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Réforme des retraites en France: « Il faut aller plus loin que l’introduction d’un 49.3 en Belgique »

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Selon Rudy Aernoudt Economiste (UGent, Commission européenne), la réforme des retraites en France est une bonne nouvelle. A la guerre comme à la guerre, quand l’exercice de la démocratie est soumis à la loi d’impératifs économiques et budgétaires.

La réforme des retraites est, jusqu’à nouvel ordre, chose légalement acquise: une bonne nouvelle pour la France, pas forcément pour les Français?

Oui, bien sûr, c’est une bonne décision qui vient d’être prise quand on examine le gain budgétaire qu’engendrera cette réforme pour les finances publiques de la République. L’adoption de cette réforme des retraites est un moyen pour la France d’assurer le financement de sa sécurité sociale et d’éviter la faillite de l’Etat. Que les Français soient amenés à travailler jusqu’à 64 ans ne me semble tout de même pas un désastre à déplorer.

Rudy Aernoudt © National

En tout, il y a la manière et celle qui revient à court-circuiter les élus du peuple français ne grandit pas une démocratie. Fallait-il en arriver là?

Je n’ai personnellement aucun problème avec le procédé utilisé, au vu du contexte politique dans lequel se trouve la France, avec des partis prêts à se soumettre et à céder à la rue. La démocratie, ce n’est pas toujours faire ce que le peuple réclame dans la rue. Sinon, on n’aurait jamais eu l’euro. C’est la centième fois que le 49.3 est utilisé depuis son introduction dans la Constitution de la Ve république, en 1958. La technique fait donc partie du système constitutionnel français et son recours faisait l’objet d’un accord au sein du gouvernement d’Elisabeth Borne. Où est donc le problème?

Les Français n’ont-ils pas raison de crier au scandale démocratique?

Ils crient surtout au scandale d’une réforme qui les obligera à travailler jusqu’à 64 ans alors qu’ils se disent fatigués à 62 ans. Une adoption de la réforme des retraites par la voie parlementaire et non par l’activation du 49.3 aurait de toute façon suscité la même résistance. La manière de procéder scandalise moins les Français que la mesure elle-même.

A vous suivre, à quand donc un 49.3 à la belge? Manque-t-il dans notre arsenal législatif?

Il serait le bienvenu mais ce mécanisme ne suffirait pas et resterait inefficace dans la configuration politique actuelle en Belgique. A quoi bon un 49.3 entre les mains d’un gouvernement de toute façon incapable de décider parce que miné par les oppositions entre les partis qui le composent et par l’absence de consensus en son sein? Il faut aller plus loin que l’introduction d’un 49.3 en Belgique si l’on veut rompre avec l’impuissance politique ambiante et éviter d’aller droit dans le mur. Notre situation n’est pas meilleure que celle qui prévaut en France. Chez nous, c’est la particratie qui décide ou plutôt, qui ne décide pas. Pensions, sécurité sociale, marché de l’emploi, les chantiers sont au point mort ; c’est l’immobilisme.

Rudy Aernoudt «Il faut une technocratie temporaire pour remettre le pays sur les rails économiques.

Il faudrait donc frapper encore plus fort qu’à coups de 49.3?

Il faut commencer par instaurer une technocratie temporaire en Belgique, à l’image du gouvernement Monti en Italie (NDLR: gouvernement transitoire dirigé par Mario Monti en 2011 et majoritairement composé de technocrates). Durant un an ou deux, il faut confier à une équipe d’experts indépendants, non élus et non rémunérés, la charge de remettre le pays sur les bons rails économiques, par l’application des recommandations des organisations internationalesOCDE, FMI, Commission européenne – qui ne sont pas des recettes idéologiques. Durant cet intervalle, il faut réformer en profondeur le système électoral en basculant dans un mode de scrutin à deux tours, à la française, dont sera issu un gouvernement idéologiquement homogène, qu’il soit libéral ou socialiste. Ce n’est que dans un tel processus de gouvernance que l’introduction du 49.3 en Belgique aurait tout son sens. Il faut en finir avec les formules de coalition, avec un système à bout de souffle.

Et le rôle du Parlement, on l’oublie en technocratie?

Non, il serait chargé de contrôler la bonne application de la feuille de route confiée aux experts guidés par les indicateurs économiques et les analyses des instances internationales et qui auront le dernier mot durant leur mandat clair et limité dans le temps. Où est l’alternative, à part courir à la faillite du pays? C’est le sens de l’appel cosigné par 49 économistes et experts, dont je fais partie (NDLR: paru dans De Tijd le 17 mars), à ce que le gouvernement fédéral agisse sans tarder en matière de gestion des finances publiques. Les gens doivent savoir s’ils veulent s’appauvrir ou s’il faut assainir.

La Belgique n’a pas de 49.3 mais un régime de pouvoirs spéciaux pour contourner l’obstacle parlementaire: les gouvernements gagneraient-ils à en user davantage?

Non, parce que le recours à ce procédé bute sur le même problème de fond, la nécessité d’un consensus qui n’existe pas au sein d’un gouvernement de coalition.

La fin peut ainsi justifier certains moyens en démocratie?

Oui, comme le recours à la technocratie au service de la restauration d’une démocratie qui n’est aujourd’hui qu’une illusion puisqu’elle n’est que particratie.

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