Et si le Vlaams Belang et la N-VA osaient s’allier après les élections de 2024?
A un an d’élections qu’ils ont autrefois, eux-mêmes, annoncées comme décisives, les partis nationalistes flamands n’ont jamais été aussi populaires. Ensemble, N-VA et Vlaams Belang pourraient rafler la moitié des sièges au parlement flamand. Pourtant, l’un et l’autre mettent l’indépendance de la Flandre en veilleuse. Comme s’ils avaient peur de leur propre grand soir.
Le lion flamand rugit, mais il est édenté» avait, un jour des années quatre-vingt, dit l’ancien président du Parti socialiste Guy Spitaels, au faîte de sa puissance.
Est-ce un hasard? Les seuls qui évoquent jamais cette citation sont Flamands, pour montrer combien les francophones, en Belgique, sont arrogants. Car le lion flamand des années 2020 ne rugit plus, il se plaint. Sa mâchoire n’a jamais été aussi puissante, il la cache. Et après, il verra.
En 2003, le puissant Blok pas encore Belang et la N-VA encore embryonnaire rassemblaient ensemble un peu plus de 950 000 voix flamandes. En 2019, ils en attiraient près d’un million de plus. Selon le dernier baromètre LeSoir-RTL, les deux partis indépendantistes, le Vlaams Belang (à 25%) et la N-VA (à 21,6%), récoltent donc, joints, 46,6% des intentions de vote. Si l’on transpose ce résultat, historique, en sièges, ils en auraient 59, sur les 118 composant le parlement régional flamand.
Une telle performance, si proche du «samen een meerderheid» professé discrètement, en mai 2019, par Theo Francken, aurait surtout pour effet de rendre la N-VA incontournable, comme elle l’est du reste depuis dix ans, en Flandre. Elle est due à la puissante émulation à droite qui caractérise le paysage politique flamand, où la concurrence et les complémentarités sont nombreuses, y compris à propos de la fin de la Belgique. Depuis les Leterme, Dewinter et Bourgeois d’hier, entre les Jean-Marie Dedecker et Dries Van Langenhove, les Francken et Van Grieken d’aujourd’hui, entre les confédéralistes et les indépendantistes, quand on est Flamand et de droite aujourd’hui, on a mille occasions de se plaindre de la Belgique. On appelle ça la «tirade du nee». Mais cette concurrence et ces complémentarités ne s’accompagnent pas d’une prise de conscience nationale, encore moins nationaliste.
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Quand on est Flamand et de droite aujourd’hui, on a mille occasions de se plaindre de la Belgique.
Depuis vingt ans que la concurrence droitière a presque mené à un monopole du conglomérat des droites sur le débat public flamand, la volonté d’indépendance, dans l’opinion flamande, n’a pas progressé. Au contraire, même: les plus récentes enquêtes montrent, en Flandre, une légère croissance du belgicanisme, à tout le moins sur le plan institutionnel, où de plus en plus de Flamands souhaitent une recentralisation des compétences.
La campagne de 2019, marquée par une forte croissance du vote indépendantiste, ce qui a fait dire à Bart De Wever que ce résultat témoignait d’une poussée nationaliste, et à Tom Van Grieken qu’il était une étape importante dans l’indépendance de la Flandre, n’a pourtant absolument pas porté sur le communautaire. Les priorités des électeurs des deux partis indépendantistes flamands portaient sur l’immigration et la sécurité, pas sur l’existence ou non de la Belgique.
«La plupart des électeurs du VB ne se sont pas souciés de la réforme de l’Etat», notaient les (nombreux) auteurs de Les Belges haussent leur voix (Presses universitaires de Louvain, 2020) dans leur grande enquête de sociologie électorale sur les élections de 2019.
«57,1% des transferts de la N-VA vers le VB ont cité l’immigration comme le problème le plus important (de loin le problème le plus important parmi les personnes qui ont changé de parti), contre «seulement» 33,9% de ceux qui sont restés fidèles à la N-VA (qui reste le problème le plus important des personnes qui restent). Sur l’ensemble des électeurs du VB en 2019, 53% mentionnent l’immigration comme le problème le plus important, contre seulement 3,2% qui citent la réforme de l’Etat. Il est donc peu probable que les gains du VB soient dus à la frustration de la N-VA face à son manque de résultats en matière de «confédéralisme» ou à la popularité croissante des appels du VB en faveur de l’indépendance de la Flandre», ajoutaient les auteurs du chapitre sur le comportement électoral sous les prismes de l’identité et de l’autonomie. Les indépendantistes flamands font donc beaucoup de bruit, mais ils veillent bien à ce que le bruit qui est entendu ne soit pas celui qu’ils font sur l’indépendance de la Flandre.
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La condition de la puissance du lion réside ainsi dans son silence, si bien que moins on parle de l’indépendance de la Flandre, plus on s’en rapproche.
Certains nationalistes, dans les plus exaltés et les plus conséquents, rêvent néanmoins d’un scénario à la catalane, sans référendum et en version heureuse, pour l’après-2024, à la suite d’un long chaos d’affaires courantes et d’exaspérations respectives. Une de ces escalades de grognements antagonistes, jusqu’à en venir peut-être aux coups de dents qui, même légers, accélèrent l’histoire. C’était presque explicite, il y a quelques années, au sommet de la N-VA: l’ingouvernabilité chronique de la Belgique mènerait, plutôt qu’à une révolution, à une évaporation, vers 2025.
C’était précisément l’espoir livré crûment par l’Anversoise Liesbeth Homans (N-VA), alors ministre régionale, et aujourd’hui présidente du parlement flamand. «La Belgique existera-t-elle encore en 2025?», lui avait demandé, début 2016, un journaliste de la VRT. «J’espère que non», avait-elle répondu, augurant «la séparation… ou… en tout cas le transfert d’un maximum de compétences vers les entités fédérées, ce qui entraînera la disparition de fait de la Belgique.»
Son parti est central en Belgique et en Flandre, quand bien même la N-VA serait dépassée électoralement par son golem du Belang. La N-VA réalisa un temps le vieil objectif du mouvement flamand en parvenant à capter les électeurs du Vlaams Belang par centaine de milliers et à dominer le gouvernement fédéral. Aujourd’hui affaiblie, et donc aiguillonnée, par un Vlaams Belang qui lui reproche des renoncements, sa méthode reste cruciale, mais son timing est incertain. Liesbeth Homans avait cafté sur l’échéancier, embarrassant ses camarades appliqués à faire tourner le gouvernement Michel sans trop de vagues communautaires. C’était un moment où son parti se voyait à 40%, ou pas loin. Il est aujourd’hui à la moitié et se résigne à se faire dépasser par plus pur que lui. Mais la N-VA n’est toujours pas avare de déclarations sur la méthode.
Moins on parle de l’indépendance de la Flandre, plus on s’en rapproche.
Elle ne l’a jamais été. En janvier dernier, dans une interview au Tijd, Bart De Wever avançait la possibilité d’obtenir l’autonomie de la Flandre «de manière extralégale», par un arrangement inopiné entre partis qui, surgissant d’une crise historique, bricoleraient un confédéralisme radical. Il n’a à peu près aucune chance d’y parvenir, même sans respecter strictement les procédures constitutionnelles de réforme des institutions: il lui faudra toujours deux tiers des sièges belges, et au moins la moitié des sièges francophones, donc l’accord de beaucoup d’autres partis, et aucun n’y est prêt. Pas les belgicains, bien sûr, mais pas non plus les autres nationalistes.
L’hypothèse de travail officielle de la N-VA n’est donc pas d’obtenir la majorité et de proclamer une indépendance réclamée par un peuple rugissant. Son ambition n’est pas non plus d’exiger un référendum en grognant. Elle promeut une grande réforme de l’Etat qui installerait le confédéralisme, présenté de manière contradictoire, à la fois comme une étape sur le chemin de l’indépendance et comme la dernière chance de sauver la Belgique en la faisant bien fonctionner. Mais le fait même que la N-VA existe empêche la Belgique de fonctionner, puisque son projet implique que la Belgique ne fonctionne pas, donc qu’il faut la réformer, jusqu’à sa suppression par évaporation. La N-VA est la condition de ce qu’elle dénonce. Elle annonce un blocage qu’elle provoque, propose une solution, qu’elle sait impossible, pour l’éviter, et se dit sans doute «et après, on verra».
Le Vlaams Belang, lui, n’empêche pas seulement la Belgique de fonctionner. En limitant le poids électoral de la N-VA tout en élargissant l’assise parlementaire du séparatisme, il contribue à empêcher la N-VA de mener cette réforme de l’Etat radicale. Le Vlaams Belang est la condition de l’échec du sauvetage de la Belgique par la N-VA.
Si les deux obtiennent une majorité au parlement flamand l’an prochain, la N-VA sera incontournable, en raison du cordon sanitaire qu’appliquent les autres partis et auquel elle ne se sent pas tenue.
A l’été 2019, Bart De Wever a négocié des semaines avec Tom Van Grieken pour composer un gouvernement flamand. Ils ne disposaient pas, ensemble, d’une majorité, et aucun autre parti n’a voulu s’y joindre. Depuis, Bart De Wever dit avoir acquis la conviction qu’il était impossible de gouverner avec le Belang. Mais il l l’a dit aussi, au cours de sa longue carrière, d’absolument tous les autres partis avec lesquels il a, à un moment, fini par gouverner.
A l’été 2024, Bart De Wever, comme tout le monde, fera ses comptes. Si une majorité nationaliste se dégage, et que la situation fédérale apparaît encore plus inextricable que prévu, il pourrait très bien faire le choix du chaos. Rugir. Montrer les dents. Et se dire «et après, on verra».
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950 000
En 2003, le Vlaams Blok et la N-VA rassemblaient ensemble un peu plus de 950 000 voix flamandes. En 2019, ils en attiraient près d’un million de plus.
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