Joyce Azar
Et « Joyeux Noël » devint « Bonnes fêtes »
Au nord du pays, comme partout ailleurs, la langue se développe au gré des mutations sociétales.
La formule « Zalig kerstfeest » (Joyeux Noël) est dépassée. C’est du moins ce que révèle un sondage mené par Genootschap Onze Taal (Société notre langue) sur la manière dont les habitants de Flandre et des Pays-Bas se souhaitent un joyeux Noël. A l’approche des réveillons 2018, ils seraient désormais 70% à préférer utiliser les mots « Fijne feestdagen » (Bonnes fêtes). Un changement linguistique directement lié à la sécularisation de la société, et non à l’une ou l’autre influence de la communauté musulmane, comme aimeraient le croire les fervents défenseurs de notre identité, les partisans du Père Fouettard grimé en Noir ou les opposants aux Plaisirs d’hiver.
Au nord du pays, comme partout ailleurs, la langue se développe au gré des mutations sociétales. « Aujourd’hui, Noël est devenu synonyme de fête, de cadeaux, de rencontres ou de vacances, et non plus de réflexion ou de naissance de Jésus », indique le linguiste de la VUB, Wim Vandenbussche, dans les colonnes du Nieuwsblad. Alors que moins de 6% des Flamands se rendent encore chaque semaine à l’église, il n’est pas étonnant de voir la religion littéralement disparaître de leur langue. Dans la même veine, le fameux blasphème « godverdomme » (nom de Dieu) serait également de moins en moins utilisé. Il fait désormais place à des jurons anglophones, tels que « fuck » et « shit », tout droit sortis des films hollywoodiens ou des séries Netflix, dont les habitants du nord du pays sont friands.
Au nord du pays, comme partout ailleurs, la langue se développe au gré des mutations sociétales.
Tout comme les langues, les traditions aussi évoluent en Flandre. Dernier exemple en date: Zwarte Piet. Alors qu’aux Pays-Bas, son grimage noir, jugé raciste, a provoqué cette année encore de violents incidents, chez nous, le « blackface » du Père Fouettard a fait lentement mais sûrement place à de la suie de cheminée. Un aboutissement qui prouve qu’une évolution des folklores est possible. N’en déplaise à certains, le phénomène démontre aussi qu’une tradition est avant tout influencée par l’identité réelle d’une société, par celles et ceux qui y adhèrent, et par leurs modes de vie. Après tout, en 2018, nos petits écoliers ne demandent plus au grand saint Nicolas de leur apporter « du sucre » dans leurs « petits paniers », mais bien « des pommes ».
D’aucuns se plaisent pourtant encore à assimiler les changements linguistiques et culturels que nous connaissons à une « soumission aux étrangers ». Il y a un mois et demi, le conseiller en communication de la N-VA, Pol Van Den Driessche, par ailleurs sénateur, avait fulminé sur les réseaux sociaux en apprenant que le marché de Noël de Bruges s’appelait désormais Marché d’hiver. « C’est inacceptable, je ne céderai pas à cette forme imbécile de « tolérance » », avait-il lâché sur Facebook, provoquant une vague de réactions compatissantes. Une indignation surprenante, alors que le « Kerstmarkt » de la Venise du nord a changé de nom il y a maintenant déjà deux ans, officiellement « pour des raisons commerciales ». A quelques mois des élections, l’obsession identitaire a désormais pris la forme d’une crise gouvernementale autour du pacte mondial sur les migrations. Une situation qui n’empêchera sans doute pas les Flamands de passer de « bonnes fêtes » de fin d’année.
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