Un nid-de-poule a endommagé votre véhicule ? Vous avez droit à demander une indemnisation. © Getty Images/iStockphoto

Être indemnisé pour des dégâts liés au mauvais état des routes? «Les gestionnaires la jouent grand prince, mais ils sont près de leurs sous»

Nombreux sont les automobilistes qui pestent sur les nids-de-poule et autres soulèvements d’asphalte qui jalonnent trop souvent leur parcours. Car une chaussée en mauvais état peut causer de sales dégâts à un véhicule. Bonne nouvelle: les autorités publiques sont prêtes à prendre leurs responsabilités. En théorie, du moins.  

Pneu crevé, pare-brise fissuré, bas de caisse endommagé: les dégâts que peuvent causer un trou sur les routes ou une projection de pierrailles ont de quoi faire enrager les automobilistes comme les motards.

Les accidents et incidents liés au mauvais état de la voirie sont toutefois très difficiles à quantifier. «Nous n’enregistrons que les accidents avec des dommages corporels et ce n’est bien sûr que la partie visible de l’iceberg, relate Benoit Godart, porte-parole de Vias. Nous n’avons pas de trace des dommages causés aux véhicules. Il est d’ailleurs toujours complexe d’établir qu’ils sont liés à la dégradation de la route.»

Identifier le responsable

Les plaintes déposées par les usagers de la route donnent toutefois une idée. Car oui, celui qui s’estime victime d’un dommage lié au mauvais état de la route peut demander une indemnisation au gestionnaire de la voirie. A condition de savoir à qui s’adresser. «C’est le premier chausse-trape», relève Bruno Gysels, avocat spécialisé en droit de la circulation routière.

En Wallonie, les routes peuvent être gérées par la SOFICO (le réseau «structurant», soit les autoroutes et les principales nationales) ou par le SPW Mobilité et Infrastructures (le réseau «non structurant»). Dans la capitale, il s’agit de Bruxelles Mobilité. En Flandre, du Département de la mobilité et des travaux publics. Dans les trois régions, les voiries peuvent également dépendre des communes. Touring indique ici la marche à suivre pour identifier le gestionnaire responsable.

Place ensuite à la constitution du dossier. «Il faut démontrer l’existence de trois éléments: un dommage, une faute du gestionnaire et un lien de causalité entre les deux», commente Bruno Gysels. Description de l’incident, photos des dommages subis et du lieu, facture/devis de réparation: mieux vaut envoyer un maximum d’éléments.  

Reste à… prendre son mal en patience. Le traitement d’un dossier prend plusieurs mois, voire parfois plus d’un an. Si le gestionnaire estime que sa responsabilité est effectivement engagée, le plaignant recevra une indemnisation. Entre janvier et octobre de cette année, le SPW Mobilité a ainsi déboursé près de 150.000 euros pour indemniser les automobilistes ayant introduit une plainte liée au mauvais état d’une route.

Dégâts sur les routes: obtenir gain de cause, pas une sinécure

Voilà pour la théorie. En pratique, ce n’est pas toujours si simple. Beaucoup de demandes sont refusées parce que le plaignant n’a pas pu démontrer le lien de causalité entre le dommage subi et le mauvais état de la chaussée. L’administration peut aussi refouler les plaignants en arguant qu’ils n’ont pas roulé suffisamment prudemment ou parce que la dégradation de la route est causée par un tiers.

Les plaintes aboutissent, au mieux, une fois sur deux. «Le nombre de refus avoisine les 50%», indique par exemple SPW Mobilité. Statistiques un brin plus sévères chez Bruxelles Mobilité, où 57% des plaignants n’obtiennent pas gain de cause.  La palme revient à la Région flamande: 61% des dossiers traités en 2024 n’ont pas abouti à une indemnisation. Des chiffres qui varient toutefois considérablement chaque année d’une région à l’autre.

La Belgique est classée 61e sur 119 dans un classement mondial des dégâts sur les routes.

Une constante, en revanche: les plaignants n’obtiennent pas facilement gain de cause. Parce qu’ils déposent trop souvent plainte sans motif valable ou parce que l’administration est trop près de ses sous? Bruno Gysels penche pour la seconde option. «Les gestionnaires ont la réputation de ne pas sortir l’argent rapidement. Je parle surtout du SPW Mobilité, que je connais mieux, mais je pense que c’est la même chose partout. Chaque année, ils se la jouent grand prince en présentant les montants déboursés pour des indemnisations. Et chaque fois, je me dis que c’est assez faible, bien qu’on puisse comprendre qu’ils soient prudents vu qu’il s’agit d’argent public», confie l’avocat.

Le nombre de plaintes a fortement augmenté ces dernières années en Wallonie (voir graphique ci-dessus). Selon les gestionnaires, cela ne signifie toutefois pas que l’état des routes wallonnes s’est dégradé. «Les plaintes peuvent aussi résulter, par exemple, de dégâts ou d’accidents causés par des pertes d’objets d’usagers sur le réseau, clarifie Héloïse Winandy, porte-parole de la SOFICO. De plus, on peut imaginer que cette hausse du nombre de plaintes est en lien avec la publicité apportée à la procédure par divers reportages et articles des médias.»

Le SPW Mobilité épingle de son côté les conditions climatiques. «Elles ne sont certainement pas étrangères à la dégradation du revêtement des voiries, ainsi qu’à la fragilisation des arbres, souligne Serge Toussaint, porte-parole. Une autre explication peut également être la multiplication des chantiers sur les voiries.»

La justice peut s’en mêler

Les montants déboursés annuellement par les gestionnaires du réseau routier se chiffrent en centaines de milliers d’euros, voire en millions. Ils varient considérablement chaque année, un seul cas exceptionnellement grave (avec des dommages corporels importants, par exemple) étant susceptible de gonfler les statistiques.

En plus des procédures à l’amiable, les gestionnaires sont régulièrement condamnés à indemniser des usagers de la route. Car lorsque l’administration rejette une plainte, il est possible d’entamer une procédure judiciaire civile. Chaque année, plusieurs dizaines de plaignants convaincus de la solidité de leur dossier y ont recours. Mais là aussi, gare à la douche froide.

«Selon moi, les juges donnent trop rarement raison aux automobilistes, analyse Bruno Gysels. Ils dégainent souvent l’argument selon lequel l’usager de la route est le premier gardien de sa sécurité. C’est à se demander si ces juges circulent sur les mêmes voiries que nous. Mais j’ai une autre hypothèse plus terre à terre concernant leur prudence: ils ne veulent pas acquérir la réputation de juges qui donnent trop souvent raison aux plaignants. Et évitent ainsi de voir les dossiers se multiplier sur leur bureau.»

Mettre toutes les chances de son côté

Pour maximiser les chances de voir sa demande aboutir, Bruno Gysels préconise l’achat d’une dashcam, une caméra embarquée. «Je ne comprends pas pourquoi ce n’est pas plus répandu chez nous, car le rapport qualité/prix peut devenir très intéressant dès le premier pépin. C’est le meilleur moyen de démontrer le lien de causalité.» Autre conseil: appeler la police pour qu’elle constate l’accident. «Si le dommage n’est pas important, elle ne se déplacera peut-être pas. Mais ça vaut la peine d’essayer et, surtout, on ne pourra pas vous reprocher de ne pas l’avoir fait.» Enfin, il est préférable d’entamer les démarches le plus rapidement possible. «Si vous laissez passer plusieurs jours avant de lancer la procédure, cela risque de paraître suspect», prévient l’avocat.

Il ne faut pas non plus oublier les assurances. « Si l’assuré dispose d’une protection juridique, la compagnie doit l’aider dans ses démarches, rappelle Bruno Gysels. De plus, une full omnium est censée fonctionner pour indemniser tous les dégâts. À ce moment-là, il n’y a même plus besoin de demander une indemnisation.»

La meilleure solution reste tout de même d’éviter ce type d’incident, rappelle Benoît Godart (Vias). «Celui qui roule régulièrement sur des routes en mauvais état sait généralement où se situent les ornières. Et peut adapter sa vitesse. Bien que même à 30 km/h, un pneu peut éclater dans un nid de poule», avertit-il. Il porte également l’attention sur les feux. «Une voiture avec un seul phare allumé est bien sûr dangereuse vis-à-vis des autres usagers, mais risque aussi d’empêcher de voir une dégradation sur la voirie.»

Dégâts sur les routes: à qui la faute ?

Cette année, la Belgique apparaît à la 61e sur 119 du classement dressé par le Forum économique mondial sur l’état des routes. Un ranking où elle ne cesse de régresser.

Pourtant, selon Benoit Godart, la situation n’empire pas. «Même si tout n’est pas rose, il y a eu une amélioration sur le réseau régional wallon ces dix dernières années, estime-t-il. En revanche, les routes communales restent globalement en piteux état. Pavés déchaussés, nids de poules et taques d’égout qui dépassent sont monnaie courante. Tout cela dépend évidemment des finances de chaque commune et du budget qu’elle y consacre.»

La Région wallonne, elle, semble satisfaite de l’état de ses (auto)routes. «Selon une évaluation de 2022, l’état du réseau structurant est globalement bon et celui du réseau non structurant bon à moyen », fait valoir Serge Toussaint. 

Il faut dire que, depuis 2017, la Région wallonne a augmenté de 30% le budget alloué à l’entretien courant de son réseau routier. Pour la période 2019-2023, il se chiffre à 117 millions d’euros par an, auxquels s’ajoutent 93 millions d’investissements. «Les moyens annuels alloués aux opérations de renouvellement des routes restent en-deçà du nécessaire pour ne pas entraîner une dégradation du parc à l’avenir, note toutefois le porte-parole du SPW Mobilité. La situation de gestion des infrastructures routières est en cela évaluée comme préoccupante

Le nœud du problème ? L’irresponsabilité des gestionnaires de voirie

Me Bruno Gysels

Avocat spécialisé en droit de la circulation routière

Parmi les pistes de solution, Touring milite depuis plusieurs années pour que 100% des taxes automobiles soient réinjectées dans l’amélioration des routes. En Wallonie, l’introduction d’une vignette autoroutière figure dans la déclaration de politique générale du MR et des Engagés. Des moyens purement financiers, donc. Cependant, Bruno Gysels pense que le nœud du problème est ailleurs. «Le mauvais état des routes belges est surtout dû à l’irresponsabilité des gestionnaires de voirie. Quand il faut indemniser un usager, c’est le contribuable qui paie. Or, ce n’est pas de la faute de la collectivité s’il y a un nid-de-poule. Les torts sont clairement individuels mais les responsables peuvent dormir sur leurs deux oreilles. S’ils risquaient d’être inquiétés personnellement, cela changerait la donne», conclut l’avocat.

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