Carte blanche
Explosion des prix du gaz naturel : et si nous remplacions le gaz russe par du biogaz wallon ? (carte blanche)
Alors que les prix du gaz naturel explosent, et que la dépendance aux ressources russes posent désormais question, il faudrait que le Belgique devienne moins dépendante des pays étrangers, selon Pierre Eyben et Natalia Claasen, co-porte-paroles du Mouvement Demain. Qui proposent de relocaliser la production d’énergie, notamment en misant sur le biogaz.
La crise politique actuelle avec la Russie, suite à l’agression militaire de l’Ukraine, a mis en lumière le manque total de cohérence de notre action politique. Dans le même temps que nous appliquons des sanctions économiques à la Russie, nous continuons de lui acheter du gaz à prix d’or. Le même raisonnement vaut pour le pétrole acheté aux dictatures du golfe, telle l’Arabie Saoudite qui mène une guerre meurtrière au Yémen.
En guise d’alternatives à cette situation, l’on n’entend quasi que des solutions qui n’en sont pas : prolonger le nucléaire (plus de 20% de l’uranium utilisé dans le nucléaire européen vient … de Russie), accueillir à Zeebrugge davantage de méthaniers chargés de LNG (notamment issu de la dictature du Qatar), voire passer au gaz de schiste (hyper polluant). Tout est proposé, sauf de nous rendre moins dépendants de pays étrangers et de relocaliser notre production d’énergie en nous appuyant prioritairement sur nos propres ressources. Et pourtant, c’est possible !
En 2019, l’asbl Valbiom a publié une étude passionnante sur le potentiel de biogaz en Belgique. Cette étude a permis de montrer que le potentiel dit « réaliste » de biogaz était de 15,6 TWh (dont 53% en Wallonie). Le potentiel dit « théorique amélioré » incluant également les cultures intermédiaires à vocation énergétique (soit des cultures à part entière, mais positionnées dans la rotation entre deux cultures principales, et qui n’entrent donc pas en concurrence avec ces dernières à vocation alimentaire) est même de 23,6 TWh.
À titre de comparaison, 15 TWh cela représente environ 8.2% de notre consommation annuelle en gaz en Belgique … soit davantage que l’intégralité du gaz russe (6.7%). Consacré à la mobilité CNG, ce biométhane alimenterait près de 2 millions de voitures particulières. Consacré au réseau de distribution de gaz, le gisement wallon pourrait à lui seul représenter près de 50 % de la consommation actuelle des foyers wallons. Cela permettrait d’éviter 6 millions de tonnes de CO2 an, soit environ 88 % de l’économie à réaliser d’ici 2030 par la Belgique entière dans le cadre du Plan National Énergie Climat. Bref, c’est un gisement gigantesque !
Alors pourquoi à peine quelques pourcents de ce potentiel renouvelable (et par ailleurs extrêmement souple pour compenser l’intermittence d’autres sources d’énergie renouvelable comme le solaire ou l’éolien) sont-ils exploités ? Probablement en raison de la prédominance d’une logique de rentabilité à court terme dans notre économie. Tant que de l’énergie bon marché était disponible, à quelques exceptions près, personne n’a investi sérieusement dans ce secteur.
Mais aujourd’hui, la hausse des prix du gaz naturel est telle que notre biogaz est en réalité très rentable. Par exemple, le CNG bio (à base de fumier et de lisier liquide) vaut aujourd’hui environ 1.2€/kg, quand le CNG classique se vend parfois plus de 4€/kg à la pompe.
Plutôt que de chercher notre salut dans d’autres sources d’énergie étrangères, cette relocalisation est donc une voie essentielle à suivre, à côté de la nécessaire baisse de nos consommations primaires qui doit demeurer la priorité. Elle comporte en outre de nombreux aspects vertueux si elle est menée en bonne intelligence et dans le respect de la nature. Elle impose de préserver nos espaces verts et agricoles, et de mettre fin à l’artificialisation des sols. Avec elle, les agriculteurs, outre leur rôle essentiel de fournisseurs de denrées alimentaires, deviennent recycleurs de déchets organiques, producteurs d’énergie, créateurs d’emplois et sont plus que jamais pleinement moteurs de la transition énergétique et agroécologique. Et enfin, notre pays gagne en autonomie énergétique, maîtrise davantage le coût de son énergie, et peut agir avec plus de cohérence sur la scène internationale.
À défaut d’avoir eu le bon goût de penser hors des logiques de marché et d’anticiper la situation actuelle, les autorités régionales wallonnes seraient dès lors bien inspirées d’enfin dégager des moyens publics importants afin de développer et d’encourager cette filière d’avenir sans plus attendre.
Pierre Eyben et Natalia Claasen, co-porte-paroles du Mouvement Demain
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