Focus sur six acteurs de l’agriculture urbaine bruxellois
Bien installés, au caractère et à l’énergie bien trempés, chacun incarne une approche singulière d’un même élan.
1. LA FERME URBAINE
Sous l’ombrelle de l’asbl Début des haricots se créait, en 2009, la Ferme urbaine de Neder-Over-Heembeek (ne pas confondre avec la ferme Nos Pilifs). » La seule ferme-école expérimentale où on apprend le maraîchage naturel agroécologique et la tisanerie « , occupe 15 personnes : 10 salariés, 4 bénévoles et une personne en service citoyen.
Esprit. Ici on fait dans l’authentique, avec l’âne qui tire la charrue, une culture surtout manuelle dans un esprit collectiviste attaché à l’autogestion, aux libertés, à l’altérité, à l’économie sociale et circulaire. Le drapeau militant flotte sur la marmite.
Activités. Priorité aux formations (payantes) et à l’apprentissage concret du maraîchage, du champ jusqu’à la serre. Les produits récoltés servent notamment à composer des paniers pour les Gasap (Groupes d’achat solidaire d’agriculture paysanne).
2. PEAS AND LOVE
Lancée en 2013, la ferme potagère en toiture reste un modèle innovant, malin et spectaculaire. Sa forêt de 300 parcelles verticales sur le toit du magasin Caméléon de Woluwe-Saint-Lambert domine la ville que Peas and Love veut contribuer à nourrir.
Principe. » Nous plantons, nous entretenons, vous récoltez. » Les parcelles sont louées nominativement à des citadins bruxellois. L’abonnement annuel donne droit à récolter les fruits et légumes locaux de saison qui composent leur parcelle, cultivés en mode bio, ainsi qu’à accéder à des expériences d’ateliers et animations en prise avec la nature au coeur de la ville. Les potagers sont gérés de A à Z par l’équipe de Peas and Love.
Ambition. Produire local et circulaire, poser un acte citoyen. Et comme une belle plante vivace, croître et embellir. Avec l’ambition d’implanter 100 fermes du même type en Europe en cinq ans. Comme sur le toit de l’hôtel Yooma, à Paris.
3. SKYFARMS
Lancée en 2016 par Augustin Nourrissier, l’entreprise Skyfarms s’est spécialisée avec succès dans la conception, l’installation et la gestion de potagers d’entreprise dans des espaces jusqu’alors inutilisés : toits, terrasses, jardins délaissés.
Principe. Des groupes d’employés, d’habitants ou d’élèves viennent au moins une fois par semaine cultiver ces espaces pendant la saison de production. Un coach Skyfarms retrouve les volontaires durant la pause de midi. On y partage connaissances théoriques et pratiques (semis, compost…) tout en plantant et entretenant le potager.
Objectif. Améliorer la santé, le bien-être, les rapports humains des participants et leur connaissance de la nature. Au-delà, » créer des lieux de beauté naturelle qui s’intègrent dans les constructions humaines » ; » préparer l’alternative durable au système agro-industriel à bout de souffle et travailler à la cohésion sociale « , dixit le fondateur. C’est pourquoi Skyfarms est aussi partenaire de Wonderlecht.
4. WONDERLECHT
Citygate, l’imposante usine textile désaffectée de la rue des Goujons, abrite ateliers d’artistes et espaces de coworking en occupation précaire. Pour Wonderlecht, ça se passe dehors, dans l’immense cour intérieure où le potager en sacs se taille un sixième de l’espace, délimité par un train en bois de plaine de jeux et à flanc d’une piste de skateboard. Lionel Boyer, un des cinq bénévoles et pilier du projet le décrit comme » hybride, avant tout dédié à l’éducation et à l’environnement, à la formation à la permaculture et à la dynamique socio-culturelle locale « . Deux cents sacs à herbes aromatiques, médicinales et pour tisanes (bientôt des fruits et légumes) et une serre ogive pour semences en forment le coeur.
Objectif. » S’imposer comme nouveau lieu d’apprentissage urbain pour reconnecter les gens à la nature. Etre un lieu créateur de cohésion sociale en lien direct avec les résidents des logements sociaux et les entreprises à proximité. Etre un lieu de production agro-écologique saine et bio pour se réapproprier et relocaliser son alimentation. Wonderlecht est un acte militant et économique. »
5. BIGH
Comme le nom du projet l’indique, Steven Beckers voit grand. Et rapide. L’architecte et concepteur a installé » la plus grande ferme suspendue d’Europe » fin 2017 et lancé son activité aquaponique en mars 2018. L’imposante Building Integrated GreenHouse occupe six salariés spécialisés pour les structures indoor (serres et pisciculture) et quatre permanents épaulés par quelques emplois indirects d’économie sociale pour les potagers extérieurs.
Objectifs. D’entrée, 18 tonnes de petites tomates haute qualité, 170 000 pots d’herbes aromatiques et 36 tonnes de poissons (des bars rayés). Le tout destiné en direct aux magasins et restaurants pour asseoir et prouver la rentabilité d’une agriculture urbaine très productive en économie circulaire, zéro déchets et fidèle à la notion Cradle to Cradle de produits upcyclables. Comme le CO2 transformé, ou l’eau de l’élevage des poissons, retraitée pour irriguer les plants de tomates sous serre.
Ambition. Faire plus et ouvrir rapidement de nouvelles fermes Bigh. Trois sites bruxellois, dont le toit du Carrefour d’Auderghem, sont en vue. Un autre à Perwez (à côté de Derbigum). Un autre à Anvers. Et ceux de Paris et Milan se préparent.
6. LA FERME DU CHANT DES CAILLES
Depuis 2012, Antoine Sterling et son équipe font chanter les champs à Watermael-Boitsfort. Selon deux axes de production : professionnelle et citoyenne locale.
Principe. 11 salariés et 80 habitants bénévoles s’activent autour de cinq pôles. Trois pôles » pros » articulés en coopérative : le Bercail élève des moutons et produit lait, fromages, yaourts, crèmes glacées ; Les Maraîchers cultivent légumes et fruits commercialisés via un abonnement annuel d’autorécolte ; Les Herbes se consacrent aux plantes aromatiques et médicinales pour tisanes ou autres denrées. Balades » comestibles » et ateliers » herbes » complètent l’offre. Deux pôles » citoyens » : Le Jardin collectif cultivé par les habitants du quartier, avec compost et poulailler collectif. Le lieu accueille des visites, notamment d’écoles. Le Quartier durable organise, lui, des activités locales d’épicerie participative, d’ateliers, de marché de Noël…
Ambition. La structure veut prioritairement » contribuer à la souveraineté et l’autosuffisance alimentaires, la cohésion sociale, la mobilisation citoyenne, la solidarité mangeurs et producteurs tout en préservant les dernières terres urbaines « .
Par Fernand Letist.
L’effet « ceinture »
L’agriculture urbaine trace-t-elle aussi son sillon durable en Wallonie ? » A sa façon, précise Zoé Gallez, de l’asbl Terres-en-vue, qui se démène pour trouver des terrains à des porteurs de projet. A Liège, Charleroi, etc., le lien est plus direct avec la campagne d’où une démarche wallonne davantage marquée par une dynamique d’agriculture périurbaine dont les produits sont, eux, réservés à une commercialisation dans la ville. Le cadre rural tout proche réduit la nécessité de produire dans la ville même. D’autre part, les projets d’agriculture strictement urbaine se heurtent à la pollution et la contamination de la plupart des sols, héritées du lourd passé industriel de Charleroi, Liège et d’autres. La particularité wallonne est surtout la création de » ceintures alimentaires « , filières soutenant les produits durables de (nouveaux) agriculteurs, leur distribution en circuit court et leur vente en ville (via Magasin de petits producteurs). Liège a lancé le mouvement il y a quatre ans, suivie par Charleroi, il y a un an. »
Aliment-terre, mon cher Wallon !
A Liège, la ceinture Aliment-terre, déjà forte d’une vingtaine de coopératives agro-écologiques, est à la manoeuvre de cette alliance ville-campagne. » Côté ville, il y a les consommateurs et ceux qui ont de l’épargne. Dans la proche campagne, il y a de l’excellente terre et des porteurs de projets maraîchers. La ville peut donc financer le développement de l’activité et consommer sa production » , explique Christian Jonet, responsable de la Ceinture. Avec, pour autre but, de préserver les terres agricoles environnantes grignotées chaque année par la spéculation ou l’urbanisme. Sans négliger quelques opportunités intra-muros. La Ceinture est ainsi partenaire de la ville de Liège sur le projet Creafarm centré sur la mise à disposition intra-muros de terrains à potentiel agricole. Un premier de 12 000 mètres carrés, au coeur du quartier du Thiers-à-Liège, vient d’être confié gratuitement pour vingt ans à deux porteurs de projets.
Charleroi aussi a sorti sa ceinture alimentaire sous l’impulsion de la SAW-B, association d’économie sociale, soucieuse de rendre accessible à tous, niveau distribution et prix, la production locale périurbaine (extensible jusqu’au sud du Hainaut). Côté intra-muros, l’association Ville fertile fédère les initiatives urbaines avec l’agriculture comme levier de quartier dans une démarche sociale, écologique et d’autonomisation/apprentissage des personnes souvent précarisées. A l’image du projet Permavanti.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici