Fin du ticket de caisse en Wallonie: ce qui change concrètement
Depuis ce 10 août, les commerçants wallons ne doivent imprimer le ticket de caisse papier qu’à la demande du client. Mais dans la pratique, beaucoup ne sont pas prêts. Et ce choix pose question, tant pour le consommateur que pour la planète.
Après la France, la Wallonie a décidé à son tour de mettre fin à l’impression systématique d’un ticket de caisse sur support papier. Les clients qui en font la demande pourront toujours bien le recevoir, tant sur papier que sous format électronique (par e-mail, par SMS…). En théorie, la mesure entre en vigueur ce 10 août au sud du pays, en même temps que le décret wallon relatif aux déchets, à la circularité des matières et à la propreté publique. Mais dans les faits et dans un premier temps, elle n’impliquera toutefois aucun contrôle, ni aucune sanction en cas de non-respect par le commerçant. Une évidence, selon Rodolphe Van Nuffel, responsable de Comeos (la Fédération belge du commerce et des services) pour la Wallonie : « Il n’y a eu aucune consultation en amont avec les secteurs concernés, raison pour laquelle le texte ne prévoit pas d’obligation pour le moment. Ce qui est regrettable, c’est que cette annonce va générer des attentes de la part de certains citoyens, qui interpelleront les commerçants sur le sujet. »
Une mesure prématurée ?
Pour sa part, Comeos demande une période transitoire de minimum 18 mois, afin que les commerçants puissent se mettre en règle. « Dans certains cas, cette mesure nécessite de changer le système de caisse, les imprimantes ou une partie de l’informatique, poursuit Rodolphe Van Nuffel. Il faudrait aussi adopter une approche nationale : sachant que beaucoup de commerçants disposent de points de vente dans les trois régions du pays, il serait aberrant de prévoir des systèmes différents. »
De son côté, la France a prévu des exceptions : l’impression du ticket de caisse y reste notamment systématique pour l’achat de biens sous garantie, les prestations de services de plus de 25 euros et dans l’horeca. En Wallonie, la mesure s’applique « sans préjudice à d’autres dispositions légales », précise le cabinet de la ministre wallonne de l’Environnement, Céline Tellier (Ecolo). Cette mention renverrait notamment à l’arrêté royal du 13 décembre 2022, indiquant qu’un ticket de caisse doit obligatoirement être délivré sous forme papier (et non exclusivement numérique) pour les secteurs des hôtels, des car-washs et de la restauration. Problème : ce même arrêté rappelle aussi l’obligation plus générale de délivrer un ticket de caisse au client, en tant que mesure de lutte contre la fraude.
Papier-digital : sur le plan environnemental, il y a match
Logiquement, les justifications de la mesure wallonne sont environnementales. D’après le cabinet de Céline Tellier, la Belgique produirait « 5 milliards de tickets de caisse chaque année, soit l’équivalent de 4 millions d’arbres coupés. L’interdiction de la délivrance systématique de tickets de caisse non désirés se justifie à la fois pour des raisons sanitaires et environnementales. Car la plupart du temps, ils sont immédiatement jetés par le client, parfois même directement dans la nature. Par ailleurs, beaucoup de commerces pratiquent déjà le “désirez-vous le ticket ?” ». Autre réalité moins connue : les tickets de caisse imprimés sur papier thermique ne sont pas toujours recyclables. « C’est un processus évolutif, nuance à cet égard Valérie Bruyninckx, responsable de la communication chez Fost Plus, en charge de la collecte et du recyclage des emballages ménagers. La plupart des tickets de caisse ayant opté pour un support plus recylable, on peut bel et bien les trier avec les papiers et cartons en Belgique. » Certains contiendraient en outre du bisphénol A, considéré comme un perturbateur endocrinien.
« Une bonne idée, à condition de ne pas imposer en parallèle une version numérique. »
Pour Jonas Moerman, expert à l’ASBL Ecoconso, « le fait de ne plus sortir systématiquement un ticket de caisse pour ceux qui n’en ont pas besoin est une bonne idée, mais à condition de ne pas imposer en parallèle une version numérique. » La décision wallonne, elle, ne revient pas à substituer le numérique au papier. Toutefois, elle pourrait indirectement inciter davantage de magasins à proposer cette option en priorité. Ce qui peut s’avérer discutable selon les cas. Récemment, plusieurs médias belges et français ont relayé des chiffres avancés par le collectif Green IT en 2018, selon lesquels un ticket papier représenterait 2 grammes de CO2 et 5 centilitres d’eau, contre 5 grammes de CO2 et 3 cl d’eau pour une version électronique, en raison des équipements qu’il sollicite. « Par la suite, le collectif a toutefois précisé qu’il s’agissait d’un calcul rudimentaire, poursuit Jonas Moerman. A l’heure actuelle, on manque de données pour déterminer qu’un support est nécessairement plus avantageux que l’autre. »
Il serait contreproductif, pour un usage rationnel des équipements numériques, que la mesure wallonne ait pour effet de remplacer une grande partie de systèmes de caisse encore pleinement fonctionnels. Ou qu’elle permette aux commerçants d’envoyer plus facilement des newsletters à la base de données de clients ainsi constituée, sachant que chaque mail envoyé émet indirectement du CO2.
Le client, le grand perdant ?
D’autres considèrent que le client peut être le grand perdant d’une logique dissuadant l’impression d’un ticket de caisse. Pour au moins trois raisons. Un : en cas d’erreur sur celui-ci, le client n’a pas nécessairement le réflexe de consulter l’éventuelle version électronique qu’il a reçue – à supposer qu’elle lui parvienne instantanément ou qu’il ait du réseau mobile. Deux : un ticket de caisse numérique suppose d’inscrire l’adresse mail ou le numéro de GSM du consommateur dans une base de données. S’il est censé marquer son consentement pour y recevoir par la même occasion des offres promotionnelles, il n’est pas à l’abri de cocher cette option sans le vouloir. Trois : là où le magasin fera des (petites) économies de papier, le client n’en retire quant à lui aucun bénéfice financier.
Moins de papier, moins d’arbres abattus, moins de déchets superflus. Si ce bienfait de la mesure wallonne est limpide, la voie numérique qu’elle encourage indirectement pose question, à moins de d’imposer de strictes balises. Et à l’image de l’interdiction des pailles en plastique, ses potentielles vertus environnementales restent anecdotiques. Comme le résumait récemment sur LinkedIn Christian Clot, le CEO du Human Adaptation Institute, « que les enseignes fassent aussi des efforts sur l’environnement. Car à ce sujet :
- Ce sont toujours des suremballages monstres et inacceptables
- Des transports de marchandises d’un côté à l’autre du monde
- Des pratiques de forçage de vente (deux pour le prix d’un et autres qui en réalité, ne font presque jamais faire d’économie au client). »
Soit autant de pratiques bien plus prioritaires encore pour la sauvegarde de la planète.
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