Faut-il lever le secret de la confession? (débat)
En France, le débat autour de la levée du secret de la confession est ardent, depuis que le président de la Conférence des évêques a déclaré que celui-ci était « plus fort que les lois de la République ». D’autant plus ardent que cette phrase a été prononcée au lendemain du rapport sur la pédocriminalité au sein de l’Eglise. Un prête a-t-il le droit de garder pour les d’éventuelles confessions d’abus sexuel, par exemple ? Eric de Beukelaer et Hervé Parmentier opposent leurs points de vue.
Le contexte
Pour Eric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, « le secret de la confession est plus fort que les lois de la République ». Cette petite phrase, prononcée le 6 octobre au lendemain de la publication du rapport Sauvé, accablant sur l’ampleur de la pédocriminalité dans l’Eglise de France depuis 1950, a déclenché une vague d’indignation. Convoqué par Gérald Darmanin, ministre français de l’Intérieur, le prélat a dû rétropédaler, reconnaissant une « formulation maladroite ». Une controverse sur le même sujet est survenue fin 2018 en Belgique. Le tribunal de Bruges a condamné un prêtre à un mois de prison avec sursis pour non-assistance à personne en danger. Cet aumônier n’avait pas prévenu les secours lorsqu’un homme lui a fait part, au téléphone, de son intention de se suicider. Dans la foulée, la Conférence épiscopale a rappelé les règles de base en matière de secret professionnel et de secret de la confession. Dans le premier cas, le prêtre a le droit de communiquer, du moins si les circonstances sont exceptionnelles. Dans le second, acte sacramentel, le secret est inviolable, selon le code de droit canonique. Quelques semaines plus tard (le 6 février 2019), à la Chambre, le ministre de la Justice Koen Geens (CD&V) a répliqué aux évêques de Belgique que le droit pénal prime sur le droit ecclésiastique et s’applique aux prêtres comme à tout citoyen.
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La position de l’abbé Eric de Beukelaer: « Il y a beaucoup de fantasmes autour du secret de la confession »
Les propos polémiques du président des évêques de France au sujet du secret de la confession ont crispé. Ce débat, qui pose la question des limites du secret professionnel, existe aussi en Belgique. L’abbé chroniqueur et blogueur Eric de Beukelaer explique pourquoi un prêtre ne peut divulguer une confession.
Les controverses françaises sur le caractère absolu du secret de la confession vous ont-elles surpris?
La sortie de Mgr de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, était maladroite. Dire que le secret de la confession est « plus fort que les lois de la République » ravive un débat complexe. Bien sûr, les lois de la république française ou celles du royaume de Belgique sont les mêmes pour tous les citoyens, croyants ou non croyants, ecclésiastiques ou laïcs. De même, il n’est pas acceptable qu’une société, sous couvert de secret professionnel, protège des prédateurs. Il est heureux que l’omerta se dissipe, dans l’Eglise comme dans le reste de la société avec #MeToo et d’autres mouvements. En revanche, il me paraît souhaitable de maintenir des lieux où des fidèles peuvent venir parler en toute confiance et confidentialité, des endroits où il n’y a pas de risque que ces propos se retrouvent dans la presse ou soient transmis aux services de police. Si cet espace de parole disparaît, je crains que l’effet soit inverse de celui recherché dans le combat contre les abus.
La confession ne concerne, en Belgique, qu’un petit pour cent des confidences faites à un prêtre.
Les prêtres devraient-ils dénoncer eux-mêmes les agressions sur mineur dont ils ont eu connaissance en confession?
Il y a beaucoup de confusion et de fantasmes autour du secret de la confession. Il en va de même à propos d’un autre rituel religieux, l’exorcisme, pratique qui subsiste de nos jours. Dans les deux cas, le cinéma hollywoodien a alimenté l’imaginaire collectif. Le secret de la confession suscite de vives polémiques, aujourd’hui en France, hier en Belgique, alors qu’il ne concerne que très marginalement la lutte contre les abus sexuels sur mineur. Aujourd’hui, l’écrasante majorité des catholiques ne se confessent plus – ce que, par ailleurs, je regrette. Les fidèles qui demandent encore ce « sacrement de réconciliation » sont des personnes âgées et des croyants engagés dans une vie de prière. La confession est un acte liturgique de pénitence individuel et privé qui respecte des règles précises: le prêtre doit recevoir le fidèle en aube, revêtu de l’étole. Imaginer que des truands et des pervers viennent « à confesse » ne correspond pas au monde dans lequel nous vivons!
Comment réagissez-vous aux confidences de fidèles en détresse?
Dans 99% des cas, ces confidences ne se font pas dans le cadre du secret de la confession, acte sacramentel, mais dans celui du secret professionnel, règle bien définie sur le plan légal. Le prêtre est alors tenu au même type de secret que les médecins, les avocats, les psychiatres: il ne peut rien divulguer des confidences qu’on lui fait, sauf dans des cas limites, avec danger pour des tiers. Le choix est à sa libre appréciation. Mais il ne peut laisser sans assistance les personnes en détresse. Je ne pense pas que les prêtres soient les plus frondeurs face aux lois belges. J’ai parfois entendu des avocats ou des psychiatres défendre avec plus de vigueur qu’eux le secret professionnel. L’Eglise catholique n’est pas au-dessus de la justice des hommes, mais il ne faudrait pas qu’elle soit en dessous d’elle.
Le rapport Sauvé sur les crimes de pédophilie dans l’Eglise de France remet en cause le secret de la confession. Qu’en pensez-vous?
Encore une fois, la confession ne concerne, en Belgique, qu’un petit pour cent des confidences faites à un prêtre. De par son caractère sacramentel, le secret de la confession est inviolable. Les prêtres qui le rompent pour quelque raison que ce soit sont excommuniés. Si la confession se fait dans un confessionnal, l’anonymat du pénitent est garanti. Sans secret absolu, pas de confession possible. Cela ne signifie pas pour autant accorder le pardon à bon marché. Il n’est pas question qu’un abuseur vienne apaiser sa conscience au confessionnal. Un pénitent qui viendrait s’accuser d’abus sexuels, démarche que je n’ai jamais rencontrée en trente ans de prêtrise, ne recevrait l’absolution que s’il se remettait d’abord entre les mains de la justice. Une confession valide implique le remords, qui passe lui-même par un début de réparation, si c’est possible. Au cas où le prêtre qui reçoit la confession serait confronté à un cas de conscience, il peut toujours se faire conseiller, mais en préservant totalement l’anonymat du témoignage.
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La position d’Hervé Parmentier: « Le droit pénal prime sur le prescrit religieux »
Pour Hervé Parmentier, secrétaire général adjoint du Centre d’action laïque (CAL), le secret de la confession ne tient pas face à l’impératif de dénoncer un abus sur mineur entendu en confession.
Les ministres du culte sont amenés à recevoir des confidences en raison de leur fonction. Faut-il opposer au secret de la confession une obligation légale de dénonciation?
Le code pénal belge est très clair sur ce point: un prêtre, comme d’autres professions dépositaires de secrets, doit informer la justice en cas de danger grave et imminent pour l’intégrité d’un mineur. En février 2019, le ministre de la Justice de l’époque, Koen Geens (CD&V), a rappelé très utilement la règle: le droit pénal prime sur le droit ecclésiastique et s’applique aux prêtres comme à tout citoyen. Le droit canon ne fait pas partie de notre ordre juridique interne, a rappelé la députée Laurette Onkelinx (PS) dans sa question au ministre Geens. Par ailleurs, il n’existe pas de loi belge qui érige le secret de la confession en catégorie particulière du secret professionnel. Et ce secret professionnel, pour important qu’il soit, n’est pas absolu.
Il n’existe pas de loi belge qui érige le secret de la confession en catégorie particulière du secret professionnel. Et ce secret professionnel n’est pas absolu.
Que répondre alors aux autorités catholiques qui allèguent que le secret de la confession est inviolable, selon le code de droit canonique?
J’entends bien la distinction que font les évêques de Belgique entre le secret professionnel des prêtres et le secret de la confession, qui serait une catégorie spécifique. Je sais aussi que le Vatican a réaffirmé haut et fort, en juillet 2019, son attachement au dogme du caractère absolu du secret de la confession. Je note tout de même que ce principe défendu par l’Eglise est de plus en plus remis en cause. Le 8 septembre 2020, l’Etat du Queensland, en Australie, a adopté une loi qui oblige les prêtres à briser le secret de la confession pour signaler à la police des informations liées à des abus sexuels sur enfant dont ils auraient eu connaissance par le biais de ce sacrement. Tout manquement à cette obligation de dénonciation pourra être puni de trois ans de prison. De même, parmi les recommandations du rapport Sauvé, qui vient de révéler l’ampleur des crimes de pédophilie dans l’Eglise de France, il y a un appel à réformer le droit de l’Eglise: le secret de la confession devrait être levé, estime le rapport français, dans les cas où des faits d’agression sexuelle sur mineur seraient révélés au cours de ce sacrement.
En Belgique, faut-il aller plus loin sur le plan législatif?
Pourquoi pas. Nous avons le sentiment, au Centre d’action laïque, que la primauté de la loi civile sur le prescrit religieux gagnerait à être inscrite de manière explicite dans la Constitution. Nous appelons à une révision de la Loi fondamentale pour y faire figurer le principe de la laïcité. A cet égard, deux propositions qui vont dans ce sens sont actuellement soumises à examen à la Chambre. La première, déposée par DéFI, vise à consacrer l’autorité de l’Etat par rapport à toute autre autorité religieuse ou morale. La seconde, déposée par le PS, prévoit, elle aussi, d’assurer la primauté de la loi civile sur le prescrit religieux. Les tensions entre droit civil et droit religieux ressurgissent épisodiquement. Le dernier cas en date remonte au 30 septembre. La Cour constitutionnelle a rendu une décision importante sur l’abattage rituel. Elle confirme que l’étourdissement préalable peut être imposé au nom du bien-être de l’animal, quelle que soit la nature du prescrit religieux. Dans sa décision, la Cour a rejeté les recours en annulation introduits par plusieurs associations juives et musulmanes contre un décret de la Région flamande. Rien n’oblige, quand la priorité va aux politiques qui garantissent l’intérêt général, de procéder à l’un ou l’autre accommodement pour raisons religieuses.
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