Fin de parcours pour l’école de sûreté aérienne
Le ministre de la Mobilité, François Bellot, a tranché : après un audit inquiétant, il rapatrie vers l’Etat les fonds publics de l’école de sûreté aérienne qui, étrangement, avaient filé dans cet institut transformé en fondation privée. L’Office de répression de la corruption était sur la balle.
L’école de sûreté aérienne belge (Easti ou European Aviation Security Training Institute), fondée en 1997, vit ses derniers jours sous sa forme actuelle. Moribonde, cette institution initialement créée au sein du SPF Mobilité, c’est-à-dire dans le service public, ne dispense pratiquement plus aucun cours depuis 2011 et est sans direction officielle depuis avril 2018. C’est un audit fédéral, demandé par le ministre de la Mobilité, François Bellot (MR), qui lui aura donné le coup de grâce. L’enquête, dont Le Vif/L’Express a pu prendre connaissance, ne conclut pas à l’existence de fraudes ou de malversations au sein de l’école. Mais il met en évidence les bizarreries qui s’y sont produites et d’inquiétantes possibilités de fraude, vu son statut très particulier. L’audit avait à ce point alarmé le ministre qu’il avait transmis le dossier à l’Office central pour la répression de la corruption en septembre dernier. Entre autres curiosités, quelque 609 000 euros, provenant pour partie de fonds publics, dorment toujours dans cette structure aujourd’hui privée (lire Le Vif/L’Express du 4 octobre 2018). Plus pour longtemps : » Le SPF Mobilité organise le rapatriement des fonds de l’Etat dans une structure administrée par l’Etat « , apprend-on au cabinet Bellot.
Rétroactes
L’Easti organise des formations » belges » à la sûreté aérienne (prévention du terrorisme et de la criminalité aérienne) pour le personnel de la DGTA, des aéroports et des compagnies aériennes, ainsi que des formations internationales, sans lien avec l’administration publique de la Mobilité. A partir de 2000, un budget spécifique de l’Etat couvre ses activités nationales. Du personnel de la DGTA est également détaché de l’administration et payé par elle pour y travailler. C’est aussi le cas de Frank Durinckx, directeur général de la DGTA (direction générale du transport aéronautique) jusqu’à la fin de 2014, créateur et ancien patron de cet institut de formation.
Jusqu’en 2014, les moyens de fonctionnement de l’Easti sont de facto ceux de l’Etat belge. L’audit n’en relève pas moins qu’il est impossible d’identifier la répartition des activités et de leur coût respectif entre la DGTA et l’institut de formation. En revanche, selon les auditeurs, alors que les frais de fonctionnement de l’école sont intégralement payés par la DGTA, les bénéfices en reviennent à l’Easti. En 2010, un changement de comptabilité interne au SPF Mobilité conduit Frank Durinckx à ouvrir un compte privé au nom de l’Easti, où sont versés les 468 000 euros qui dormaient jusqu’alors sur un compte de l’administration. A l’époque, l’Easti n’a pas de personnalité juridique. Le compte ouvert chez ING à son nom est donc celui d’une association de fait dont le seul titulaire est Frank Durinckx. Cette opération se déroule avec le consentement du SPF Budget et de la Trésorerie. La Cour des comptes est, elle aussi, informée.
En octobre 2014, l’Easti, jusque-là association de fait, est transformée en fondation privée. Un statut que lui aurait imposé la Conférence européenne de l’aviation civile (Ceac) pour en faire le pendant exact d’une autre structure de formation établie aux Pays-Bas, la JAA (Joint Aviation Authorities). Pour les auditeurs fédéraux, cette forme juridique n’est pourtant pas adéquate. Selon leur enquête, le cabinet de la Mobilité aurait d’ailleurs demandé à l’époque un avis juridique sur la question. Verdict : la création d’une asbl serait préférable. C’est pourtant bien une fondation privée qui voit le jour. Ses nouveaux statuts sont avalisés par le ministre de l’Intérieur de l’époque et ancien secrétaire d’Etat à la Mobilité, Melchior Wathelet (CDH). Celui-ci se fait représenter par Frank Durinckx, directeur de l’Easti, qui bénéficie d’une délégation de pouvoir. L’audit consulté par Le Vif/L’Express relève que la note d’accompagnement sur la création de la fondation privée, qui constitue le socle de la décision de délégation de pouvoir, a été rédigée par son bénéficiaire, Frank Durinckx lui-même.
Les auditeurs constatent aussi que la procédure de contrôle interne qui règle les échanges entre le cabinet et le SPF Mobilité n’a pas été respectée. Chaque dossier doit normalement être glissé dans une farde sur laquelle les fonctions, noms et signatures des personnes appelées à se prononcer sur le sujet sont mentionnés. Or, la farde contenant le dossier relatif à la création de la fondation privée Easti ne présente qu’un seul paraphe : celui de Frank Durinckx. Même le président du SPF Mobilité ne l’a pas signée. Malgré cela, la délégation de pouvoir est bien accordée à Frank Durinckx. Contactés par Le Vif/L’Express, ni Melchior Wathelet ni Frank Durinckx n’ont souhaité réagir publiquement.
Parallèlement à la création de la fondation privée Easti, l’argent jusqu’alors logé sur un compte privé à son nom est transféré vers la fondation. Il s’y trouve environ 600 000 euros, en octobre 2014. Selon l’audit, ce versement de capitaux a été décidé par le ministre Wathelet. La Cour des comptes a été informée de la création de la fondation et de l’ouverture du compte.
En vase clos
Depuis l’automne 2014, l’Easti, passée d’un statut public à un statut privé, était donc libre de ses mouvements. L’Etat ne pouvait plus exercer aucun contrôle sur des fonds qu’il y avait pourtant lui-même apportés. Ce qui renforce le sentiment, pour les auditeurs, d’avoir affaire à une structure fonctionnant en vase clos, sans plus aucun contrôle externe. Les auditeurs sont d’autant plus inquiets qu’au sein de la structure jumelle de l’Easti aux Pays-Bas, la JAA, deux cas de fraude ont été découverts ces dernières années. Vu la similitude des deux structures, estiment les auditeurs, il n’est pas exclu que l’Easti présente les mêmes risques. Le rapport d’audit fédéral, dont l’auteur n’a pas souhaité répondre à nos questions en raison de la confidentialité de son travail, épinglait enfin les indemnités versées à Frank Durinckx entre 1996 et 2011, qui s’élèveraient à 122 183 euros, en plus de son salaire à la DGTA.
Au vu de tout ce qui précède, le ministre Bellot a finalement décidé de rapatrier les fonds publics dans une structure contrôlée par l’Etat. Ce qui revient à confirmer que cet argent public était bien sorti anormalement de son spectre de contrôle. Le Trésor public et le SPF Mobilité sont cités comme structures d’accueil possibles. De quelle somme s’agit-il ? Le cabinet ne le précise pas, les modalités pratiques de ce rapatriement étant encore en discussion. Mais l’opération devrait être exécutée dans les meilleurs délais. » Si l’Easti devait malgré cela subsister, ce ne serait en tous cas pas dans sa forme actuelle, et probablement pas dans ses missions actuelles « , précise le cabinet. Rideau, donc.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici