Extrême droite à l’armée: l’affaire Conings met le monde politique dans l’embarras
La cavale du caporal en rupture de ban, Jürgen Conings, révèle les incuries et le manque de moyens de la Grande Muette, plongeant le monde politique dans l’embarras.
Qu’il soit mort ou vif, Jürgen Conings a déjà réussi à polariser l’opinion publique et ses dizaines de milliers de supporters selon le schéma bien connu du « eux » et « nous ». Antisystème, néonazi et anti-islam, il a disparu des radars le 17 mai dernier avec une partie des armes volées à la caserne de Bourg-Léopold, pas les plus dangereuses car quatre lance-roquettes et leurs munitions ont été laissés dans son 4X4 piégé. Aujourd’hui, la gigantesque battue organisée par l’armée dans la Haute Campine a cédé la place à une gestion plus tactile de la crise sous la direction du parquet fédéral (contact avec les proches, messages apaisants, exploitation des données). Si, sur le moment, l’armée a surréagi au point de s’attirer les quolibets du public, c’est qu’elle était avide de laver son honneur bafoué – le fugitif a eu accès à l’armurerie malgré son fichage par l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace (Ocam) à un niveau trois sur une échelle de quatre.
Soit le dossier a été bloqué en interne par complicité idéologique, soit il a été mis sous la pile par bureaucratisme.
Entré en fonction en juillet dernier, le chef de la Défense (Chod), l’amiral Michel Hofman, a battu sa coulpe sans barguigner. Etroitement cornaquée par l’ancien ministre de la Défense André Flahaut (PS), actif au premier rang de la Chambre le 26 mai dernier, l’actuelle ministre Ludivine Dedonder (PS) n’assume pas sa responsabilité politique. Elle n’a rien vu, rien su du caporal problématique. Ni dans son cabinet dirigé par un ancien du SGRS (renseignement militaire), ni au Conseil national de sécurité où remontent toutes les évaluations de l’Ocam, ni via le Chod ou le patron du SGRS, Philippe Boucké, arrivé en septembre dernier et tenu à l’écart d’une information capitale faisant pourtant partie de son core business.
Selon un expert de la Défense, « les armées postmodernes sont fortement bureaucratisées. Dès lors, deux hypothèses sont sur la table. Soit le dossier Jürgen Conings a été bloqué en interne par une espèce de complicité idéologique, soit il a été mis sous la pile par bureaucratisme. » Aucune des deux n’est véritablement réjouissante.
Les décideurs politiques se donnent un peu de temps pour organiser un scénario de sortie de crise. Le 15 juin, ils disposeront du rapport de l’Inspection générale de l’armée (contrôle interne demandé par la ministre de la Défense) et le 30 juin de celui du Comité permanent de contrôle des services de renseignement (Comité R) qui jouit de plus larges moyens d’investigation et d’une position indépendante en marge du Parlement, sans oublier l’enquête judiciaire qui suit son cours.
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Cette temporisation est de bonne guerre dans le chef de nos dirigeants, même si elle peut donner l’impression d’un enfumage. Si la discipline n’est pas un vain mot, on s’imagine bien qu’une armée entraînée à réagir au quart de tour au moindre signe d’agressivité sur un théâtre d’opération extérieur devrait pouvoir ressortir quasi instantanément le circuit du dossier litigieux. Mais, en l’occurrence, les informations sont délivrées au compte-gouttes. Mieux: la ministre de la Défense a évoqué dans ses interviews un rapport délicat du Comité R de 2015 sur le SGRS, sans dire mot d’un plus récent, daté du 19 janvier dernier, qui dépiaute méticuleusement les lacunes de nos services de renseignement en matière de détection et de lutte contre l’extrémisme de droite. La Sûreté de l’Etat, qui dépend de la Justice, tire son épingle du jeu. De quoi relancer les spéculations sur une fusion des deux services.
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