Jean-Marie Dedecker tête de liste pour la N-VA: pourquoi il pourrait être la clé des élections en Flandre
L’éternel enfant terrible de la politique flamande, qui ne représente plus que lui-même à la Chambre, était très courtisé dernièrement. Son dilemme: ressusciter son parti, la LDD, ou céder aux avances de Bart De Wever. Décodage, en compagnie des politologues Dave Sinardet (VUB – Saint-Louis) et Carl Devos (UGent).
JMD, le retour en force ? Le bourgmestre de Middelkerke recevait pas mal dernièrement sur ses terres. Plus d’un ténor politique flamand est venu y prendre le café, pas vraiment pour jouir de la vue sur la mer et prendre un bon bol d’air, mais pour prendre langue avec le remuant député fédéral, voire plus si affinités. Bart De Wever, le président de la N-VA, avait notamment fait le déplacement, précédé par Tom Van Grieken, président du Vlaams Belang. Zuhal Demir (N-VA), ministre flamande de l’Environnement, et Théo Francken (N-VA), député fédéral, ont aussi tenu à rendre une visite de courtoisie à Jean-Marie Dedecker.
Il faut croire qu’à 71 ans, l’ex-judoka garde de beaux restes, très convoités. On le croyait pourtant sur le déclin, en fin de parcours, sa Lijst Dedecker réduite à l’état de parti moribond alors que lui-même siège bien seul à la Chambre sous une étiquette d’indépendant, élu sur une liste N-VA en 2019. Mais voilà que l’homme s’imagine un nouveau destin dans un paysage politique flamand en phase d’ébullition à moins d’un an du scrutin fédéral et régional. Selon Het Laatste Nieuws et Het Nieuwsblad, il sera finalement la tête de liste de la N-VA en Flandre occidentale lors des élections fédérales de 2024.
Question d’ego ?
A quoi joue Jean-Marie Dedecker ? Que cherche-t-il au juste ? Si c’est à faire parler de lui, c’est déjà réussi. L’hypothèse de son retour en vue sur la scène politique, à la tête de son parti ressuscité ou en solo sous la bannière N-VA, a alimenté la scène médiatique. L’intérêt qu’on lui porte flatte à coup sûr son ego, qui est grand. Le lutteur, qui se disait las de la politique fédérale et régionale, a pris son pied en se faisant désirer. Et réactive une formule qui lui a déjà plutôt bien réussi. « Il y a un sentiment de déjà-vu dans sa façon de faire monter les enchères pour poursuivre sa carrière politique et/ou lancer celle de son fils, Dimitri, dans l’une ou l’autre assemblée parlementaire. Pour quelqu’un qui s’affiche en représentant de l’anti-establishment, il use des règles de la particratie en pratiquant le népotisme », observe Dave Sinardet. « Lors du scrutin précédent en 2019, Jean-Marie Dedecker avait procédé de la même manière en annonçant la possibilité qu’il se présenterait seul en Flandre occidentale avant de négocier un bon deal avec la N-VA dont il a poussé la liste. Il a pu de la sorte siéger à la Chambre en tant qu’indépendant, situation confortable puisqu’il n’est pas lié par une discipline de parti. »
Que représente encore Jean-Marie Dedecker sur le plan politique ? Carl Devos : « C’est difficile à évaluer. Il est encore populaire mais de là à ce que beaucoup d’électeurs lui accordent leur voix, c’est une autre affaire. » Dave Sinardet : « Son siège de député lui permet de faire son show hebdomadaire à la Chambre, de continuer à exister médiatiquement. » Il ne faudrait pas sous-estimer le poids électoral d’un homme qui a obtenu 40.000 voix de préférence en 2019. Et qui pourrait encore miser sur ce capital de sympathie pour le monnayer.
Pourquoi ne pas relancer son parti, la LDD, pour le conduire à la victoire aux élections de 2024 ? La résurrection de la Lijst Dedecker était dans l’air. Son cercle rapproché s’affairait depuis plusieurs semaines à remettre la LDD en ordre de bataille. La prospection de l’une ou l’autre figure à même de capter des voix, est en cours, des listes étaient déjà bouclées dans trois provinces (Flandre occidentale, Flandre orientale, Brabant flamand). Sauf que le » boss » a laissé planer le mystère sur ses intentions. Il a beau assurer qu’il n’est pas loin d’être attendu comme un sauveur, il tient surtout à finir en politique en beauté, sur un coup d’éclat électoral. Ce qui a sans doute retenu ce tempérament de gagneur de relancer son parti au combat, c’est la crainte d’un comeback raté alors que depuis son effondrement en 2010, la LDD ne s’est pas donné les moyens d’un nouveau départ.
« Sans doute parviendrait-il à se faire élire, estime Carl Devos, mais que les candidats de son parti puissent en faire autant dans les autres provinces me paraît très douteux » . Dave Sinardet prolonge : « La concurrence s’annonce rude avec la N-VA et le Vlaams Belang. Aux élections de 2007, la Lijst Dedecker avait créé la surprise en décrochant cinq sièges mais c’était dans un contexte politique différent où le Vlaams Belang était dans une mauvaise passe et la N-VA encore en cartel avec le CD&V. Jean-Marie Decker pourrait tenter de se ménager une place entre les deux formations. »
Qui aurait le plus à redouter d’un cavalier seul de Jean-Marie Dedecker à la tête de son parti aux élections ? Dave Sinardet : « Le Vlaams Belang et la N-VA en premier lieu. Le profil anti-establishment de Jean-Marie Dedecker peut plaire aux électeurs du Vlaams Belang, son côté conservateur peut séduire des électeurs N-VA, son profil libéral prononcé peut prendre des voix à l’Open VLD. Mais il peut aussi, par son positionnement anti-système, mordre sur l’électorat PVDA, le PTB flamand « . Carl Devos : “ En prenant certainement des voix à la N-VA et au Vlaams Belang, Jean-Marie Dedecker pourrait accroître la fragmentation au sein d’une droite mise sous pression en Flandre « .
La N-VA a-t-elle tout intérêt à incorporer à nouveau cet électron libre sur ses listes électorales ?
En l’hébergeant aux élections de 2019 sur sa liste pour la Chambre en Flandre occidentale dans le rôle de pousseur, la N-VA n’a eu qu’à se féliciter de l’apport des 40.000 voix de préférence du candidat indépendant Jean-Marie Dedecker. Et d’une collaboration sans accrocs, estime Dave Sinardet : « La cohabitation à la Chambre entre Dedecker, qui siège comme député indépendant, et le groupe de la N-VA, ne pose pas de problème puisqu’ils sont dans l’opposition au fédéral. Si la N-VA devait revenir aux affaires au niveau fédéral, la relation pourrait devenir source de tensions. »
On n’en est pas encore là, et si le procédé n’a pas fait et ne fera pas forcément l’unanimité au sein des nationalistes flamands, la tentation de rééditer ce deal concluant était grande. « C’est évidemment le meilleur moyen pour la N-VA de le neutraliser, d’autant que le parti souffre d’une absence de figure vraiment populaire en Flandre occidentale et que Jean-Marie Dedecker est en mesure de remporter un siège », relève Dave Sinardet. Reste à jauger de la férocité de l’appétit du courtisé, complète Carl Devos : « Le choix de se présenter sur la liste N-VA est le plus sûr pour Dedecker, mais il semble vouloir faire monter le prix à payer pour cela, y compris au profit de son fils. Lui qui a toujours été hostile aux dynasties politiques… » Ce qui pourrait compliquer la négociation avec Bart De Wever.
Faire la différence ?
Faire cavalier seul ou s’arrimer à la N-VA : le choix de Jean-Marie Dedecker pourrait-il peser lourd dans la balance électorale en 2024 ? « Oui, tout de même, considère Dave Sinardet. Jean-Marie Dedecker pourrait être en capacité de faire la différence pour quelques pourcentages de voix ou en termes de sièges ».
Adieu dès lors le scénario décrit par le politologue Bart Maddens (KULeuven) dans une tribune parue dans le Tijd ce 30 août : « La seule menace d’un gouvernement flamand séparatiste qui secouerait les fondements du système belge et pourrait être un levier pour une grande réforme de l’Etat ». « Plus la Lijst Dedecker serait forte, plus la N-VA et le Vlaams Belang seraient affaiblis« , confirme Carl Devos. Jean-Marie Dedecker pourrait ainsi priver N-VA et Vlaams Belang d’une majorité de blocage au Parlement fédéral et devenir le grain de sable dans le grand dessein des nationalistes flamands.
Jean-Marie Dedecker pourrait-il être la clé d’un pas de deux N-VA – Vlaams Belang ?
Il ne fait pas mystère de ses ambitions : « Pourquoi ne pourrions-nous pas former un gouvernement avec la N-VA ? Eventuellement avec l’appui extérieur du Vlaams Belang », confiait Jean-Marie Dedecker au magazine Humo, le 22 août. Le voilà qui se verrait bien, pour peu que l’électeur flamand lui en donne l’occasion, en faiseur de rois, mué en go-between entre la N-VA et le Vlaams Belang, chaînon manquant d’une alliance de la droite conservatrice et de la droite extrême en Flandre. « Jean-Marie Dedecker pouvait essayer de jouer ce rôle si son parti décrochait les sièges suffisants mais une coalition entre la N-VA et le Vlaams Belang, scénario pas impossible mais hautement peu probable, ne dépendra pas tellement de lui », considère Carl Devos. D’autant que Bart De Wever rejette catégoriquement la perspective de frayer avec un Vlaams Belang… « le mélanome de la Flandre, l’assurance-vie des francophones « .
« Le scénario imaginé par Jean-Marie Dedecker paraît très peu probable, abonde Dave Sinardet. S’allier au Vlaams Belang rendrait la N-VA infréquentable pour les francophones, ce qui couperait toute négociation communautaire et hypothéquerait un retour de la N-VA aux affaires au fédéral. Bart De Wever ne prendra pas le risque d’offrir aux francophones cet argument. C’est une manière pour Jean-Marie Dedecker de se donner de l’importance ». Ce qu’il sait faire avec talent.
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