Jules Gheude
Formation fédérale: Il ne faut jamais dire « Fontaine, je ne boirai pas de ton eau ! »
A la veille des élections législatives du 25 mai 2014, tous les présidents de parti francophones s’étaient résolument engagés à ne pas gouverner avec la N-VA. Et le MR a finalement cédé. Aujourd’hui, c’est au tour du PS de rompre l’exclusive jetée sur le parti nationaliste flamand.
Depuis les élections du 26 mai 2019, nombreux sont les informateurs royaux à s’être cassé les dents sur la quadrature du cercle : le duo Johan Vande Lanotte (SP.A)/Didier Reynders (MR), le duo Geert Bourgeois (N-VA/Rudy Demotte (PS), Paul Magnette (PS), le duo Joachim Koens (CD&V)/ Georges-Louis Bouchez (MR), Koen Geens (CD&V).
Profitant de la crise du coronvirus, le duo Patrick Dewael (Open VLD)/ Sabine Laruelle (MR) est parvenu à transformer le gouvernement minoritaire en affaires courantes de Sophie Wilmès en un gouvernement de plein exercice, grâce au soutien circonstanciel de certains partis d’opposition.
On a vu ensuite les présidents du PS et du SP.A, Paul Magnette et Conner Rousseau, prendre d’autorité l’initiative de relancer les négociations, en arguant du fait qu’ils représentaient ensemble la première famille politique du pays. Leu tentative visant à mettre sur pied une coalition tripartite classique s’est soldée par l’échec que l’on sait.
Ce fut alors au trio Egbert Lachaert (Open VLD)/Joachim Coens (CD&V)/Georges-Louis Bouchez (MR) de reprendre la main. Le CD&V ne souhaitant pas lâcher la N-VA, on s’oriente à présent vers une coalition dite « Arizona », qui permettrait à la N-VA, au CDH et au SP.A de rejoindre le gouvernement actuel.
La perspective, pour le premier parti wallon, de rester dans l’opposition explique sans doute le revirement actuel du président du PS, d’autant que la N-VA ne cesse de lui tendre la main.
Lors de la Fête de la Communauté flamande, le ministre-président Jan Jambon (N-VA) s’est même voulu particulièrement rassurant : Nous sommes prêts à négocier un mécanisme financier de transition de dix ans ou plus. Je ne dis pas cela seulement par amour pour la Wallonie, mais également par rapport à notre propre intérêt. Si nous coupons les transferts du jour au lendemain, la paupérisation, en Wallonie, sera gigantesque.
Au CDH aussi, le président Maxime Prévot a changé son fusil d’épaule. Après avoir déclaré que, par humilité vis-à-vis du faible score électoral de son parti, il choisissait de demeurer dans l’opposition, le voici désormais prêt à prendre ses responsabilités.
Ne nous leurrons toutefois pas. Ce n’est pas le souci de sortir le pays de l’ornière qui explique ces changements de stratégie, mais bien l’appétit du pouvoir.
Il y a un gouffre entre les visions socio-économiques défendues au Nord et au Sud. Vision de droite vs vision de gauche.
Constatant que la dépense publique de la Wallonie représentera quelque 70% de son PIB en 2021 et 2022, Pierre Wunsch, le gouverneur de la Banque Nationale, n’hésite pas à écrire : On sera plus proche d’un régime communiste que d’un régime néolibéral que d’aucuns décrivent.
Le ministre-président wallon Elio Di Rupo a beau s’insurger contre de tels propos, il n’empêche que, selon ses propres dires, la Wallonie se dirige vers une situation budgétaire inédite et abyssale.
Pour le député flamand indépendant Jean-Marie Dedecker, la Belgique ne peut plus tenir dans de telles conditions : « Avant la crise corona, la montagne de dettes s’élevait à 21,7 milliards d’euros en Wallonie, soit 140% de ses revenus. Aujourd’hui, elle est tout à fait hors de contrôle », écrit-il dans une opinion publiée sur le site de Knack. Et de conclure : « Il est préférable que nous divorcions, frères wallons. Ce pays est rongé jusqu’à l’os. Organisons donc des élections le 5 novembre et signons l’armistice le 11 novembre. Nous partageons les meubles, comme la Tchéquie et la Slovaquie l’ont fait et nous nous nous séparons en paix. Profiter, voilà comment mon grand-père voyait la solidarité à sens unique, non réciproque. Selon lui, mordre la main qui vous nourrit revenait à parasiter. Un homme sage mon grand-père ».
Le démantèlement de la Belgique semble, en tout cas, être appelé à se poursuivre, inexorablement. Et le fait que la Flandre se soit érigée en nation rend, à terme, la survie du royaume impossible
Du côté wallon, d’aucuns s’empressent de rappeler que, durant plus de cent ans, une Flandre pauvre a pu compter sur la solidarité d’une Wallonie prospère.
Sauf que la Belgique était alors gérée de manière unitaire par une bourgeoisie qui était francophone, au Nord comme au Sud. Et que l’on oublie l’exode massif qui a amené quantité de Flamands à venir travailler en Wallonie, dans des conditions difficiles et précaires, rétorque-t-on du côté flamand…
Avec les années 60, le balancier de la prospérité économique a changé de camp. Les Wallons comptaient sur la régionalisation pour relancer leur région. Cette régionalisation est devenue effective en 1980 et, depuis, n’a cessé de s’amplifier au gré des diverses réformes institutionnelles. Quarante ans plus tard, le constat demeure cependant inquiétant. La Wallonie n’a toujours pas décollé, reconnaît Philippe Destatte, le directeur de l’Institut Jules Destrée.
Il ne suffit pas de disposer des bons outils. Encore faut-il s’en servir habilement. Et ici, Jean-Marie Dedecker constate que ce ne fut pas le cas : Malgré cinq plans Marshall, un flux de subsides européens et la manne flamande (les transferts annuels sont de 7 à 11 milliards selon les sources), les paradis socialistes, où Magnette et Di Rupo dominent, de Charleroi à Mons, poursuivent leur déclin subsidié depuis trois quarts de siècle.
Le discours du bourgmestre de Middelkerke est largement partagé en Flandre. Lancée au début des années 90 par le ministre-président flamand CVP Luc Van den Brande, l’idée confédéraliste est aujourd’hui au coeur du débat. Elle revient à dépiauter l’échelon central belge au profit des Etats flamand et wallon, lesquels doivent assumer l’entière responsabilité financière de leurs choix politiques.
On a vu, avec l’affaire des Fourons, la régionalisation de la loi communale et provinciale, celle des allocations familiales, la scission de BHV, les responsables francophones avaler des choses qu’ils jugeaient inacceptables. En sera-t-il encore de même aujourd’hui ?
Le démantèlement de la Belgique semble, en tout cas, être appelé à se poursuivre, inexorablement. Et le fait que la Flandre se soit érigée en nation rend, à terme, la survie du royaume impossible.
(1) Dernier livre paru : La Wallonie, demain – La solution de survie à l’incurable mal belge, Editions Mols, 2019.
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