Fin de la TVA à 6% sur les démolitions-reconstructions pour les promoteurs : « Un frein supplémentaire à une situation déjà très compliquée »
Encore marginales, les démolitions-reconstructions doivent pourtant jouer un rôle essentiel pour la reconversion des centres urbains, souligne Jacques Teller, professeur d’urbanisme à l’ULiège. D’une situation passée où sept Belges sur dix avaient accès à la propriété, ce sera trois sur dix dans les prochaines années.
La fin de la TVA réduite à 6% pour les démolitions-reconstructions portées par des promoteurs est-elle nécessairement une mauvaise nouvelle?
Il y aura un impact sur le coût de sortie des logements, alors que les ménages doivent composer avec des tendances contraignantes pour les taux d’intérêt. Il est important de soutenir les démolitions-reconstructions, marginales en Belgique. En 2018, elle ne portait que sur 0,25% de l’ensemble du bâti. Si on se concentre sur le résidentiel, elle concernait 0,11% par an du stock total de logements, et seulement 0,08% en Wallonie. Il existe un différentiel extrêmement grand entre la Flandre et la Wallonie: environ 87% des démolitions ont lieu au nord du pays, 13% en Wallonie, quasi rien à Bruxelles. A titre de comparaison, un tiers des nouveaux logements aux Pays-Bas passe par la démolition-reconstruction.
Pourquoi ce type d’intervention est-il à ce point marginal?
Une démolition-reconstruction a vocation à faire de la densification en matière d’usage: elle peut aboutir à plus d’habitants sur la parcelle, à plus d’activité économique… Il ne s’agit pas de bétonner davantage, bien au contraire. S’il y en a moins chez nous qu’aux Pays-Bas, c’est notamment en raison du caractère morcelé de la propriété. Voici quelques années, pour un travail de fin d’études, une étudiante a analysé toute la route montant vers Ans depuis Liège. Comme beaucoup d’autres voies d’accès à un centre-ville, qui se sont développées à la fin du XIXe ou au début du XXe siècle avec du logement mitoyen en rez+1 ou +2, cette route est particulièrement bien desservie en transports en commun. On pourrait donc envisager d’y augmenter un peu la densité tout en disposant de logements de meilleure qualité. Or, les seules opérations que l’on y voit se font à la parcelle, ce qui s’avère très contraignant. A cela s’ajoutent des problèmes de sécurité juridique: il faut pouvoir faire des acquisitions avec la conviction d’obtenir les permis d’urbanisme. Enfin, il manque souvent d’une politique affirmée de la puissance publique qui préconise, par l’entremise d’un masterplan, les endroits qu’elle souhaite densifier.
Qu’est-ce qui justifie de recourir à la démolition-reconstruction plutôt qu’à la rénovation profonde d’un bien?
La plupart du temps, c’est l’absence de possibilité d’adaptation du bâtiment ou sa dégradation trop avancée. Pour un bâtiment d’une valeur de 150 000 ou 200 000 euros, est-il raisonnable d’entreprendre une rénovation à 100 000 euros pour aboutir à une situation encore sous-optimale en comparaison avec le neuf? A l’heure actuelle, il existe en effet deux marchés résidentiels: un sur le neuf, l’autre sur l’existant. La démolition-reconstruction suppose de passer de l’un à l’autre. Mais que ce soit pour de l’isolation thermique, acoustique, de l’électricité et j’en passe, le niveau d’exigence réglementaire du neuf est largement supérieur à celui de l’existant. De ce fait, un certain nombre de propriétaires n’ont aucun intérêt à opter par la démolition-reconstruction, y compris sur un bien qui se dégrade.
La mesure fédérale sur la TVA risque-t-elle de susciter un appel d’air vers les logements neufs construits sur des terrains vierges, au détriment du recyclage du bâti existant?
Absolument. Si on veut attirer des opérations sur le bâti existant, il faut offrir un avantage économique. Dans le cas contraire, il sera toujours moins cher de construire sur un terrain vierge. Il faut aussi renforcer la sécurité juridique. A cet égard, c’est à la puissance publique qu’il revient de porter la justification d’opérations de densification devant sa population, sous certaines conditions. Il ne faut pas que cela se fasse n’importe comment. A Vienne, par exemple, l’une des conditions pour faire de la démolition-reconstruction est que l’occupant existant puisse retrouver un logement dans le nouveau projet et être relogé pendant les travaux. Il ne s’agit pas de réitérer les travers des démolitions-reconstructions qui ont eu lieu à Bruxelles dans les années 1970.
Pourquoi y a-t-il plus de démolitions-reconstructions en Flandre?
Principalement parce qu’il y existe une demande. Les valeurs foncières étant plus élevées, le coût de la destruction par rapport à celui du terrain est gérable. Ce n’est pas le cas dans une série de villes wallonnes, où les valeurs foncières sont trop basses. On trouvera donc davantage les opérations de démolition-construction dans le Brabant wallon que dans d’autres provinces.
Est-il simpliste de considérer que la TVA à 6% n’a bénéficié qu’aux promoteurs?
Il serait intéressant d’analyser le montage financier des opérations de démolition-construction. Ce qui est évident, c’est que la fin de cette TVA réduite met un frein supplémentaire à un contexte déjà très compliqué. D’une situation passée où sept Belges sur dix avaient accès à la propriété, on sera à trois sur dix au cours des prochaines années. Entre la hausse des coûts de construction, de la mise de départ et des taux d’intérêt, tout concourt à un problème d’accessibilité au logement. Dans ces conditions, je ne sais pas comment on fera pour produire du logement abordable à l’avenir, surtout dans les villes wallonnes.
Est-il hypocrite de limiter la TVA réduite à 6% aux particuliers, alors que la démolition-reconstruction à grande échelle semble bien plus adaptée aux promoteurs professionnels?
Soyons clair: l’annonce du gouvernement revient à tuer la mesure. C’est hypocrite. Du fait de sa complexité et des montants de départ, ce genre d’opérations est essentiellement du ressort de la promotion immobilière. Dans les faits, le taux réduit ne s’appliquera donc qu’à quelques particuliers multipropriétaires et très fortunés, sans que cela ne réponde aux enjeux de production de logements abordables et qualitatifs.
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