Pierre Hazette
Frères humains, qui après nous vivez…
En ces temps de grisaille morale, « La Ballade des Pendus » de François Villon est revenue à la surface de ma mémoire, comme une bulle de gaz fétide.
Ce premier vers ne me lâche pas.
Je suis tenté de conjuguer le verbe au futur. Mais que dirais-je qui n’a pas été dit encore, depuis le début de la pandémie ?
Que ferons-nous de nos peurs surgies comme neuves et revigorées de notre passé ? La peur de la faim, d’abord : elle a précipité les foules vers les magasins d’alimentation. Les propos rassurants des marchands ou des autorités mirent du temps à apaiser les citoyens Ceux-ci n’avaient pourtant pas connu les famines de la guerre. C’est, peut-être qu’elles et ils sont plus conscients que ne l’imaginent les maîtres du monde, du danger qui se profile : à sacrifier l’élevage et l’agriculture aux gains des financiers, c’est notre avenir qui se joue. Nous l’avons candidement remis aux mains de ceux qui préfèreront toujours le boeuf brésilien, bourré d’hormones, aux vaches de nos pâturages, sur la base du seul, mais impérieux, motif qu’il coûte moins cher ? Tant pis donc pour nos prairies et pour les fumées puantes des porte-conteneurs qui polluent l’Atlantique. Ne peut-on imaginer qu’au fond de tout Européen de culture française vive encore, profondément enfoui, le propos de Sully : « Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France » ?
La peur de la maladie, peur naturelle, s’il en est, s’est nourrie aussi de notre dépendance à l’égard des Chinois, qui, du jour au lendemain pourraient mettre sous embargo les médicaments d’usage courant, dans nos foyers, puisque, nous, Européens, leur en avons concédé la fabrication.
Peur, encore, que font naître les images d’Asiatiques protégés par des masques, confectionnés dans ces ateliers que nous leur avons abandonnés. C’était si commode de feindre d’ignorer qu’ils les produisent à bas prix parce que, eux, ils ont domestiqué leurs peuples, notamment par un usage liberticide de l’Intelligence Artificielle et en considérant que les principes démocratiques affaiblissent les Etats qui les respectent.
La pandémie laisse tomber une lueur blafarde sue les erreurs commises à a fin du siècle dernier : la globalisation des marchés aboutit, sous nos yeux, à pénaliser les politiques publiques, notamment celles qui se sont élaborées pour conserver ou protéger l’environnement. Protection imparfaite, certes, mais avec des résultats opposables à la pollution des mégapoles chinoises, aux champs d’extraction des gaz de schiste aux Etats-Unis ou à la destruction de la faune marine par les navires-usines russes ou japonais.
Lorsqu’en 1994, le Parlement eut à se prononcer sur la ratification des accords du GATT,(General Agreement on Tarifs and Trade) fondateurs du libre-échange, j’annonçai à mon groupe que je ne voterais pas ce texte, un collègue et ami s’emporta : « Je ne comprends pas qu’un libéral refuse d’approuver le libre-échange ! » Il tourna les talons, refusant le débat. Je lui donnai ma réponse à la tribune. A mes yeux, on ne peut libérer les échanges qu’entre partenaires travaillant et vivant dans des régimes aux exigences comparables.
L’Union européenne se construisait sur ce modèle et sa construction n’était pas achevée que les maîtres mondiaux de la finance proposaient une planète sans barrières douanières.
Pour se défendre, l’Union européenne dut s’arcbouter sur des exigences draconiennes en matière de finances publiques. C’est ainsi que nous, comme tant d’autres pays membres, avons dû élaguer nos priorités ou les délayer dans des politiques médiocres : à Wuhan, on a construit un immense hôpital en dix jours. En Belgique, on ne peut rassembler les moyens pour construire les écoles dont on connaît l’urgente nécessité depuis cinq ans au moins. Nous n’avons plus les fonds nécessaires pour assurer notre défense commune et nous mettons, avec d’autres, l’OTAN en état de « mort cérébrale ». Nous sommes incapables de respecter nos engagements et de consacrer 0,7% de notre PIB à la coopération avec les pays pauvres. Nous détruisons des millions de masques de protection chirurgicale périmés et, pauvres que nous sommes, nous avons attendu trois ans et la pandémie avant de les remplacer.
La crise actuelle nous a ru0026#xE9;vu0026#xE9;lu0026#xE9; qu’au sein de nos pays, la solidaritu0026#xE9; est toujours mobilisable.
La rigidité budgétaire imposée par l’Allemagne, qui reste traumatisée par sa débâcle monétaire dans l’entre-deux-guerres, doit être assouplie pour faire face à des catastrophes aussi désastreuses que celle qui nous frappe.
Nous avons créé une architecture perfectible, sans doute, entre pays d’Europe qui se sont tous trouvés en guerre les uns contre les autres à un moment de leur histoire.
Nos pays n’ont pas montré une solidarité exemplaire dans la mobilisation des moyens requis par la lutte contre la crise financière de 2008, ni contre le virus, pas plus qu’ils ne l’ont fait et ne le font confrontés aux migrations
Le moment est venu d’en tirer les conclusions. Elles vont toutes dans le sens de plus d’Europe et de « mieux d’Europe ».
La crise actuelle nous a aussi révélé qu’au sein de nos pays, la solidarité est toujours mobilisable. Son épicentre se situe dans les milieux hospitaliers ou les maisons de retraite.
Il nous revient aujourd’hui d’en faire la promotion dans tous les secteurs de notre vie commune, mais aussi dans les pays qui nous ont accompagnés dans ce rêve impossible qu’était l’Europe unie, il y a trois quarts de siècle.
Sans la solidarité renforcée des Européens, un jour, un poète écrira :
« La Ballade des Perdus ».
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