Un drapeau belge qui bouge et un ami d’Olivier Vandecasteele qui se réjouit: Alexander De Croo a couru les 20 km de Bruxelles en triomphateur. © belgaimage

Etat de droit maltraité, mensonges assumés, copains douteux: la libération d’Olivier Vandecasteele est une affaire d’Etat

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Etat de droit maltraité, mensonges assumés au nom de la raison d’Etat, copains douteux: la libération d’Olivier Vandecasteele est-elle une affaire d’Etat? Oui, clairement. Mais personne ne le reprochera jamais sérieusement à Alexander De Croo, à Vincent Van Quickenborne et à Hadja Lahbib.

La libération d’Olivier Vandecasteele, détenu à la prison d’Evin, à Téhéran, depuis février 2022 et monté, le 26 mai, à Mascate (sultanat d’Oman), dans un avion de la Défense belge venu l’y chercher et y déposer Assadollah Assadi, terroriste iranien détenu en Belgique depuis juin 2018, mobilise toutes les ressources et présente tous les ressorts d’une affaire d’Etat. Agrémentée, la semaine suivante, de la libération inattendue de trois autres Européens (un Danois et deux Autrichiens), l’opération Blackstone a tenu, ici, du triomphe de politique étrangère.

Ce que l’on en sait n’est somme toute que ce que le gouvernement belge veut bien en dire. Pourtant, il y a déjà du lourd dans ce que racontent, à ce sujet, les trois principaux ministres impliqués dans l’affaire: Alexander De Croo, Vincent Van Quickenborne et (un peu moins) Hadja Lahbib.

Tout y est, en fait.

Libération d’Olivier Vandecasteele: le bricolage

Le chemin juridique emprunté par la Belgique pour procéder à la transaction, tenu secret jusqu’aux derniers instants de l’incarcération d’Olivier Vandecasteele, a été contesté dès sa révélation. Ce sont deux arrêtés royaux signés le 8 décembre 2022 en vertu de l’article 167 de la Constitution, qui proclame que le gouvernement mène la politique étrangère du pays, qui ont finalement servi de base légale. C’est un juriste encore inconnu qui, à l’automne, aurait suggéré cette piste au ministre de la Justice. Il était pourtant question, depuis plus d’un an, de plutôt employer un traité de transfèrement de prisonniers signé par les deux pays, ratifié par le Parlement belge et amendé par la Cour constitutionnelle, pour rapatrier l’humanitaire tournaisien. Ce qui a fait se demander pourquoi ne pas avoir mobilisé plus tôt cet article écrit en 1831 au lieu d’attendre la ratification d’un traité non encore mis en œuvre. «Vous croyiez que l’Iran relâcherait Olivier Vandecasteele parce qu’on venait avec l’article 167 de la Constitution belge dès le lendemain de son incarcération? Le moyen juridique était nécessaire pour nous, mais il n’était nullement suffisant pour l’Iran», a ricané Vincent Van Quickenborne, le 5 juin, venu défendre, avec Alexander De Croo et Hadja Lahbib, son opération spéciale devant les députés des commissions réunies de la Constitution et des Affaires extérieures de la Chambre.

Il avait politiquement raison, le ministre. Mais il a sans doute juridiquement tort.

Il avait politiquement raison, le ministre: aucun texte belge, fût-il sacré comme notre Constitution, ne lie la République d’Iran. Mais il a sans doute juridiquement tort: l’interprétation très large de cette partie très vague d’article constitutionnel est une cascade à ne jamais reproduire ailleurs, parce que l’exécutif s’est autorisé sur cette base à des latitudes très peu dignes d’une démocratie libérale. Et c’est l’opposition qui, ici, a raison. L’Etat de droit belge a été, n’en déplaise aux triomphateurs du moment, soumis à une torsion tout à fait anormale. «Notre Etat de droit a été maltraité», a dit l’Engagé Georges Dallemagne le 5 juin, et il disait juste. Mais un ministre ne démissionne jamais parce qu’il n’a pas respecté la Constitution ou l’Etat de droit. Il ne démissionne que lorsqu’il le reconnaît.

Les mensonges

Le Premier ministre, venu le 5 juin s’expliquer pour la première fois devant les parlementaires, dit depuis le début assumer personnellement la méthode et – encore heureux – ses résultats. Il l’a répété à la Chambre, «ce sont des décisions de vie ou de mort les plus difficiles à prendre lorsqu’on est un chef de gouvernement», a-t-il lancé, d’un menton exécutif, à ceux qui ne l’étaient pas. Les mensonges, au moins par omission, qui ont parsemé la communication gouvernementale pendant plus de cinq cents jours auraient été inadmissibles dans tout autre domaine.

Depuis le printemps dernier, d’abord, la Vivaldi prétend que le traité de transfèrement était le seul chemin possible pour rapatrier Olivier Vandecasteele, alors qu’elle avait, depuis au moins le 8 décembre, emprunté une autre voie. Le gouvernement signale toujours que l’opposition, pendant tout ce temps, n’a proposé aucune autre méthode. C’est faux, les débats parlementaires en fourmillaient, et, surtout, c’est indigne, puisque pendant qu’Alexander De Croo explorait allégrement une autre piste – la bonne –, ses ministres et les parlementaires de sa majorité reprochaient à l’opposition de s’opposer à la piste qu’ils prétendaient suivre tout en ne la suivant pas – la mauvaise.

Depuis la libération d’Olivier Vandecasteele, ensuite, la communication gouvernementale a soigneusement évité de laisser perler le moindre indice sur des négociations qui se poursuivaient. C’est probablement une des raisons pour lesquelles le Premier ne s’est présenté au Parlement que dix jours après les faits. Alexander De Croo a, du reste, admis avoir caché, «même à Olivier Vandecasteele», qu’il était encore occupé à discuter de l’extraction de certains de ses compagnons d’infortune. Mais Hadja Lahbib et Vincent Van Quickenborne, eux, se sont solidement exposés, le 1er juin, à la séance plénière de la Chambre, sans livrer les informations réclamées par le Parlement. Ils ont ensuite reconnu ces compréhensibles omissions, des vies humaines étant en jeu. Mais ils se sont eux-mêmes alors placés dans la position du menteur qui dit qu’il ment: comment savoir si ce qu’il dit est vrai, et comment savoir quelle partie de ce qu’il dit est fausse? L’affirmation bravache de Vincent Van Quickenborne, jurant que la Belgique n’avait rien payé à l’Iran, est à créditer au même registre, comme en fait à peu près toutes les autres désormais: puisqu’ils affirment eux-mêmes avoir menti dans un intérêt supérieur dans cette affaire, quelle valeur a encore leur parole lorsqu’il en est question?

Van Quickenborne et De Croo ont multiplié ensemble les coups d'éclat pour libérer l'otage belge.
Van Quickenborne et De Croo ont multiplié ensemble les coups d’éclat pour libérer l’otage belge. © belgaimage

Devant les commissions réunies de la Chambre, enfin, Alexander De Croo et Vincent Van Quickenborne ont confirmé et maintenu qu’il ne s’agissait pas d’un échange – «l’échange n’est pas dans notre langage» – de prisonniers, et donc que, puisqu’elle n’était pas un échange, cette absence de transaction ne créait pas un précédent pour les Etats soutenant des terroristes incarcérés en Belgique. La volonté ici encore est compréhensible. Mais ce rapport hostile des faits avec les mots a fait qualifier, à bon droit, ce langage d’orwellien par le chef de groupe N-VA à la Chambre, Peter De Roover. Alexander De Croo lui-même a déclaré avoir espéré libérer davantage de prisonniers européens. Puisqu’il est interdit de penser qu’il s’est alors agi d’un échange, à quel titre, alors, la Belgique aurait-elle pu obtenir de nouvelles contreparties qui n’en sont pas si la Belgique n’a rien échangé?

Puisqu’ils affirment avoir menti dans cette affaire, quelle valeur a encore leur parole lorsqu’il en est question?

Les copains glauques

Comme aucune initiative aventureuse ne se commet sans amis foireux et sans partenariats glauques, Alexander De Croo a pu compter sur son plus vieil ami politique, Vincent Van Quickenborne, pour mener cette mission spéciale à bien. En gros, c’est à lui que la partie «maltraitance de l’Etat de droit» a été sous-traitée, comme les relations avec certains services peu recommandables.

Beaucoup plus offensifs face à l’opposition qu’Hadja Lahbib, qui n’a pu que profiter marginalement d’un succès diplomatique dont ses services, pourtant, ont été de grands acteurs, les deux libéraux flamands ont pu bien à leur aise – l’intérêt supérieur le leur permet – raconter les plus joyeuses salades à la Chambre, le 5 juin. Y compris sur la tenue précise des relations avec l’Iran, Etat paria, ou avec le sultanat d’Oman, dont tous ont officiellement félicité les interventions. Ou encore avec des alliés tels que les Etats-Unis, que l’échange/transaction n’agréait pas dans un premier temps, et la France, qui a évoqué le cas d’Assadi dans sa propre négociation pour libérer deux de ses nationaux détenus en Iran.

Il faudra attendre que les archives soient déclassifiées pour un jour savoir comment s’est précisément décidée la libération d’Olivier Vandecasteele. Mais avec son grossier bricolage juridique, ses mensonges pas plus fins, y compris devant le Parlement, et ses amitiés douteuses, elle réunit tous les ingrédients d’une affaire d’Etat impliquant les plus hautes personnalités du pouvoir exécutif. Pourtant, l’affaire ne se transformera jamais en scandale. Personne ne démissionnera, pas ceux qui ont bricolé, pas ceux qui ont menti et pas non plus ceux qui se sont fait de drôles de copains.

La vie d’un homme à qui la population a pu s’identifier a été sauvée.

Et Olivier Vandecasteele est devenu un héros. Ceux qui sont parvenus à le faire libérer ont conséquemment été, Marie-Christine Marghem (MR) l’a clamé avec emphase, «héroïques», même en mentant, et fût-ce inconstitutionnellement. Dans le parti de Marie-Christine Marghem on avait, pourtant, tenté d’un peu atténuer le triomphalisme ambiant. Hadja Lahbib avait doucement rappelé que le SPF Affaires étrangères déconseillait formellement aux Belges de voyager en Iran au moment où Olivier Vandecasteele s’y rendait.

Et Denis Ducarme, moins diplomatiquement, a embrayé, évoquant «un Belge qui était en danger de mort parce qu’il a été irresponsable. J’espère qu’il le reconnaîtra plus tard.» Le tollé parlementaire et médiatique qui s’en suivit démontre, heureusement, que la vie d’un innocent vaut bien les plus douteuses équipées. Y compris celles dont on ferait autrement un scandale d’Etat.

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