Fils de, guerre des clans…: les never ending stories du MR
Le parti libéral a fêté ses 175 ans, ce 14 juin. Le plus vieux parti d’Europe a-t-il beaucoup changé, depuis la moitié du XIXe siècle ? Oui et non : Le Vif a trouvé quatre points communs entre les libéraux d’hier et ceux d’aujourd’hui. Et il paraît qu’il y en a encore beaucoup d’autres…
« Le projet libéral est un projet pour la Belgique. Il est tout aussi moderne que notre Constitution, qui était la plus moderne à l’époque de sa rédaction, et qui l’est tout autant aujourd’hui », a déclaré Georges-Louis Bouchez devant un gros gâteau bleu et à côté de son homologue flamand Egbert Lachaert, le 14 juin, dans la salle gothique de l’hôtel de Ville de Bruxelles.
Les deux présidents libéraux, introduits par Charles Michel, président du Conseil européen, célébraient ainsi la fondation de leur parti, constitué le même jour, au même endroit, en 1846. Le Parti libéral belge d’alors, unitaire, francophone, opposé au suffrage universel et à l’Eglise catholique, était fort moderne, en effet : il est considéré comme le premier parti politique d’Europe continentale. Et comme la Constitution, le libéralisme belge a beaucoup changé depuis. Mais certains traits identitaires persistent. Ils sont, au fond, la vraie matrice du libéralisme belge.
Le libéralisme social, de 1846 à nos jours
Les six articles du « programme du libéralisme » belge adopté le 14 juin 1846 sont alors déjà un texte de compromis entre une minorité de libéraux, dits alors avancés ou radicaux, appelés plus tard progressistes, et une majorité plutôt encline à conserver à la bourgeoisie industrielle ses privilèges politiques, économiques et sociaux, dite doctrinaire. Les premiers réclameront plus tard le suffrage universel masculin, et même, ce jour-là, comme le fait le Bruxellois Funck, « la réforme du système d’impôts et d’octrois communaux, de manière à effectuer la répartition des charges avec autant d’équité que possible, et à affranchir la classe ouvrière d’une partie du fardeau qui pèse sur elle ». « Je crois que nous devons nous préoccuper d’une classe qui n’a pas ici de représentants officiels, il est vrai, mais qui trouvera, je l’espère, de nombreuses sympathies dans une assemblée composée d’hommes d’intelligence et de coeur », explique le délégué à ses camarades.
Les seconds rejettent la proposition, se contentant d’engager le parti à mettre en oeuvre « les améliorations que réclame impérieusement la condition des classes ouvrière et indigente », sans plus de précision. Et les doctrinaires limiteront l’élargissement du droit de suffrage à l’abaissement du cens à ses limites constitutionnelles : initiative libérale, le nombre d’électeurs en Belgique passera en 1848 d’un peu moins de 50 000 à 79 000, sur une population de plus de quatre millions d’habitants.
A la fin du XIXe , il y a deux partis libéraux : un progressiste et un doctrinaire.
Pendant plus d’un demi-siècle, progressistes, menés notamment dès la fin des années 1870 par Paul Janson, républicain assumé et… socialiste revendiqué, et doctrinaires, regroupés jusqu’à la fin des années 1880 autour de Walthère Frère-Orban, s’opposent durement, en particulier sur la question du suffrage universel. Il y aura même deux groupes parlementaires à la Chambre, et donc deux partis libéraux, l’un progressiste, qui organise des congrès séparés dès 1887, l’autre doctrinaire, jusqu’à une fragile réunion en 1900 : le libéralisme social n’a pas attendu Louis Michel pour cliver les libéraux.
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La guerre des clans, de 1867 à nos jours
Une légende libérale dorée fait de l’encore jeune Liégeois Frère Orban, assis dans le train le menant de Liège à Bruxelles en juin 1846, le rédacteur des six articles du programme du libéralisme belge (la même, rigoureusement, circule sur Emile Vandervelde et la Charte de Quaregnon). Il n’a que 34 ans. Avocat, il est issu d’une famille plutôt modeste. Il n’est devenu électeur et éligible que par la grâce d’un mariage avec une très riche héritière. Mais son prestige de 1846 est déjà grand, grâce aux nombreux articles de doctrine qu’il livre, et aux combats qu’il mène depuis le conseil com munal de Liège, et son influence immense, mais il n’est pas encore le chef du parti en train de naître.
Le patron, c’est Charles Rogier, père de la nation belge. Membre du gouvernement provisoire et du Congrès national de 1830, Rogier devient naturellement chef du gouvernement installé en 1847, après les premières élections que remporte le tout jeune parti. Ministre des Travaux publics du cabinet Rogier, Frère Orban commence alors à travailler à la déchéance de l’astre du libéralisme belge avec la minutie d’un groom de l’hôtel Renaissance. La rivalité entre Rogier et Frère Orban tiendra plus de trente ans, mais atteindra son paroxysme lors du deuxième ministère Rogier, entamé en 1857.
Les deux libéraux s’opposent sur tout, le statut du Luxembourg, la question du suffrage, l’organisation financière du pays, les réformes sociales. Rogier tente même, en vain, d’empêcher Frère-Orban, ministre des Finances, de recevoir les dépêches diplomatiques du Palais. Frère Orban dépeint son chef de gouvernement comme « d’ordinaire nuageux, diffus et peu résolu ». Il lui rend en réalité la vie insupportable. « Rogier accusa Frère de vouloir tout dominer, tout gouverner à lui seul, de ne plus permettre à ses collègues ni d’agir ni de penser. Frère-Orban dut à de nombreuses reprises se justifier », écrit Nadine Lubelski-Bernard dans Frère-Orban et le Libéralisme politique (Editions de l’ULB, 1996). Si bien qu’en décembre 1867, il reçoit du jeune Léopold II, avec qui il a déjà souvent manoeuvré, la charge de succéder à un Rogier démissionnaire et déconfit. Les deux libéraux, relégués dans l’opposition en 1870, continueront de se quereller. Rogier, contrairement à Orban, défendra ainsi la présence de Paul Janson, dont le fils, Paul-Emile, sera Premier ministre en 1938, sur la liste libérale bruxelloise aux élections de 1878, remportées, pour la dernière fois, par le Parti libéral. Il présidera quelques mois la Chambre des représentants, avant de rentrer dans le rang parlementaire, mais Frère-Orban, chef de cabinet, était devenu le patron.
Celui-ci, parce qu’il avait trente années durant abîmé la statue de Rogier, mais aussi parce qu’il n’opposa jamais qu’un mépris bourgeois aux aspirations « des classes ouvrière et indigente », sera beaucoup moins célébré par les libéraux que son prédécesseur. Et aucun des deux ne finirait sa carrière à l’Europe.
Les fils de, de 1914 à nos jours
Si les Ducarme, les Michel, les De Croo, les De Clercq et les Defraigne sont des héritiers bien connus, ce n’est pas seulement parce qu’ils transmettent un nom bleu, mais aussi parce qu’ils portent, avec celui-ci, une bien vieille tradition libérale. Voyons, par exemple, qui entre au gouvernement de Charles de Broqueville, en 1916, en pleine guerre. Le cabinet, catholique homogène depuis 1884, s’élargit pour la première fois aux deux autres partis. C’est l’union sacrée. Trois ministres sans portefeuille sont choisis dans les deux partis de l’opposition de gauche. Emile Vandervelde, pour le POB, et Eugène Goblet d’Alviella et Paul Hymans, pour le parti libéral. Le premier, député depuis 1878, professeur à l’ULB dont il fut recteur, est le fils de Louis, diplomate et député de l’arrondissement de Bruxelles, et le petit-fils d’Albert, militaire, plusieurs fois ministre, plusieurs fois député, et chef du gouvernement en 1832.
A Court-Saint-Etienne, le château des Goblet d’Alviella est propriété de la famille depuis 1844. Le bourgmestre, Michael Goblet d’Alviella, arrière-petit-fils d’Eugène, en est aujourd’hui le bourgmestre. Il est, bien sûr, libéral. Le second, qui aurait été Premier ministre en 1912 si le car tel libéral-socialiste était parvenu à renverser la majorité catholique, est un autre géant du libéralisme belge.
Les fondateurs de dynasties libérales se prénomment souvent Louis.
Si géant que le parti donna son nom à son centre d’études, avant de le rebaptiser, en 2005, Centre Jean Gol. Artisan de la réconciliation libérale de 1900, il fut après la Première Guerre mondiale plusieurs fois ministre et plusieurs fois président de la Société des Nations. Mais il avait dû avant ça se faire un prénom. Son père, écrivain, journaliste et historien (Paul acheva L’Histoire de Bruxelles que la mort empêcha Louis de terminer), ami de Rogier, avait été parlementaire de 1859 à 1870, et resta un libéral très influent jusqu’à la fin de sa vie. Il s’appelait Louis. Comme souvent chez les fondateurs de dynasties libérales.
Mon parti c’est mon pays, de 1968 à nos jours
Unitariste et parlant peu le flamand : qui pourrait mieux incarner le libéralisme belge, 175 ans après son acte officiel de naissance, que Georges Louis Bouchez ? Les délégués au Congrès de 1846, venus de tout le pays, parlent en effet exclusivement français entre eux. La langue n’y est même pas un débat. Au XIXe, le libéralisme est le parti de la bourgeoisie industrielle et urbaine, libre penseuse, francophile et donc francophone. Le Mouvement flamand est pourtant né dans les classes moyennes des villes, ce qui pouvait augurer d’une complémentarité avec un certain libéralisme progressiste. Mais il est assez vite relayé, avec beaucoup de succès, par le bas clergé des campagnes. Ainsi, le Willemsfonds, constitué en 1851 pour défendre la culture et la langue flamandes, est de tradition libérale. Il sera rapidement supplanté par le Davidsfonds, catholique, et plus populaire.
Le Parti libéral sera le parti des « fransquillons », et le plus hostile aux revendications régionalistes, qu’elles viennent du nord ou, plus tard, du sud. Même les Hoste père et fils – encore une dynastie – et leur puissant journal Het Laatste Nieuws, libéral et flamingant, ne parviendront pas à suffisamment colorer le bleu de jaune et noir. Si bien qu’à l’époque où Omer Vanaudenhove transforme le Parti libéral en Parti pour la Liberté et le Progrès-Partij voor Vrijheid en Vooruitgang, et fait campagne en 1968 pour l’unité de la Belgique contre le fédéralisme, il remporte des sièges en Wallonie, mais pas en Flandre, et que le sigle PVV est détourné en Pest Voor Vlaanderen. Les réformes de l’Etat, d’ailleurs, n’ont jamais réussi aux libéraux belges. Ils se scindent entre flamands, wallons et bruxellois en 1971, après la première. Et si les libéraux francophones du PRL s’amarrent au FDF grâce à une jointe opposition à la troisième, en 1993, c’est à cause d’une disjointe appréhension de la sixième réforme de l’Etat – les libéraux la votent, les amarantes pas – qu’ils se séparent, en 2011. Pourquoi, dans ce cas, faudrait-il que les libé raux francophones acceptent encore les revendications des régionalistes flamands ?
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