la mobilité (individualisée), les moyens de communication (« téléphonisés »), les attentes des citoyens (démultipliées). « Rares sont ceux qui mettent en doute la nécessité d’adapter la dimension communale aux exigences de ce nouveau mode de vie », écrivait l’élu social-chrétien en 1976.
Disparition, révolution, voire marathon. Le sort du territoire fut scellé en deux ans. « Une réforme colossale et ambitieuse, observe Frédéric Bouhon, chargé de cours de droit public à l’ULg. On en parlait depuis longtemps, mais une fois qu’il y a eu une volonté politique, cela a été vite. » Trop vite ? « L’obligation de régler rapidement toute une série de problèmes […] a conduit à décider à la hâte, à improviser, à s’organiser avec les moyens du bord […] C’est un véritable miracle si la machine a pu tourner le 1er janvier 1977″, confessait cinq ans plus tard Georges Latour, secrétaire-adjoint de la Ville de Namur, dans un bilan dressé dans la revue Mouvement communal.
Il faut souffrir pour devenir modernes. Et professionnelles. « A l’époque, une commune (NDLR : 83 % comptaient moins de 5 000 habitants) se résumait souvent à un bourgmestre, un garde-champêtre et un service d’état civil, énumère Louise-Marie Bataille, secrétaire générale de l’Union des villes et communes de Wallonie. Après la fusion, le personnel est devenu plus qualifié, de nouveaux services et infrastructures se sont développés, le niveau a été tiré vers le haut. »
Quelles économies ?
Le budget, lui, n’a pas été revu à la baisse, bien que l’argument « économies d’échelle » revenait en tête des justifications. Le nombre d’élus a certes fléchi, mais pas le personnel. Les entités ont embauché à tour de bras pour assumer leurs nouvelles tâches. « Et la logique de nominations politiques n’a pas été changée », pointe Benoît Rihoux, politologue à l’UCL. Aussi, avant 1977, certaines communes – riches et peu partageuses – se sont empressées de vider les caisses. Pour construire un centre sportif, une piscine, une route… pas toujours indispensables. Mais qu’il a bien fallu entretenir ensuite. Bref, « sur le plan financier, ça n’a pas permis d’économiser autant qu’espéré, épingle Frédéric Bouhon. Mais, sans fusion, les budgets auraient peut-être augmenté encore davantage ».
Le poids des partis sur la politique locale a en revanche bien progressé. En voie de disparition, les listes « du bourgmestre », indépendantes de toutes couleurs ! Les formations nationales ont trouvé un nouveau terrain de jeu. Sans doute est-ce pour cela que les discours de « défusion », fréquents au lendemain de 1977, sont restés vains. Tous les partis y ont trouvé leur compte. Ceux qui pilotaient à l’époque la réforme (le PLP et le PSC, ancêtres des MR et CDH) et celui qui s’y opposait. A Charleroi comme à Liège, le PS n’a pas vraiment perdu au change…
Les rapports de force politiques ont parfois donné lieu à d’étonnants découpages. Comme à Verviers. L’ancien bourgmestre socialiste Claude Desama n’a toujours pas compris pourquoi Dison n’avait pas été accolée à la Cité lainière. Enfin, si, il a capté : la première était rouge, la seconde orange-bleu. Mais il enrage toujours. Et ose : « On doit refusionner, pour atteindre 100 000 habitants et non plus rester calé à 56 000. Cela permettrait de mutualiser les coûts et les infrastructures. Toutes les communes ont leur propre plan de mobilité, d’aménagement du territoire, sans vue d’ensemble. Ridicule ! » Avec le collectif Convergence (porté par trois autres mandataires socialistes), il a récemment signé une brochure sur la « réforme territoriale wallonne », plaidant pour l’abolition des provinces au profit de métropoles et une fusion obligatoire.
Arguments inchangés
L’idée séduit aussi à Liège, où le conseiller communal François Schreuer (Vega) a proposé de souder la Cité ardente à sept autres voisines (Ans, Beyne, Fléron, Chaudfontaine, Herstal, Seraing et Saint-Nicolas), notamment pour « rééquilibrer le partage des coûts ». A Mons, c’est le libéral Georges-Louis Bouchez qui y va de sa proposition d’accouplement : Mons + Quévy = plus de 100 000 habitants, un seuil à dépasser afin de bénéficier de plus de largesses de la part du Fonds des communes. « Ça permettrait des économies d’échelle et plus de mixité sociale. Puis les dossiers se complexifient terriblement et les plus petites communes n’ont pas les moyens d’engager beaucoup de personnel universitaire. » Comme un air de déjà entendu, il y a quarante ans…
L’exception bruxelloise
ParaJoseph Michel n’avait pas lâché l’affaire. En 1990, l’ancien ministre de l’Intérieur déposait encore une proposition de loi à la Chambre pour réduire le nombre de communes bruxelloises de 19 à 8. Comme en 1977, il échoua. La faute à certaines « baronnies » locales, estima le social-chrétien. Mais pas uniquement. « Durant les deux guerres mondiales, les Allemands défendaient l’idée d’un grand Bruxelles, dès lors l’idée fera ensuite office de repoussoir », analyse Serge Jaumain, professeur d’histoire contemporaine (ULB). « Puis l’agglomération bruxelloise venait d’être créée (en 1971) et s’occupait de certaines compétences, ce qui rendait la fusion peut-être moins nécessaire », rappelle Dimitri Yernault, maître de conférence en droit public (ULB). Vint ensuite la Région, en 1989, qui permit une gestion concertée de certains dossiers. Mais pas d’éteindre définitivement le débat sur la nécessité (ou non) d’une fusion, qui anime encore aujourd’hui çà et là la capitale.
Si le débat (re)naît dans les villes, c’est que beaucoup en ont leur claque de débourser pour des gens qui ne leur versent pas un centime d’IPP. Les centres attirent les travailleurs, les sorteurs, les navetteurs, les acheteurs, les entrepreneurs… Qui, pour la plupart, regagnent bien vite leur périphérie une fois leur activité terminée. Ça se ressent dans les dépenses communales par tête de pipe : 1 839 euros au-delà de 50 000 habitants, contre 1 179 euros entre 15 000 et 20 000 administrés. Mais… 1 329 euros lorsque le seuil descend sous les 5 000 âmes (c’est le cas encore dans 62 endroits, principalement en province de Liège). Coûteuses, les petites entités.
Les partis frileux
Un argument supplémentaire pour les fusionner ? « La solution à ces problèmes se trouve-t-elle dans le changement de taille des communes ou dans la création de communautés urbaines, qui géreraient certaines compétences retirées aux bourgmestres ? », s’interroge Benoît Rihoux. « Dans certains cas, la fusion pourrait se révéler pertinente, considère Frédéric Bouhon. Mais je suis toujours méfiant quand l’autorité qui peut y gagner porte le projet. En d’autres termes, quand les joueurs déterminent les règles du jeu. »
De toute façon, personne ne semble avoir envie d’entamer une partie. A part le MR, favorable aux rapprochements à l’amiable. Mais Ecolo est contre, sauf à « examiner d’éventuels projets volontaires », dixit le député Stéphane Hazée. Idem pour le PTB, « car le but de telles réformes est de diminuer les services », selon son porte-parole et député Raoul Hedebouw. Ibidem pour le PS, opposé sans donner plus d’explications. Quant au CDH, aucune trace d’une telle revendication dans son programme.
Qu’à cela ne tienne, socialistes et humanistes ont quand même prévu, dans leur déclaration de politique régionale, de concocter un « décret-cadre pour permettre, sur base volontaire, la fusion des communes contigües à l’intérieur d’un même arrondissement administratif après consultation des habitants des communes concernées ». Et ce n’était pas du vent, assure le cabinet du ministre des Pouvoirs locaux, Paul Furlan (PS). Qui certifie que le texte sortira courant 2017. Quelle commune osera se sacrifier « sur base volontaire » ? Pour paraphraser Claude Desama, « autant chanter La Marseillaise à un chameau dans le désert ».
(1) Six ans plus tard, la fusion retardée d’Anvers se finalisera et le pays comptera 589 communes.
La Flandre refusionne (un peu)
Kruishoutem et Zingem. Ces deux communes de Flandre-Orientale ont décidé de fusionner, répondant ainsi à l’incitation du gouvernement régional (et à sa promesse d’une reprise de dette pouvant aller jusqu’à 500 euros par habitant). Une idée défendue en particulier par la N-VA, qui voudrait même à terme passer à un processus obligatoire, ce que le CD&V refuse. « Soyons clairs, c’est un calcul politique, lance Benoît Rihoux (UCL). Les nationalistes veulent se renforcer de manière à avoir de plus grands bastions. »
« Et puis, amener des projets nouveaux, c’est se donner des airs de penser plus vite que les autres et se mettre en avant médiatiquement », prolonge le politologue Pierre Verjans (ULg). Reste que le processus volontaire flamand ne suscite pas l’enthousiasme communal. Hormis Kruishoutem et Zingem, seules Meeuwen-Gruitrode et Opglabbeek ont décidé de se marier. Toutes des entités aux bourgmestres… CD&V.
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