Faut-il taxer les loyers? « Le ministre qui le fera peut prendre sa retraite »
Plutôt que taxer les loyers réels, pourquoi ne pas revoir toute la fiscalité et même débattre de la globalisation des revenus et d’une réelle progressivité de l’impôt?, se demande Pierre Desenfans, spécialisé en fiscalité immobilière.
Pourquoi n’a-t-on jamais taxé les loyers réels en Belgique?
Ils sont déjà taxés dans un certain nombre de cas de figure, lorsqu’un particulier développe une activité immobilière telle que le fisc estime qu’il est devenu un professionnel de l’immobilier et considère les loyers perçus comme des bénéfices imposables. Pour les autres particuliers, la raison pour laquelle on n’a jamais taxé les loyers réels, même faiblement, est qu’il est admis que ces loyers ne sont que le résultat de la gestion d’un patrimoine privé d’une personne physique, issus de revenus professionnels qui ont déjà été imposés. Taxer les loyers serait ouvrir une boîte de Pandore.
C’est-à-dire?
Si on veut remettre en cause la non-taxation des loyers réels, alors autant prendre tous les revenus, professionnels, mobiliers, immobiliers, et taxer le total à un taux proportionnel sans distinguer la source. Cette globalisation des revenus est d’ailleurs le système qui existait en Belgique jusqu’au début des années 1960. On a abandonné ce régime pour de bonnes et de mauvaises raisons. De bonnes parce qu’on a convenu qu’il n’y avait pas de sens à taxer les revenus d’un patrimoine constitué, dans la plupart des cas, grâce à des revenus déjà taxés. De mauvaises car, à l’époque, peu de contribuables déclaraient leurs revenus mobiliers réels, de nombreux Belges ayant un compte au Grand-Duché.
Le plus juste fiscalement serait de globaliser les revenus, mais alors selon une progressivité réelle.
Taxer les loyers ne serait donc pas une bonne idée?
Si cela revient à rompre l’équilibre actuel en donnant deux francs six sous pour réduire les charges sur le travail en ponctionnant bien plus sur l’épargne immobilière et mobilière, ce n’est guère judicieux. Par ailleurs, si on taxe les loyers réels, il faudra aller jusqu’au bout de la logique et accepter la déduction de l’ensemble des charges réelles qui comprennent l’amortissement de l’emprunt hypothécaire, les charges d’intérêts, l’amortissement des travaux, voire même les déductions de frais de voiture pour effectuer telle ou telle réparation… Au final, je ne suis pas certain qu’il restera grand-chose à taxer. Si le gouvernement décidait d’appliquer un système de charges forfaitaires, cela risque d’être un piège à cons pour les propriétaires. Le loyer taxé serait réel, mais les charges seraient forfaitaires. Cela passerait mal… Si aucun gouvernant n’a osé toucher au revenu cadastral jusqu’ici en appliquant la péréquation, sachant que c’est un suicide politique, celui qui portera la taxation des loyers réels peut s’apprêter à prendre sa retraite.
Une taxe sur les loyers pourrait avoir un impact sur le marché de l’immobilier et sur les prix?
Indéniablement. Le marché est déjà tendu. Le rendement sur le locatif résidentiel n’est pas élevé. Il tourne autour de 3%. Il n’y a donc pas beaucoup de gras pour encaisser une taxe sur les loyers réels. Cela se répercuterait sur le montant des loyers. Certes, la Région bruxelloise veut encadrer ceux-ci, avec des grilles indicatives. Mais si le rendement s’affaiblit, il n’y aura pas d’autres solutions pour les propriétaires que d’augmenter les loyers. Un autre risque est qu’on crée un handicap concurrentiel entre les particuliers qui, aujourd’hui, ne sont pas taxés sur les loyers réels et les sociétés patrimoniales immobilières qui, elles, sont imposées sur les loyers, déduction faite des charges réelles. Cela au détriment des premiers qui n’investiront plus dans l’immobilier en laissant le champ aux sociétés. Avec un probable effet à la hausse sur les loyers.
Ne faudrait-il pas plutôt lancer un vrai débat sur la globalisation des revenus, comme vous l’évoquiez?
Le plus juste fiscalement serait de globaliser les revenus, mais alors selon une progressivité réelle, pas avec le système de tranches d’imposition que l’on connaît aujourd’hui. C’est ce qui créerait le moins de discrimination fiscale, même si – je le répète – taxer les revenus du patrimoine, c’est taxer des revenus qui l’ont déjà été au départ. Mais, dans le régime actuel, les niches fiscales, telles qu’on les appelle, gardent tout leur sens. Elles ont permis de créer des richesses. Un équilibre a été trouvé tant bien que mal. On le déconstruit petit à petit. Mais bon, la réforme du ministre Van Peteghem, si elle est décidée, ne sera pas pour demain. Cela crée de l’incertitude pour ceux qui veulent investir dans l’immobilier et qui ne savent pas si les règles changeront et quand. Un message plutôt catastrophique.
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