Jacques Wels
Fascisme d’Etat et tentation sécuritaire
Les actes terroristes doivent être sanctionnés. Il est nécessaire que les Etats mettent en place des mesures de prévention et de répression de ces atrocités, touchant le plus souvent des civils. Ce n’est qu’en luttant à la source et en punissant sévèrement tant les responsables, que les idéologies haineuses qui les portent, que la sécurité peut être retrouvée. Il n’est pas d’excuse qui justifie une atrocité, pas une seule. En la matière, la Justice et les autorités compétentes font leur travail, même si ce dernier est perfectible.
Cela étant posé, il convient de réfléchir aux mesures répressives mises en place et aux solutions avancées par le Gouvernement. Cette nécessaire réflexion n’appelle pas une remise en cause de la répression et des condamnations, mais bien des modalités d’agir du gouvernement, modalités qui sont inquiétantes sous bien des aspects. Si les comparaisons historiques ont toujours le désavantage de « comparer l’incomparable », elles illuminent le présent et nous renseignent sur un futur qui, sous bien des aspects, pourrait ressembler au passé.
La déchéance de la nationalité des deuxième ou troisième générations, telle qu’elle a été évoquée par certains membres du Gouvernement, est une de ces mesures répressives. Le fascisme est une de ses dérives. Cela ne signifie en rien que le Gouvernement soit fasciste, mais simplement que ce dernier, s’il souhaite adopter une réforme dure de la déchéance de la nationalité, suit les pas, gravés dans la terre, d’un fascisme d’Etat dont on ne peut que redouter les conséquences à long terme. Il y a là de quoi s’inquiéter et, sans s’amalgamer, de quoi tirer la sonnette d’alarme.
Quels sont les problèmes liés à la déchéance de la nationalité de citoyens nés en Belgique ? Premièrement, il faudrait considérer que la nationalité est un choix et que l’individu est responsable de sa nationalité. Il y aurait donc un « devoir de nationalité ». Or, bien des citoyens possédant la double nationalité en Belgique sont belges et leur double nationalité est le fruit des politiques étrangères de pays comme la Maroc ou la Tunisie qui, pour reprendre la formulation du Roi Hassan II du Maroc, « n’oublient pas leurs enfants ». Autrement dit, la déchéance de la nationalité reviendrait à imputer des causes individuelles à des situations qui, dans les faits, sont purement structurelles et nécessitent d’être négociées entre Etats. Négociation qui n’a pas lieu.
Deuxièmement, la déchéance de nationalité reviendrait à réduire l’individu à un seul pays, pays dans lequel il devra purger sa peine. Imaginons un individu de nationalité belgo-marocaine né en Belgique de père marocain qui aurait commis un acte terroriste. Le déchoir de la nationalité signifierait que cet individu devrait être pris en charge par le Maroc. Or, le Maroc – moins que la Belgique – n’est pas responsable des actes commis par cette personne. Ce serait donc, si l’on suit la logique, au Maroc à déchoir son citoyen de sa nationalité, ce qui est d’ailleurs également prévu par le droit marocain. En quoi la déchéance de la nationalité belge est-elle une pire sentence que la déchéance de la nationalité marocaine ? Quelle nationalité l’emporte ? Laquelle est la meilleure ? Quel pays est responsable, lequel ne l’est pas ? Ces questions sont sans réponses. Mais la déchéance d’une nationalité reviendrait à instaurer une gradation entre les pays. C’est donc une condamnation tant de l’individu que du pays dans lequel ce dernier est extradé. Or, pour reprendre notre exemple, des pays comme le Maroc sont engagés autant que la Belgique dans la lutte contre ce type de terrorisme.
Enfin, un dernier argument à mobiliser est la contribution des individus à la société dans laquelle ils vivent. En étudiant, en travaillant, en faisant des enfants en Belgique, ces individus payent des charges sociales. En consommant dans leur pays, les individus payent une TVA sur les produits qu’ils achètent. TVA et charges sociales contribuent à alimenter financièrement le pays dans lequel les individus vivent. Or, on ne peut priver de prison des individus qui en ont bâti les murs. La citoyenneté belge peut se décrire, à de rares exceptions près, également comme une participation financière de l’individu à la cité. Il participe au financement des retraites, au financement des soins de santé, à la sécurité sociale dans son ensemble, aux routes, à la Monarchie, au système de Justice, mais également aux prisons. La citoyenneté belge, c’est donc aussi le droit d’être sanctionné par et dans le pays dans lequel on commet un acte répréhensible. La prison, en quelque sorte, est un droit.
Pour ces arguments – et bien d’autres, que nombre de commentateurs auront relevés au cours des dernières semaines – la déchéance de la nationalité, élargie sous le Gouvernement Di Rupo et en passe d’être élargie à nouveau sous le Gouvernement Michel, est une mesure clivante. Elle instaure un système politique dans lequel les individus, sous réserve d’actes spécifiques, sont privés de leurs droits sociaux dans un pays qu’ils ont contribué à bâtir et extradés dans un pays tiers. Il s’agit là, en termes de possibilités, d’une double peine, dont les modalités ne sont pas fixées sur base d’un acte commis, mais sur base de critères indépendants de la responsabilité individuelle. Punir pour des raisons externes aux actes individuels, cela s’appelle du fascisme. Si les conséquences à court terme de telles politiques sont limitées à un nombre restreint d’individus, qu’en sera-t-il à l’avenir ? Quels chemins suivons-nous et quel message envoyons-nous aux pays concernés majoritairement ? Une telle réforme aurait un impact tant au niveau des individus concernés qu’au niveau des pays touchés.
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