La région a activé ses organismes pour retrouver un repreneur, mais aucun ne semble aussi solide qu’Audi. © BELGA

Fermeture d’Audi: la fin des grosses industries en ville? «Avec une mosaïque, on est plus résilient»

Sylvain Anciaux

L’usine Audi à Bruxelles ferme définitivement ses grilles ce vendredi 28 février. La région a activé ses organismes pour retrouver un repreneur, mais aucun ne semble aussi solide qu’Audi. Cette fermeture marque, peut-être, l’essor à venir des zonings industriels 2.0.

Le serpent de mer économique bruxellois a finalement montré son visage. Maintes fois annoncée, la fermeture de l’usine Audi, à Forest, en région bruxelloise ce 28 février laisse sur le carreau 3.000 employés, un millier de sous-traitants et, aussi, une friche industriel de 540.000 mètres carrés (10% du territoire communal), pollués, construits, bétonnés, et à l’avenir étriqué.

Pourtant, le site est idéalement situé pour le monde industriel. Au sein de la capitale de l’Europe, à proximité d’un réseau de chemins de fer, jonché par le canal, il a de quoi remettre sur pied une grosse machine qui roule. Mais la fermeture d’Audi marque aussi la fin d’une ère économique. Désormais, plus aucune industrie bruxelloise ne compte plus de 1.000 employés. Pour l’heure, aucun repreneur n’est encore annoncé pour redynamiser le site, et une question se pose: les grandes industries ont-elles toujours leur place en ville?

Zones industrielles, espaces verts, même combat

Le secteur (commune et région) politique a une priorité bien établie: l’emploi. Pourtant, environ 10% à peine des travailleurs d’Audi sont domiciliés à Bruxelles. Ce n’est donc pas la marque aux quatre anneaux qui relevait fondamentalement les montants perçus via l’impôt sur les personnes physiques par les communes, et ce en dépit des huit millions de subsides versés par la région à l’entreprise depuis 2016. «Les zones industrielles sont une fonction faible, c’est à-dire qu’elles rapportent peu d’argent en comparaison au logement, par exemple, expose Manon Alecian, directrice de l’Arau (Atelier de Recherche et d’Action Urbaines). On le constate généralement avec les plus petites surfaces, comme des ateliers de 1.000 mètres carrés ou moins, qui disparaissent au profit de logements.»

Moins militant, Perspective.brussels (le centre d’expertise régional de référence pour le développement régional et territorial bruxellois) constate également que les surfaces «d’activités productives ont diminué de 44.000 m² par an» dans leur dernier observatoire des fonctions urbaines qui passe en revue les affections du sol bruxellois entre 2020 et 2021. Après les bureaux, aucune autre fonction ne perd plus de terrain que les activités productives à Bruxelles, et la tendance est ininterrompue depuis 2011.

Pour Marion Alecian, la sauvegarde de ces zones industrielles est donc primordiale, à condition que l’exploitation de celle-ci soit réfléchie et raisonnée. «A l’Arau, on pense que le modèle Audi n’est pas approprié. A quoi ont servi les subventions qui ont financé un modèle qui ne sert ni les enjeux, ni l’écologie?» Pour rappel, Bruxelles est face à l’ambitieux pari de réduire de 40,8% ses émissions de gaz à effet de serre, dont les bâtiments sont les premiers responsables, d’ici 2030. «La piste d’une industrie qui développe des matériaux de construction ou de rénovation écologiques pourrait correspondre avec les besoins de Bruxelles. Il y a là une chaîne d’emploi difficilement délocalisables.»

Le monde politique sensible, mais attaché au privé

Le problème, c’est qu’aucun acteur ne semble avoir les épaules assez larges que pour revêtir l’énorme costume qu’est l’usine (bientôt) désaffectée à lui seul. L’espoir n’est pas vain pour autant. Depuis la fin de l’automne, sous l’impulsion de l’ex-formateur David Leisterh (MR) et du gouvernement bruxellois en affaires courantes, un groupe de travail est mis sur pied pour trouver des développeurs (et non repreneurs) du site. Le projet implique pléthore d’institutions bruxelloises (Bruxelles Environnement, CityDev, Hub Brussels, Actiris, notamment), certains syndicats, Audi, et est chapeauté par le Directeur Général de Finance&Invest.brussels, Pierre Hermant.

Rudi Vervoort (PS), l’actuel Ministre-président bruxellois, l’a confirmé aujourd’hui en séance plénière au parlement, plusieurs développeurs ont manifesté un intérêt, mais le socialiste a tu leur nom pour ne pas interférer dans le dossier. (Il a cependant assuré, non sans malice, que Théo Francken ne l’a pas contacté personnellement pour lui faire part d’un quelconque intérêt de la part de l’industrie de la défense, comme il le projette depuis quelques jours.)

Par contre, on imagine facilement des entreprises belges comme WDP, MNG ou Revive frapper à la porte. La mission du développeur sera donc de dépolluer, construire et trouver une mosaïque d’entreprises afin de développer le site. «Ce qui est déjà sûr, c’est qu’il y aura trois catégories d’entreprises, admet Pierre Hermant. Dans le secteur logistique, des entreprises bruxelloises en manque de place et qui pourraient venir s’y développer, et des entreprises actives dans des secteurs intéressants pour Bruxelles, comme le reconditionnement, l’industrie 2.0 ou la logistique hospitalière, par exemple. Le but, c’est d’avoir un modèle plus résiliant. Avec une mosaïque d’entreprises, disons une cinquantaine, si l’une ou l’autre s’en va ou ferme, on ne se retrouve plus avec la perte de milliers d’emplois sur les bras.»

Il faudra donc déterminer ce qui sera créateur de valeur pour Bruxelles. Les visions de Manon Alecian et Pierre Hermant ne sont pas si différentes, mais la notion d’une entreprise «créatrice de valeur et d’emploi» est parfois sujette à interprétation politique. Réponse espérée dans trois ans, avec l’arrivée des premières nouvelles entreprises, et vers 2040, quand le projet du renouvellement de l’usine Audi sera arrivé à maturité.

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